Révélations du Canard enchaîné : la douteuse manœuvre de Thierry Mariani pour se rendre éligible en PACA et les risques d’annulation de l’élection régionale [R. Rambaud]

Nota : cet article a été publié la première fois le mercredi 2 juin, puis mis à jour le 8 juin après discussion le 4 juin avec le journaliste du Canard Enchaîné, qui a indiqué que T. Mariani est bien inscrit sur les listes d’Avignon (et non qu’il a demandé son inscription) grâce à cette fausse domiciliation, ce qui explique au demeurant son éligibilité lors des élections municipales d’Avignon, dans la mesure où pour les élections municipales, à la différence des élections régionales, le fait d’être sur les listes électorales rend éligible. Par ailleurs, une jurisprudence confirmant le contrôle du Conseil d’Etat sur les manœuvres à l’éligibilité malgré l’enregistrement formel du bail aux impôts a été ajoutée, ce qui renforce la démonstration.

C’est un tweet qui, hier, ne pouvait pas passer inaperçu :

Le Canard enchaîné qui annonce, en PACA, la « domiciliation bidon de Thierry Mariani ». De quoi faire sauter de sa chaise un spécialiste de droit électoral, car à lire ce Tweet, il se pourrait que Thierry Mariani soit tout simplement… inéligible aux élections régionales de PACA.

A la lecture de l’article complet, il semble cependant qu’il pourrait être éligible sur la corde raide, au prix cependant d’une manœuvre fort douteuse, via l’assujetissement à la taxe d’habitation, tout dépendant alors de l’effectivité de l’enregistrement du bail auprès des services fiscaux avant le 1er janvier 2021, à condition que le bien soit redevable de la taxe d’habitation, et de l’appréciation du juge électoral quant à l’existence d’éventuelles manœuvres ayant pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. On trouvera également sur le site du Parisien une présentation de cette polémique naissante.

Ces révélations auront sans doute des conséquences politiques mais peut-être aussi des suites juridiques : il serait tout à fait possible que ce point soit porté devant les tribunaux, surtout en cas de victoire de Thierry Mariani en PACA. Explications, en droit et en fait sur la base des éléments publiés aujourd’hui dans le Canard Enchaîné.

Les critères généraux d’éligibilité aux élections régionales

Pour ce qui concerne les élections régionales, l’article L. 339 du code électoral dispose que « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection, qui sont domiciliés dans la région ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d’une des contributions directes au 1er janvier de l’année dans laquelle se fait l’élection, ou justifient qu’ils devaient y être inscrits à ce jour ».

Il résulte de ce texte deux critères cumulatifs : il faut d’une part avoir la qualité d’électeur et d’autre part disposer d’un lien de rattachement suffisant avec la collectivité territoriale (Memento, Elections régionales et des assemblées de Guyane et Martinique des 13 et 20 juin 2021, p. 14, v., Memento, Elections régionales et des assemblées de Guyane et Martinique des 13 et 20 juin 2021, p. 14, disponible sur le site du ministère de l’intérieur). Ce lien de rattachement se justifie cependant quant à lui selon des critères alternatifs : soit le candidat est domicilié dans la région, soit il y dispose d’un lien de rattachement fiscal. Le droit français exige en effet qu’il faut « avoir une attache avec la région, c’est-à-dire y être domicilié ou inscrit fiscalement » (Memento, p. 10.)

Le candidat doit avoir la qualité d’électeur… mais peu importe où en France : pourquoi Thierry Mariani pourrait ne pas voter en PACA le jour J mais être éligible

En premier lieu,  « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection ». Ce texte pose une question que la jurisprudence et la pratique ont du trancher : la condition d’électeur signifie-t-il qu’il faut être électeur spécifiquement dans une commune de la région ou qu’il faut simplement disposer de la qualité d’électeur en général ?

Aujourd’hui, la doctrine du ministère de l’intérieur et la jurisprudence (CE, El. Reg. de Provence-Alpes-Côte d’Azur, 16 fev. 2005n°266322 ; CE, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, 27 mai 2016, n°395414) sont alignés. La qualité d’électeur en général suffit : il n’est pas nécessaire d’être électeur dans la région pour y être éligible, il suffit d’avoir la qualité d’électeur tout court. Le mémento du candidat pour les élections régionales précise ainsi à propos de la commune d’inscription sur la liste électorale qu’ « il n’est pas nécessaire que cette commune soit située dans le ressort de la région où il est candidat » (Memento, p. 14. Même solution dans le Guide du candidat de 2015).

