Report des élections municipales : priorité au consensus politique et parlementaire ! [R. Rambaud]

C’est dans une forme très proche des hypothèses que nous avions émises la veille sur le blog du droit électoral (maintien des élections acquises au 1er tour, report en juin ou en septembre du 2nd tour de l’élection, règles à venir sur le volet financier) que les annonces du Président de la République et du ministre de l’intérieur ont été faites hier sur le report des élections municipales.

Les annonces du Président de la République et du ministre de l’intérieur

Le Président de la République a d’abord dit « Je veux aussi ce soir adresser mes félicitations républicaines aux candidats élus au premier tour. Environ 30 000 communes sur 35 000 ont après ce premier tour un conseil municipal » : il fallait comprendre que les élections acquises au 1er tour seraient bel et bien conservées. Peu après, il indiquait le sort des communes dans lesquelles les élections n’ont pas été acquises au 1er tour : « Dans ce contexte, après avoir consulté le Président du Sénat, le Président de l’Assemblée nationale mais également mes prédécesseurs, j’ai décidé que le second tour des élections municipales serait reporté. Le Premier ministre en a informé aujourd’hui même les chefs de parti représentés au Parlement. Cette décision a fait l’objet d’un accord unanime ». Le Président de la République n’a pas donné davantage de précisions.

C’est le ministre de l’intérieur qui a, plus tard dans la soirée, donné les indications techniques précises.

Il a tout d’abord confirmé que les élections acquises au 1er tour seraient conservées : elles concernent 65 % des 43 millions d’électeurs et 30.000 communes, et on a appris que les conseils municipaux pourraient se réunir ce week-end à huit clos pour s’installer et élire les maires. Sur le plan juridique, cette solution semble logique, comme nous l’avons dit hier par exemple sur France bleu Isère, sur France Info et sur le blog du droit électoral, dans la mesure où ces élections sont déjà acquises. Ce serait au contraire les annuler rétroactivement qui pourrait poser des difficultés, au regard de la protection du droit de suffrage . C’est ce qu’a indiqué Cristophe Castaner : « Les élections qui ont été conclusives au premier tour sont acquises. Nul ne comprendrait que les résultats réguliers d’élections organisées conformément aux lois de la République, et qui ont permis de pourvoir à l’issue du premier tour les conseils municipaux, soient remis en cause. C’est l’expression de la volonté du peuple. »

Pour les remettre en cause il faudrait donc un fondement. Or, le fondement politique choisi aujourd’hui semble n’être que l’évolution de la situation sanitaire et des mesures prises pour y faire face (confinement), et non l’abstention. Dès lors, l’évolution de la situation sanitaire, si elle peut valablement justifier le report du deuxième tour, ne peut pas justifier de revenir sur le 1er tour déjà acquis. Il aurait fallu aller beaucoup plus loin, à savoir se fonder sur le caractère insincère de l’élection du 1er tour en raison de l’abstention liée l’épidémie, ce qui n’est pas le choix fait par la classe politique.

Concernant les 5000 communes restantes où un 2nd tour doit se dérouler, le ministère de l’intérieur a annoncé son report, au nom d’un consensus médical et d’un consensus politique. Il a annoncé que deux textes seraient adoptés au nom des « circonstances sanitaires exceptionnelles », faisant ainsi référence à la théorie des circonstances exceptionnelles dont nous avons montré depuis le début de la crise, sur le blog du droit électoral, qu’elles pouvaient s’appliquer au droit électoral et justifier annulation ou report des élections. Notre collègue Olivier Dupéré de l’université de la Réunion a de son côté déniché un arrêt du Conseil d’Etat admettant l’applicabilité de la théorie des circonstances exceptionnelles aux problématiques sanitaires (CE, S, 20 mai 1955 Société Lucien, Joseph et compagnie).

Les dispositifs légaux et réglementaires à venir

Le décret de convocation des électeurs va être abrogé (ce qui est en soi déjà en marge de la légalité ordinaire) et en même temps un projet de loi va être adopté en conseil des ministres pour organiser le report.

Le 2nd tour de l’élection municipale est pour l’instant prévu au mois de juin, mais un rapport devra être édicté au mois de mai pour décider si les élections peuvent se tenir ou s’il faut les reporter à plus tard, car le risque épidémique doit prévaloir (cependant, si l’élection devait avoir lieu plus tard, par exemple en septembre, on doute que les résultats du 1er tour pourraient être conservés et il faudrait dans le même temps repousser les élections sénatoriales). Cette loi va aussi prolonger les mandats en cours jusqu’à la nouvelle élection.

