Ca ne devait pas se passer comme ça.
Il serait de mauvaise foi de dire que quelqu’un s’y attendait, mais voilà, l’électeur, une nouvelle fois parce qu’il est souverain, et non l’opinion publique ou les sondeurs, a tranché : M. Mélenchon a perdu, Mme Le Pen a gagné.
Du point de vue du droit des sondages, et plus généralement du point de vue de la problématique de l’encadrement juridique de l’opinion publique, cela actualise les questions déjà soulevées sur ce blog et qui méritent donc d’être rediscutées : le présent article fait donc suite aux réflexions que nous avions pu mener et nous renvoyons ici notamment à l’article du 23 mai dernier consacré à l’absence d’édiction d’une mise au point par la Commission des sondages concernant les premiers sondages relatifs à la 11ème circonscription du Nord.
Le choix de l’électeur
Les résultats officiels et définitifs sont donc ceux là, et on pourra retrouver si l’on souhaite les résultats complets sur le site de l’express cette fois-ci :
Marine Le Pen remporte très haut la main son duel contre Jean-Luc Mélenchon : elle réalise 42,36 % des suffrages, son adversaire socialiste 23.5 %, et endin Mélenchon, 3ème, ne réalise que 21.48 % des voix. Ce score représentant, au regard de l’abstention, moins de 12.5% des inscrits, seuil nécessaire pour se maintenir au second tour, M. Mélenchon est éliminé de la course.
Une vraie claque pour celui qui se voyait déjà député, élu haut la main face à celle qu’il a lui-même érigée en ennemie absolue et plus précisément encore en son ennemie absolue. Celle qu’il a humilié à la télévision avec une formule qui restera célèbre – « Vous m’avez traitée de semi-démente », « Ca vous laisse une bonne moitié » – celle qui l’humilie en retour, coup de boomerang populaire, par les urnes.
Voilà donc l’homme adoubé par les médias – lui qui pourtant éructait sans cesse sur eux – sanctionné par le peuple de la circonscription qu’il avait choisi – lui qui pourtant prétendait les défendre. Il ne faut pas s’en cacher, c’est une terrible défaite pour M. Mélenchon, qui présage d’ailleurs un avenir sombre à la formation politique qu’il rêvait de porter plus loin, le Front de Gauche.
Et pourtant, il s’y voyait déjà, car M. Mélenchon a sans doute été victime de ce qu’il aime le plus : l’odeur de l’opinion, et encore sans doute malgré lui, l’odeur des sondages. On retrouve ici la très célèbre formule.
» Qu’est ce qu’un sondage ? Ce qui mesure l’opinion publique. Qu’est-ce que l’opinion publique ? Ce que mesurent les sondages. « .
Oui, M. Mélenchon a sans doute été victime des sondages. Comme à la présidentielle, qui le donnait à 15% quand il a fini à 11%, même si la distance par rapport à l’élection, les marges d’erreur, le vote caché, ont pu expliquer cette différence à l’époque. Une explication plus facile à faire que celle qu’ils devront donner concernant l’élection législative de la 11ème circonscription du Nord.
Cette fois, la claque est plus sévère encore, et espérons pour lui que M. Mélenchon, qui n’aime pourtant pas les sondages ainsi qu’on s’en souvient par l’affaire qui l’avait mené jusqu’au Conseil d’Etat et dont on peut conseiller la lecture, n’avait pas écouté les augures des sondeurs avant de se lancer. Bien mal lui en aurait pris, car l’histoire de la chute de M. Mélenchone est aussi celle de l’approximation des sondeurs, même si en la matière comme en tout, il faut savoir rester modéré.
Les erreurs des sondeurs
La chute de M. Mélenchon est d’autant plus surprenante qu’elle n’avait pas été prévue, même s’il faut noter un sondage tardif ayant noté certaines évolutions évolutions dangereuses pour lui.