Le fait, le cas échéant, d’être inscrit sur les listes électorales dans la région présente cependant un avantage. En effet, il ressort du guide du candidat et des formulaires CERFA de candidature que l’inscription sur une liste électorale dans la région permet sur le plan administratif, c’est à dire en pratique au moment de l’enregistrement de la candidature à la préfecture, de présumer le lien de rattachement avec la collectivité territoriale. Le guide dispose ainsi que « L’attache régionale est démontrée par (art. R. 109-2 par renvoi des art. R. 183 et R.351) – le domicile indiqué sur l’attestation d’inscription sur les listes électorales fournie pour démontrer la condition d’électeur » (p. 14). Cependant, il ne s’agit ici que d’une présomption administrative permettant d’enregistrer la candidature, laquelle ne s’impose pas au juge électoral.

D’après le Canard enchaîné, Thierry Mariani n’est pas inscrit sur les listes électorales d’Avignon, les nouvelles listes électorales devant être publiées en fin de semaine. Et, si sa domiciliation est douteuse, il pourrait en effet être possible que Thierry Mariani ne soit pas inscrit sur ces listes, car la domiciliation doit être effective, tandis qu’au titre de la taxe d’habitation il faut en effet 2 années consécutives d’inscription au rôle. De quoi faire scandale sur le plan politique en effet, au risque que Thierry Mariani ne puisse même pas voter le jour J en PACA pour lui-même ! Dans cette hypothèse, pas de traditionnelle photo, alors, les dimanche 20 et 27 juin, de Thierry Mariani en train de voter en PACA.

Nota du 8 juin : après discussion avec le journaliste du Canard, T. Mariani serait bien inscrit sur ces listes mais un recours contre les listes électorales d’Avignon serait en préparation contre la liste. Cela cependant ne change rien à l’affaire sur le plan du droit comme l’indiquent les éléments ci-dessous et parce que pour les élections régionales, l’inscription sur une liste électorale de la région est indifférente à la question de l’éligibilité.

Cependant, contrairement à ce qu’indique le Canard, cela ne suffirait pas à le rendre inéligible, car l’inscription sur les listes électorales de la région n’est pas nécessaire pour être éligible dans une région. Il suffit d’être inscrit sur une liste électorale n’importe où. Par ailleurs, même si une personne n’est pas inscrite sur une liste électorale, il suffit de démontrer qu’elle devrait l’être quelque part : « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection ». Ceci se prouve avec une pièce d’identité et un extrait de casier judiciaire démontrant l’absence de perte des droits civiques.

Un candidat qui ne vote pas et qui pourrait être éligible… C’est possible, car la qualité d’électeur en général suffisant, il suffit de prouver une attache avec la région, qui se prouve soit par la domiciliation, soit par un rattachement fiscal.

La 1ère hypothèse d’attache avec la région, la domiciliation : une absence de « domicile réel » à Avignon reconnue par Thierry Mariani lui-même

L’article L. 339 du code électoral dispose d’abord que « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection, qui sont domiciliés dans la région« . Le domicile est donc la 1ère hypothèse d’attache régionale.

Le « domicile réel » (Cass. civ., 4 mars 2008, n° 08-60206), défini par le Code civil comme le lieu où la personne a « son principal établissement » (code civil article 102), est l’endroit où se trouve le lieu d’habitation ordinaire (Cass. civ., 8 mars 1995, Bull. civ. II, n° 78). Alors qu’une personne peut avoir plusieurs lieux de résidence, la jurisprudence considère qu’elle ne peut avoir qu’un seul domicile réel. Seul le caractère réel du domicile est pris en compte : la conservation de centres d’intérêts, de famille ou de biens n’ont pas pour effet de caractériser le domicile, pas davantage que la présence d’autres liens matériels, moraux, pécuniaires et sentimentaux (Cass. civ., 8 juill. 1992, 2 arrêts, Bull. civ. II, n° 197 et n° 198 ; 2 mars 2001, n° 01-60226). En matière de droit électoral, il est fondamental de noter que le candidat n’a pas le libre choix de décider où est son domicile : la Cour de cassation a considéré que l’article 8 de la conv. EDH garantissant le droit au domicile et le libre choix du domicile personnel n’est pas opposable efficacement aux règles impératives de domiciliation du droit électoral (Cass., Civ., 2 mars 2001, n°01-60226).

Le lieu du domicile n’est donc pas à la seule appréciation du candidat mais bien des autorités administratives et du juge.