Il y aura ainsi deux catégories d’élus au sein des EPCI (les anciens et les nouveaux), situation transitoire qui devrait donner lieu à l’élection d’exécutifs provisoires.

Enfin, le Gouvernement sera habilité par voie d’ordonnances à s’occuper des questions techniques (opérations électorales, dépenses électorales, etc.)

Sur ce point, comme nous l’avions également suggéré, inutile de réunir tous les parlementaires pour adopter une loi de ce type : il se pourrait que cette loi de report soit la première pour laquelle on se satisferait finalement que la loi soit votée par très peu de députés et de sénateurs. On se dirige effectivement vers un petit comité : présidents de groupes plus un parlementaire par groupe. Le texte serait adopté d’abord au Sénat et ensuite à l’Assemblée Nationale.

Une inconstitutionnalité peu probable en raison de l’auto-limitation du Conseil constitutionnel et des circonstances exceptionnelles

La question est posée de savoir s’il faut craindre une inconstitutionnalité de cette loi, en raison du report et en raison de la conservation des résultats entre le premier tour et le deuxième entre le mois de mars et de juin (cependant nous pensons que la situation serait différente pour un report au mois de septembre). Nous ne le pensons pas, car nous estimons que ce qui prévaut aujourd’hui et doit prévaloir est le consensus politique et parlementaire, et que le Conseil constitutionnel adopterait cette position consistant à faire prévaloir le consensus parlementaire.

S’il était saisi (sera-t-il saisi a priori ? Il faudrait dans ce cas qu’il statue immédiatement), il jugerait probablement qu’il ne dispose pas du « même pouvoir d’appréciation que le Parlement » (ce qui est une jurisprudence classique en matière de droit de la vie politique, comme il a pu le faire par exemple dernièrement à propos des élections européennes) et qu’il existe des motifs d’intérêt général suffisants et des circonstances exceptionnelles, justifiant une adaptation non manifestement erronée du principe de la sincérité du scrutin. On pourrait aussi imaginer qu’il transpose ici sa jurisprudence sur les circonstances exceptionnelles rendues en matière électorale en 1973 à propos d’une élection législative à la Réunion, que nous avions citée déjà au tout début de la crise et ayant admis le report d’une élection législative pour cause de cyclone en raison des « circonstances exceptionnelles », au contrôle de constitutionnalité de loi.

Tout dans sa jurisprudence indique que le Conseil constitutionnel ne remettrait pas en cause le choix politique des parlementaires, même s’il présente par nature un caractère imparfait.

L’appréciation sur le fond : la nécessité absolue aujourd’hui de faire prévaloir le consensus politique et parlementaire

Sur le fond, concernant l’appréciation que l’on peut faire de tout cela, il nous semble qu’à ce stade, quelque soient les réserves ou les critiques que l’on peut émettre sur la situation où nous nous trouvons et les choix politiques qui sont faits, il est certain qu’il faut absolument préserver le consensus politique qui va être trouvé.

En effet, il faut répéter que le code électoral ne prévoit rien pour ce genre de circonstances exceptionnelles. Dans sa décision de 1973 relative à une élection législative à la Réunion, le Conseil constitutionnel s’en était d’ailleurs explicitement plaint, considérant « qu’il est (…) regrettable que la loi n’ait pas prévu l’autorité compétente pour tirer les conséquences de circonstances exceptionnelles de la nature de celles qui sont survenues à la Réunion les 10 et 11 mars 1973 ». Cela signifie donc qu’il faut impérativement une loi pour faire face à la situation et revenir autant que possible à la normale.

Si les parlementaires n’arrivaient pas à tenir un consensus, cela obligerait le Gouvernement à prendre ses responsabilités, c’est à dire à prendre un décret de report des élections et prolongeant le mandat des conseillers municipaux en cours. Ce décret serait forcément illégal car contraire au code électoral (qui prévoit le renouvellement des conseils municipaux en mars et ne peut allonger la durée du mandat des conseillers municipaux) ce qui dramatiserait la situation. Ce décret pourrait cependant être accepté par le juge administratif dans le cadre de la théorie des circonstances exceptionnelles, mais on se situerait ici très en marge de la légalité, ce qui ne manquerait pas d’être critiqué et d’ajouter de la crise à la crise.

Quoi qu’imparfaite, la solution de consensus qui sera adoptée par le Parlement est donc par définition la meilleure possible. De son côté, le Conseil constitutionnel tiendra sans doute compte des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons et ne remettra probablement pas en cause ce consensus parlementaire. Les temps qui sont les nôtres appellent non les divisions, mais l’unité nationale.

Espérons que le Gouvernement, nos députés et nos sénateurs seront à la hauteur des enjeux.

Romain Rambaud