Au départ, force est de constater que M. Mélenchon était donné largement gagnant : ainsi, et nous en avions rendu compte sur ce blog, un sondage réalisé fin mai par le JDD donnait au 1er tour 34 % pour Marine Le Pen, 29 % pour M. Mélenchon et 18 % pour le candidat socialiste. Au second tour toutefois, M. Mélenchon arrivait premier avec 55 % des votes en cas de duel face à la seule M. Le Pen et avec 44% en cas de triangulaire.
Un sondage dont les résultats seront finalement très éloignés des résultats réels : nous avions d’ailleurs souligné dans notre article les difficultés qui pouvaient affecter ce sondage et qui finalement auront sans doute participé à ces différences : taille réduite de l’échantillon pourtant validée par la Commission des sondages, difficultés à éloborer des hypothèses de second tour, mais surtout, surtout – et ce d’autant que ces informations ne sont pas accessibles car protégées par le secret des affaires – les critères de redressement utilisés : comment redresser M. Mélenchon et Mme Le Pen, d’autant qu’on sait, au moins depuis l’élection présidentielle, qu’un vote caché existe, des sondés prétendant voter pour le premier votant en réalité, au final, pour la seconde ?
Du grain à moudre pour les arguments que nous développons déjà depuis quelques temps sur ce blog, mais surtout de quoi donner raison aux polémiques qui avaient accompagné la publication de ce sondage : Marine Le Pen a finalement eu raison, à l’époque, de considérer qu’il ne fallait pas donner davantage de crédit à ce sondage qu’à ceux qui avaient été faits pendant la campagne présidentielle. Elle n’a d’ailleurs pas manqué de le rappeler ces derniers jours, et c’est de bonne guerre.
L’erreur s’est reproduite le 6 juin 2012 dans Libération et l’on pourra trouver ici le lien sur le site du journal : un sondage Ifop-Fiducial pour la voix du Nord donnait ainsi Marine Le Pen en tête avec 37 % des intentions de vote, Jean-Luc Mélenchon étant donné deuxième avec 25 % des voix et le candidat PS avait 21.5 % des voix. Des erreurs, donc.
Sur ce point, il faut noter que l’encart situé au bas de l’article intitulé « Lire les sondages » et renvoyant à un dossier pédagogique permettant de lire les sondages, y compris lorsque ceux-ci se contredisent – même s’il faut le saluer dans l’optique du renforcement de la transparence dont nous avons déjà parlé ici – rattrappe mal le fait que le sondage par ailleurs publié s’est trompé, et que le commentaire est très succinct.
Toutefois, il faut noter que certains sondeurs ont plus tard venu voir la difficulté : notamment, dans l’un des derniers sondages réalisés avant le scrutin, le jeudi 7 juin – rappellons ici qu’en vertu de l’article de la loi il n’est pas possible de publier des sondages le jour et la veille du scrutin – Le Figaro publiait un sondage avec le titre suivant « Mélenchon en difficulé à Hénin-Beaumont » et l’on pourra ici suivre le lien suivant pour retrouver ce sondage. L’information importante de ce sondage était également reprise sur le site internet du point.
Alors, ce sondage donnait bien le trio de tête, et les sondeurs considèrent que c’est le plus important et pour la première fois M. Mélenchon était donné troisième. Ainsi, selon ce sondage, Marine Le Pen arrivait en tête avec 34 % des voix, suivie par le candidat PS à 25 % et finalement par Jean-Luc Mélenchon à 24 % puis par le candidat Modem soutenu par l’UMP, donné à 15%. Un résultat expliqué notamment par le climat très tendu de la campagne élecotorale au niveau local.
Toutefois, on peut noter que la présentation du sondage, ainsi que son commentaire, étaient assez indigents : pas d’analyse ou de commentaires sur l’abstention, pas de précisions quant au maintien possible ou non de Jean-Luc Mélenchon : sur ce point, c’est un recul sur ce qu’il aurait fallu faire notamment au regard des sondages précédents. Ici, les références à la prudence – « le sondage est à prendre avec précaution étant donné l’échantillon limité à 561 personnes et la marge d’incertitude inhérente de 2 à 4 points » – est loin d’être à la hauteur.