Ainsi sur le plan administratif de l’enregistrement de la candidature, le guide du candidat considère que si le domicile n’est pas indiqué sur l’attestation d’inscription des listes électorales (voire, mais sur ce point le guide de 2015 était plus clair et plus net que celui de 2021, sur les pièces d’identités fournies), le candidat peut apporter en préfecture un justificatif de domicile « de nature à emporter la conviction de la préfecture (ex : facture récente établie au nom du candidat par un organisme de distribution d’eau, de gaz, d’électricité, par un fournisseur internet ou par une assurance habitation et correspondant à une adresse dans la région) ». Cela signifie donc que si la préfecture n’est pas convaincue de la réalité du domicile, elle peut refuser d’enregistrer la candidature pour absence d’éligibilité du candidat, et inversement.

Sur le plan contentieux (il s’agirait ici d’un contentieux électoral a posteriori, car l’enregistrement de la candidature, à la différence du refus d’enregistrement, n’est contestable que dans le cadre du recours contre les élections une fois que celles-ci se sont déroulées), le juge est souverain. Il arrive ainsi de façon très concrète que des personnes soient déclarées inéligibles et voient leur élection annulées par le juge qui considère que leur domicile est ailleurs. On peut rappeler ici le précédent de Dominique Reynié, tête de liste Les Républicains dans la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (Occitanie), dont l’élection a été annulée car le Conseil d’Etat l’avait considéré comme inéligible car non domicilié dans la région : il résultait de l’examen des faits que M. Reynié avait son principal établissement en région parisienne et non dans la région concernée, eu égard aux conditions sommaires de son installation à Onet-le-Château (bail conclu avec sa mère après le 1er janvier) et à la courte durée de son habitation dans cette commune au jour de l’élection, ne lui conférant pas un caractère suffisant de stabilité (CE, 27 mai 2016, n°395414, 395572).

En l’espèce, d’après le Canard Enchainé, Thierry Mariani dispose donc d’une « domiciliation bidon ». Il semble ainsi qu’il ait déclaré son domicile à Avignon « dans une rue excentrée et peu fréquentée » :

« un studio, au rez de chaussée d’une maisonnette ne comprenant quasiment que des appartements Airbnb », « volets fermés, aucun nom sur la sonnette, pas le moindre voisin dans la rue capable de se souvenir d’avoir un jour croisé ici Thierry Mariani ».

Article du Canard Enchaîné

Thierry Mariani le reconnait lui-même :

« Je n’y passe pas ma vie, c’est vrai, mais j’y ai dormi quelques fois ».

Thierry Mariani au Canard Enchaîné

Insuffisant pour démontrer la domiciliation, tant pour les listes électorales que pour justifier de son éligibilité. Ce n’est donc pas sur ce fondement que Thierry Mariani pourrait se rendre éligible aux élections régionales.

La 2ème hypothèse d’attache avec la région, le rattachement fiscal : taxe foncière ou taxe d’habitation

L’article L. 339 du code électoral dispose ensuite que « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale (…) ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d’une des contributions directes au 1er janvier de l’année dans laquelle se fait l’élection, ou justifient qu’ils devaient y être inscrits à ce jour ».

Cela signifie que l’éligibilité est dans ce cas liée au fait que le candidat est redevable dans la région d’une contribution directe locale au 1Er janvier de l’année, qu’il y est inscrit au rôle fiscal ou devrait y être inscrit en raison soit de la date d’acquisition d’un bien antérieure au 1er janvier (plus précisément, sur le rôle fiscal d’une commune de la région), soit d’une habitation antérieure au 1er janvier, c’est à dire qu’il convient d’établir par date certaine la redevabilité à la taxe, soit par un acte notarié, soit par un enregistrement auprès des services fiscaux (CE, 29 juillet 2002, n°235916). Le guide du candidat précise qu’en pratique, la preuve de l’attache fiscale peut être : la taxe d’habitation ; les taxes foncières (bâties ou non bâties) ; la cotisation foncière des entreprises (CFE) (p. 14).

Ainsi, lors du dépôt de déclaration de candidature, pour établir l’attache fiscale avec la région, si l’intéressé n’est pas domicilié dans la région, il est prévu qu’il doit fournir (art. R. 109-2 par renvoi des art. R. 183 et R.351) :

– soit un avis d’imposition ou un extrait de rôle, délivré par la direction départementale des finances publiques, qui établit que l’intéressé est inscrit personnellement au rôle des contributions directes d’une commune de la région au 1er janvier 2021 ;

– soit une copie d’un acte notarié établissant que l’intéressé est devenu, dans l’année précédant celle de l’élection, soit en 2020, propriétaire d’un immeuble dans la région ou d’un acte notarié ou sous-seing privé enregistré au cours de la même année établissant que l’intéressé est devenu locataire d’un immeuble d’habitation dans la région ;

– soit une attestation notariée établissant que l’intéressé est devenu propriétaire par voie successorale d’une propriété foncière dans la région depuis le 1er janvier 2021 ;

– soit une attestation du directeur départemental des finances publiques établissant que l’intéressé, au vu notamment des rôles de l’année précédant celle de l’élection et des éléments que celui-ci produit, et sous réserve d’une modification de sa situation dont l’autorité compétente n’aurait pas eu connaissance, justifie qu’il devait être inscrit au rôle des contributions directes dans la région au 1er janvier 2021.

Le rattachement fiscal donne donc droit, en France, à l’éligibilité. Deux taxes rendent éligibles principalement : la taxe foncière, pour les propriétaires, et la taxe d’habitation, pour les locataires, dès lors qu’on rempli correctement certaines conditions.

Il avait déjà été évoqué sur le blog l’hypothèse de la taxe foncière pour les propriétaires, puisque c’est la situation dans laquelle se trouve E. Dupond-Moretti, sur la situation duquel un article avait été écrit ici. Dans cette hypothèse il s’agit du maintien d’une conception « propriétariste » de l’éligibilité au niveau local, c’est à dire que la propriété confère « par nature » un lien avec la collectivité. Le citoyen-propriétaire a un lien établi avec la collectivité locale qui ne peut être remis en question, d’où l’absence d’analyse de la manœuvre par la jurisprudence (sauf sans doute des cas très particuliers comme des clauses d’annulation rétroactive de l’acquisition d’un bien), à la différence sur ce point du locataire (CE, El. Reg. de Provence-Alpes-Côte d’Azur, 16 fev. 2005n°266322). En effet le juge se contente de la date certaine de l’acquisition, quand bien même le bien serait enregistré tardivement (v., pour l’acquisition d’un terrain sur le territoire de la commune un 27 décembre 1988 pour une élection se déroulant en 1989, CE, El. Mun. de la Foa, 9 mai 1990, n°107967). Dans ce cas il s’agit d’un cas tout à fait légal, qui ne posait au demeurant pas de difficulté politique concernant E. Dupond-Moretti au regard de l’ancienneté de son acquisition (v. l’article du blog du droit électoral).

Cependant, Thierry Mariani, c’est fort imprudent, ne dispose plus de biens en PACA d’après le Canard Enchaîné :

« depuis belle lurette, [il] a quitté le Vaucluse et y a vendu tous ses biens immobiliers »

Article du Canard enchaîné

Ce n’est donc pas sur le fondement de la taxe foncière qu’il a pu se rendre éligible. Or, la situation est plus compliquée concernant la manœuvre à la taxe d’habitation, plus douteuse politiquement et plus incertaine juridiquement.

La douteuse manœuvre à la taxe d’habitation soumises à des conditions précises contrôlées par le juge de l’élection : date certaine, assujetissement à la taxe d’habitation, et absence de manœuvre ayant pour effet de porter atteinte à la sincérité de l’élection

Même si cela relève des choses cachées des élections que le grand public ignore en général (v. R. Rambaud,  «Les choses cachées du droit électoral des élections municipales », in S. Ferrari, R. Rambaud, Droit électoral et droit des collectivités territoriales, BJCL, n°12/2020, p. 862) et qui ne sont connues que des initiés, tous les spécialistes de droit électoral vous le diraient : pour se rendre éligible à un endroit où on ne possède pas de domicile, il faut acheter un bien devant le notaire avant le 1er janvier de l’année de l’élection. C’est la seule solution certaine. La domiciliation ou l’assujetissement à la taxe d’habitation sont des solutions beaucoup plus incertaines qui comportent d’importants risques. De ce point de vue, l’absence d’intérêt porté par certaines personnalités politiques à des questions aussi fondamentales reste et restera toujours totalement sidérante, même si elle n’étonne plus guère ceux qui fréquentent régulièrement ce milieu là, hélas.

C’est pourtant la solution douteuse et incertaine de la taxe d’habitation qui a été choisie par Thierry Mariani, à l’époque selon le Canard Enchaîné pour se rendre éligible aux élections municipales à Avignon en 2020, assujetissement à la taxe d’habitation qui selon nous était d’ailleurs douteux juridiquement et n’aurait pas du le rendre éligible. Mais il ne s’agissait alors que de le placer en 22ème rang sur la liste : le risque n’était pas du tout le même que pour la tête de liste des élections régionales en PACA !