Ainsi, comme nous l’avons déjà écrit dans notre ouvrage et sur ce blog, le commentaire du sondeur est au moins aussi important que le sondage lui-même : ce principe fondamental ne doit pas être oublié ! Ici, il aurait sans doute été indispensable, mais sans doute aussi très sensible du point de vue de la technique sondagière, de joindre la notice de ces sondages avec les articles, comme cela a pu être fait par ailleurs. Ce qui constitue incontestablement un progrès.
Cependant, si le trio de tête a été donné, les sondeurs étaient donc encore loin de la vérité notamment concernant le score de Marine Le Pen, beaucoup plus élevé que prévu, puisqu’elle réalise 42 % des voix et non 34 % ! Attention donc aux secrets de cuisine.
Il faut donc le dire ici et on peut l’affirmer avec d’autant plus d’aisance que le présent blog, s’il se veut vigilant, ne saurait catalogué de blog « anti-sondage » comme il en existe d’autres par ailleurs : sur la 11ème circonscription du Nord, les sondeurs se sont partiellement trompés. Qu’en penser dès lors du point de vue du droit ?
Qu’en penser du point de vue du droit des sondages ?
Nous l’avons déjà écrit ici et ailleurs à de nombreuses reprises : l’art de sonder est un art difficile et la démocratie libérale, parce qu’il s’agit de liberté, implique aussi de pouvoir, voire d’avoir le droit, de se tromper. Donc, pas de procès trop facile ici sur les erreurs des sondeurs.
Toutefois, il faut nous préoccuper de dire ici ce qui est important du point de vue du droit.
Pourtant, comme on l’avait relevé sur ce blog, on pouvait se poser des questions concernant la taille de l’échantillon ou les critères de redressement au regard notamment du problème du vote caché au bénéfice de Mme le Pen. Force est de constater ici que du point de vue méthodologique, les sondeurs ne savaient pas véritablement comment faire… et la Commission des sondages non plus.
Cette décision aurait-elle pu être contestée ? Sans doute non, pour deux raisons, l’une qui se justifie sans doute et l’autre qui se justifie beaucoup moins.
En premier lieu – cette solution évoluera peut-être mais on peut la comprendre au regard des difficultés dans l’art de sonder – il faut souligner que le contrôle des décisions de rejet de la Commission des sondages est un contrôle restreint depuis l’arrêt du Conseil d’Etat… Mélenchon !… du 8 février 2012, n° 353357., que nous avons commenté dans ce blog et de manière plus complète à la RFDA.
C’est à dire que même si l’on avait voulu contester cette décision, il aurait fallu non seulement démontrer au juge notre intérêt à agir – et dans ce cas, il vaut mieux être candidat aux élections eu égard à l’interprétation restrive du juge concernant l’intérêt à agir, même si la question pourrait être discutée – mais aussi démontrer l’erreur manifeste d’appréciation de la Commission des sondages.
Ce qui est sans doute impossible, en raison du fait que le secret des affaires protège le plus sensible – mais aussi le plus pertinent concernant le problème qui nous intéresse – à savoir les critères de redressement des échantillons du point de vue politique. Comment en effet démontrer une erreur manifeste d’appréciation si on ne peut pas savoir comme le sondage est réalisé ?
Il y a donc là un biais dans le droit des sondages, et l’exemple d’Hénin-Beaumont doit nous faire réfléchir encore aux évolutions nécessaires à mettre en oeuvre dans le droit des sondages électoraux aujourd’hui. Ce blog, de ce point de vue, fourmille de propositions, et nous espérons qu’un jour certaines seront entendues afin de construire demain le droit des sondages électoraux.
Romain Rambaud