Une autre question pourrait se poser : l’article L. 229 du code électoral dispose que « Les députés et les sénateurs sont éligibles dans toutes les communes du département où ils ont été candidats ». Cependant cette disposition ne semble pas applicable aux députés européens, dans la mesure où la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen renvoie au « titre Ier du livre Ier du code électoral » là où l’article L. 229 figure dans le titre IV, et le chapitre III de la loi de 1977 relative aux critères d’éligibilité ne rend pas applicable aux élections européennes l’article L. 229 en n’y faisant pas référence. Enfin le terme du texte « dans toutes les communes du département où ils ont été candidats » ne s’applique pas aux députés européens élus dans le cadre d’une circonscription nationale.

Nota du 8 juin : cependant, si Thierry Mariani est inscrit sur les listes électorales d’Avignon, cela le rend automatiquement éligible aux élections municipales, à la différence des élections régionales, ce qui explique alors qu’à l’époque il ait pu enregistrer sa candidature en préfecture aux élections municipales.

D’après le Canard Enchainé, c’est la candidate à la mairie d’Avignon Anne-Sophie Rigault qui avait loué son appartement à Thierry Mariani :

« Anne-Sophie Rigault (…) a mis son studio meublé à la disposition de son ami Mariani, lui fournissant un joli bail, déposé aux services fonciers d’Avignon le 20 janvier 2020 ».

Article du Canard Enchaîné

Pour les élections municipales, on peut considérer que ce dépôt était trop tardif car postérieurement au 1er janvier 2020, mais cela aurait bien pu préparer convenablement le terrain pour les élections régionales de l’année suivante…

Il reste cependant qu’une telle inscription à la taxe d’habitation répond à des conditions strictes que le juge électoral vérifie.

La vérification de la date certaine : la question de l’enregistrement

En effet, le juge électoral est compétent pour examiner l’inscription au rôle car ce dernier est un document administratif (CE, 29 juill. 2002, n° 240049, Él. mun. de Vitry-le-François). Le juge contrôle avec rigueur tant le respect de la date du 1er janvier que le fait que la nature du bien implique son imposition à la taxe d’habitation, c’est-à-dire que le bien est effectivement meublé et destiné à l’habitation.

La taxe d’habitation répond d’abord au principe de la date certaine, que le juge vérifie (CE, El. Mun d’Eyne, 7 juin 1972, n°83870). Si un acte notarié a forcément date certaine, la production d’un acte sous seing privé doit avoir été enregistré auprès des impôts avant le 1er janvier. Si ce n’est pas le cas, la taxe d’habitation n’a pas date certaine et donc la personne n’est pas éligible : il faut donc prouver qu’on s’est rendu aux impôts pour faire enregistrer le bien avant le 1er janvier de l’année de l’élection, c’est à dire remplir la formalité de l’enregistrement, de sorte qu’il faut une excellente connaissance du système (CE, 30 mars 1984, n°52142 ; CE 31 juil. 2009, n°317822 ; CE, 17 juin 2015, n°382880). En effet sinon de jurisprudence constante, l’attestation des services fiscaux ne suffit pas seule pour justifier de l’éligibilité et il faut la déterminer par ailleurs par des documents ayant date certaine, parce que ces attestations fiscales sont postérieures (CE, 29 juil. 2002, n°239363 ; CE, 29 juil. 2002, n°236146 ; CE, 13 nov. 1996, n°173431). Pour justifier la date certaine il faut donc avoir des biens antérieurs enregistrés officiellement.

Il est donc possible de manœuvrer ici mais il faut une très bonne connaissance de ces subtilités légales : acte notarié ou enregistrement auprès des impôts avant le 1er janvier de l’année de l’élection. En l’espèce, c’est donc le fait d’avoir accompli cette formalité en… janvier 2020, d’après le Canard Enchaîné, qui pourrait « sauver le soldat Mariani » sur la corde raide.

« Anne-Rigault (…) a mis son studio meublé à la disposition de son ami Mariani, lui fournissant un joli bail, déposé aux services fonciers d’Avignon le 20 janvier 2020″.

Article du Canard Enchaîné, nous soulignons

Ce dépôt permettrait ainsi de garantir la date certaine de l’assujetissement à la taxe d’habitation antérieur au 1Er janvier 2021 et donc l’inscription au rôle de M. Mariani pour l’année 2021, ce qui semble-t-il a été confirmé par le service des impôts local. Cependant, on constate que l’émission du rôle est ici postérieure au 1er janvier 2021 : tout dépendra donc de la réalité de la démarche d’enregistrement le 20 janvier 2020 comme indiqué par le Canard Enchaîné. Celle-ci semble avoir réalisé, le Canard Enchaîné fournissant un reçu en date du 20 janvier 2020 contre un enregistrement de 25 euros. C’est ce point qui fonde juridiquement l’éligibilité de M. Mariani.

« Monsieur le Député, nous avons émis hier un rôle de taxe d’habitation pour l’appartement que vous louez rue du Rempart-Saint-Lazare à Avignon. Vous êtes donc bien enregistré chez nous ».

Le directeur départemental des finances publiques du Vaucluse, d’après le Canard Enchaîné.

La vérification de l’assujetissement du bien à la taxe d’habitation

Ensuite, le juge vérifie que le bien répond aux critères pour être soumis à la taxe d’habitation, c’est-à-dire que le bien est effectivement meublé et destiné à l’habitation, ce qui avait déjà conduit en 2005 au constat de l’inéligibilité de… Jean-Marie Le Pen… en PACA (CE, El. Reg. de Provence-Alpes-Côte d’Azur, 16 fev. 2005n°266322).

Ce critère peut être apprécié avec souplesse , mais ne suffisent pas à le satisfaire la location d’un garage qui ne constitue pas une dépendance de l’habitation principale, d’un bureau, ou d’une maison comportant des chambres louées à plusieurs membres d’une liste aux seules fins de rendre ces personnes éligibles dans la commune, dans la mesure où il n’est pas établi que ledit local constituait à lui seul un local d’habitation lui donnant vocation, en application des articles 1407 et 1408 du code général des impôts, à être inscrit au rôle de la taxe d’habitation de la commune, alors même dans ce dernier cas que le bail avait été enregistré au service des impôts (CE, 29 juill. 2002, n° 240049, Él. mun. de Vitry-le-François). En l’espèce, le studio était semble-t-il meublé et valablement soumis à la taxe d’habitation : cependant le juge pourrait -il estimer que ce bien, au regard de ces caractéristiques, n’avait pas à y être soumis réellement ?

La vérification de l’absence de manœuvre ayant eu pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin

Enfin, et ce point pourrait poser de sérieux problèmes à Thierry Mariani, dans le cas de figure de la taxe d’habitation (à la différence en pratique de la taxe foncière), le juge électoral peut vérifier en tout état de cause l’existence de manœuvres ayant eu pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. On peut en trouver plusieurs exemples.

Certes, dans certain cas, le juge a accepté sans coup férir l’enregistrement validant en tout état de cause l’éligibilité, sans contrôle (Conseil d’Etat, 18 décembre 1996, n°177020). Cependant la jurisprudence ultérieure a mis en œuvre un contrôle.

Ainsi, dans une affaire de 2002, le Conseil d’Etat, pour les élections municipales de Château-Thierry, estimait que « Considérant que treize colistiers de la liste conduite par Mme Y… se sont prévalus de la conclusion de baux d’habitation signés le 15 décembre 2000 et enregistrés le 27 décembre 2000 pour soutenir qu’ils devaient être inscrits au rôle des contributions directes de la commune le 1er janvier 2001 (…) Considérant qu’il résulte de l’instruction que les treize baux en cause, qui ont la même présentation, ont été signés et enregistrés à la même date ; qu’ils portent sur une seule pièce et prévoient un loyer très modeste ; qu’eu égard à la nature et à la consistance des locaux ainsi loués, dont plusieurs se situent dans un immeuble dont le propriétaire a sollicité, quinze jours après la signature du bail, puis obtenu une autorisation de démolir, la conclusion de ces baux présente le caractère d’une manœuvre qui, compte tenu du nombre des voix qui a permis à la liste de Mme Y… de se maintenir au second tour de scrutin, a été de nature à altérer le résultat de l’élection ». Donc il y a bien un contrôle des manœuvres de nature à altérer la sincérité du scrutin. Au demeurant dans cette affaire, c’est bien la manœuvre à l’éligibilité qui a été sanctionnée, l’écart de voix étant de 198, très supérieure donc au nombre de colistiers concernés (CE, El. Mun. de Château-Thierry, 29 juillet 2002, n°239440).

En outre, dans une autre affaire en 2015, le Conseil d’Etat avait estimé que « Il résulte de l’instruction que, par un bail conclu le 30 juin 2013 et déclaré par le propriétaire à l’administration fiscale le 4 décembre 2013, Mme B…a loué, dans la commune de Froissy un local meublé affecté à l’habitation au sens des dispositions de l’article 1407 du code général des impôts. Elle justifiait ainsi, comme l’a d’ailleurs reconnu le directeur départemental des finances publiques de l’Oise dans l’attestation qu’il lui a délivrée le 8 février 2014 en application des dispositions de l’article R. 128 du code électoral, devoir être, au 1er janvier 2014, inscrite au rôle des contributions directes de la commune de Froissy, à raison de la taxe d’habitation. Sont sans incidence, à cet égard, les circonstances, alléguées par Mme E…et non contestées en défense, que ce local exigu ne serait pas le domicile réel de Mme B…et qu’il serait situé dans un immeuble détenu par une société civile immobilière dont l’un des gérants serait son époux et que ce dernier utiliserait pour les besoins de son activité professionnelle en tant que médecin libéral. Par ailleurs, il ne résulte pas de l’instruction que ces circonstances seraient constitutives d’une manœuvre ayant pu altérer la sincérité du scrutin. Mme B…remplissait donc l’une des conditions fixées à l’article L. 228 du code électoral pour être éligible dans la commune de Froissy. Il résulte de ce qui précède que Mme E…n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, pour ce motif, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté sa protestation » (CE, El. Mun. de Froissy, 17/06/2015, n°382880).

Si dans le cas d’espèce de 2015 et malgré les conditions douteuses, le juge n’avait pas retenu l’existence d’une manœuvre ayant pu altérer la sincérité du scrutin, il pourrait donc en aller autrement dans le cas où cela est justifié par les circonstances de l’espèce. L’analyse de la manœuvre apparait en effet dans cet arrêt distincte du seul contrôle formel de l’éligibilité, comme en témoigne la mention « Par ailleurs, il ne résulte pas de l’instruction« . A contrario, cela signifie que par ailleurs, le juge examine s’il résulte de l’instruction ou non que ces circonstances seraient constitutives d’une manœuvre ayant pu altérer la sincérité du scrutin ! Cet arrêt peut donc se lire a contrario, suivant les circonstances de l’espèce. Cela semble d’autant plus possible que dans cet arrêt, la mise en œuvre de l’article L. 118-4 relatif aux manœuvres frauduleuses n’était pas demandé, de sorte que cette phrase n’était pas une réponse directe aux requérants : le juste a examiné ici s’il résultait de l’instruction que ces circonstances étaient ou non constitutives de manœuvres ayant eu pour effet d’altérer la sincérité du scrutin.

Le résultat dépendrait alors sans doute de plusieurs éléments : l’écart de voix dans l’hypothèse où T. Mariani gagnerait l’élection, le niveau de discussion autour de cette polémique pendant le débat électoral, les conditions d’enregistrement du bail (location de la part de l’ancienne tête de liste RN), caractère réel de la destination de l’immeuble à l’habitation au regard de son caractère meublé ou non, etc., et bien sûr la question de savoir jusqu’où le juge électoral s’autoriserait à aller dans l’appréciation de la sincérité du scrutin.

On peut rapprocher cette hypothèse du contrôle de l’assujetissement à la taxe d’habitation. Pour rappel, n’a pas été considéré comme suffisant pour rendre éligible l’habitation dans une chambre d’une maison comportant des chambres louées à plusieurs membres d’une liste, dans la mesure où il n’est pas établi que ledit local constituait à lui seul un local d’habitation lui donnant vocation, en application des articles 1407 et 1408 du code général des impôts, à être inscrit au rôle de la taxe d’habitation de la commune, alors même dans ce dernier cas que le bail avait été enregistré au service des impôts (CE, 29 juill. 2002, n° 240049, Él. mun. de Vitry-le-François). Il s’agit là aussi, au moins implicitement, de sanctionner l’existence d’une manœuvre à l’éligibilité.

La recherche de manœuvres à l’habitation est par ailleurs courante quand il s’agit de s’inscrire sur les listes électorales, ce qui peut rejaillir au demeurant sur l’absence d’éligibilité (Conseil d’État, 1ère / 6ème SSR, 29/04/2015, n°385344). Ce qui est possible pour les listes électorales devrait l’être pour les critères d’éligibilité, comme le montre l’arrêt de 2015 précité.

La taxe d’habitation n’est donc jamais un moyen totalement certain d’assurer son éligibilité, à la différence de la taxe foncière, pour laquelle le juge ne vérifie pas les manœuvres en raison de la conception propriétariste de l’éligibilité locale, et aussi plus prosaïquement parce qu’il existe des actes notariés (il semble pas, d’après l’article du Canard Enchaîné, qu’il y ait un acte notarié).

La question est dès lors la suivante : quand bien même le bail aurait-il effectivement été enregistré en 2020, le juge pourrait-il voir dans les conditions de conclusion de celui-ci, malgré tout, une manœuvre ayant eu pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ?

Une manœuvre ayant pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin de nature à entraîner l’annulation de l’élection si T. Mariani gagne en PACA ?

Les manœuvres à la domiciliation et à l’imposition sont contrôlées par le juge électoral et peuvent, lorsqu’elles sont caractérisées, avoir pour effet soit la seule annulation de l’élection de la personne non éligible (CE, 31 juillet 2015, El. Mun. de Thonon les Bains, n°385594 ; CE, 27 mai 2016, n°395414, 395572 pour l’annulation de l’élection de Dominique Reynié), soit l’annulation de la totalité de l’élection lorsque les circonstances de l’espèce le justifient, dès lors que la personne en question dispose d’une certaine notoriété et que sa présence a pour objet d’apporter des voix de façon significative à la liste, dès lors que l’écart de voix entre les listes est faible et que la présence de cette personne inéligible a donc pu être de nature à affecter la sincérité du scrutin .

On peut prendre plusieurs exemples. Ainsi pour les élections municipales de la Gardanne de 2014 la totalité de l’élection a été annulée car « M. BI…, qui a créé et dirigeait alors une importante unité de soins palliatifs installée à Gardanne, appelée  » La Maison « , jouissait d’une réelle notoriété au niveau local, qu’il présidait le comité de soutien à la réélection de M. B… et qu’une place importante, notamment sous la forme d’articles de presse comportant des photographies, lui a été accordée lors de la campagne électorale » (CE, 09 juin 2015, El. Mun. de la Gardanne, n°385735). Aux élections municipales de 2011 d’Aytré, l’élection a été totalement annulée car « M. Y…, placé en troisième position sur la liste conduite par M. X…, bénéficiait, dans le contexte politique local, du fait de son appartenance partisane notamment, d’une notoriété de nature à influencer le vote de certains électeurs dans la commune d’Aytré ; qu’il a été présenté, lors de la campagne, comme destiné à occuper les fonctions d’adjoint au maire en charge du développement culturel ; qu’eu égard au faible écart entre le nombre de voix obtenues par la liste « Ensemble pour Aytré avec la gauche » et la majorité absolue des suffrages exprimés nécessaire pour que l’élection soit acquise dès le premier tour du scrutin, sa présence irrégulière sur cette liste a été de nature à altérer la sincérité du scrutin » (CE, 29 juillet 2002, El. Mun. d’Aytré, n°235916)

En l’espèce, il est incontestable que Thierry Mariani se trouve dans le cas de figure d’une possible annulation totale si le juge devait considérer qu’une manœuvre est caractérisée : ancien ministre de Nicolas Sarkozy, sa présence en tête de liste s’inscrit dans une logique politique globale de recherche de respectabilité et est donc politiquement cruciale pour le Rassemblement National, la région PACA présentant un intérêt stratégique fondamental. En cas d’écart de voix assez faible s’il gagne, le juge pourrait considérer que les conditions de son éligibilité (location d’un studio certes meublé et certes enregistré en 2020 mais dans un immeuble appartenant à une membre du RN auparavant candidate à une élection à la seule fin de se faire rendre éligible) relèvent d’une manœuvre ayant eu pour objet et pour effet de fausser la sincérité du scrutin et annuler les élections régionales en PACA… La question pourrait en tout cas être très sérieusement discutée au contentieux.

A l’inverse, si l’écart de voix est fort, il jugera probablement l’inverse, considérant que les électeurs auraient voté RN en tout état de cause et que ceci n’a pas eu d’influence sur le résultat, a fortiori si la polémique est très discutée pendant la campagne. Le juge électoral fait souvent preuve de réalisme et, en cas d’écart de voix fort, considère qu’il n’y a pas lieu de refaire l’élection.

Conclusion

Les révélations du Canard Enchaîné, par les questions politiques mais aussi juridiques qu’elles soulèvent, et qui ne connaitront de réponse potentiellement qu’après le dépôt d’une protestation électorale et l’arrêt du Conseil d’Etat, constituent donc potentiellement une véritable bombe. A voir si celle-ci explosera et quelle serait dans ce cas l’étendue de la déflagration.

Romain Rambaud