Polémique du « voile LREM » : retour à froid sur les questions de fond intéressantes en droit électoral [R. Rambaud]

Tout le monde a bien vu la polémique d’hier sur l’affiche électorale ci-dessus, concernant deux candidat.e.s et deux suppléant.e.s se présentant aux départementales sur un canton de Montpellier pour la République en Marche, la suppléante figurant voilée sur l’affiche électorale.

Le délégué général de LaRem a annoncé – on ne reviendra pas sur le contexte lié à la twittosphère – que ces candidats perdraient l’investiture En Marche s’ils ne renonçaient pas à ce que la candidate ne figure plus avec un voile sur l’affiche électorale, au nom des valeurs de LaRem selon lesquelles les signes religieux ostentatoires ne doivent pas figurer sur les documents de campagne, impliquant de ne pas faire campagne avec des signes de reconnaissance religieuse.

Volontairement, nous n’avons pas produit d’analyse hier sur ce sujet – par lassitude – même si nous avons répondu à une rapide interview. Cependant, maintenant que la température est redescendue, il nous semble intéressant de revenir sur quelques questions de fond posées par cette affaire qui, sur le plan du droit (sur le plan politique, c’est moins sûr), est intéressante.

Le principe de neutralité religieuse ne s’applique pas en droit aux candidats

Premier point, le plus simple, sur lequel tout le monde, LaRem compris, est d’accord : le principe de neutralité religieuse ne s’applique pas en droit aux candidats, en vertu du principe de laïcité, qui implique la neutralité de l’Etat mais la libre expression de ses convictions religieuses par la société civile : or, en la matière, les candidats font partie de la société civile. Cette question, on l’a sans doute oublié, s’était déjà posée pour les municipales à propos des « listes communautaristes » (v. cet article écrit pour les Surligneurs l’année dernière).

De ce point de vue la jurisprudence du Conseil d’Etat est parfaitement claire : « La circonstance qu’un candidat à une élection affiche son appartenance à une religion est sans incidence sur la liberté de choix des électeurs et ne met pas en cause l’indépendance des élus ; qu’aucune norme constitutionnelle, et notamment pas le principe de laïcité, n’impose que soit exclues du droit de se porter candidates à des élections des personnes qui entendraient, à l’occasion de cette candidature, faire état de leurs convictions religieuses » (CE, 23 décembre 2010, n°337899).

Donc aucun problème de droit sur ce point ; on réserve la question politique.

L’impossibilité pour le parti d’exiger le retrait des candidatures : le caractère personnel du droit électoral français

Une fois la décision de LaREM connue, le candidat tutélaire du binôme a indiqué qu’il n’était nullement question que sa suppléante s’efface sur les documents de propagande, préférant perdre l’investiture En Marche plutôt que de lui imposer cela. En droit, LaRem pouvait peut-être demander que cette personne s' »efface », mais en aucun cas qu’elle ne se retire, pour deux raisons :

La première est que concernant les élections départementales, pour chaque tour de scrutin, les candidatures peuvent être retirées jusqu’à la date limite fixée pour le dépôt de candidatures (art. R. 109-2). Or, ainsi que l’indique le guide du candidat pour les élections départementales dans son annexe consacrée au calendrier, la clôture du délai de dépôt des déclarations de candidature pour le premier tour des élections départementales et heure limite pour le retrait de candidature était fixée localement par arrêté préfectoral mais au plus tard le mercredi 5 mai à 16h. Le retrait des candidatures n’est plus possible, cette règle s’expliquant pour éviter les manœuvres politiciennes. Donc, juridiquement, il est déjà trop tard.

A la rigueur, la seule chose qui aurait été possible ici, si les candidats avaient été d’accord, aurait été qu’ils ne déposent pas de bulletins de vote (ni pour l’envoi à domicile, ni le jour du scrutin dans les bureaux de vote). Tout en restant candidat officiellement, ils auraient ainsi disparu du paysage politique… Il est juridiquement et pratiquement possible de devenir un « candidat fantôme ».

La deuxième explication est qu’en France, le système électoral est fondé sur les candidats en tant que personnes physiques et non les partis en tant que personnes morales, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un scrutin nominal, par personne (ici binominal un homme / une femme) et non d’un scrutin de liste. Ce sont les candidats qui se présentent et dont on enregistre la candidature. Certes, ils peuvent (ou non) déclarer une étiquette, on leur attribue (le ministère) une nuance politique, mais ce sont bien les candidats et non les partis qui décident. Juridiquement, un parti politique ne dépose pas de liste, ne dépose pas de candidat, et ne dispose d’aucun levier pour exiger le retrait de candidatures (pour une autre illustration de ces problématiques sur une question certes différente, v. le mélodrame en PACA).

La possibilité pour le parti politique de revenir sur son investiture

En revanche, il est tout à fait possible de revenir sur l’investiture accordée par le parti, car c’est une question privée qui concerne le parti qui est une association et qui ne concerne pas l’Etat. Pour LaREM, c’est le bureau exécutif qui retire les investitures (article 14 des statuts). Il faut noter qu’en cas de retrait d’une investiture, les candidats peuvent saisir une commission nationale des conflits, qui devrait alors trancher au regard des statuts et des valeurs du mouvement. Le recours n’est cependant pas suspensif (articles 14, 36 et 37 des statuts, article 36 du règlement intérieur).

Sur le fond, un parti peut se prévaloir sur ce point non seulement de sa qualité d’association mais surtout de l’article 4 de la Constitution qui dispose que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Cet article accroit la liberté des partis politiques et leur assure une forte liberté d’investiture, sachant qu’il faut cependant respecter les procédures prévues par les statuts.

Sur ce point le contrôle du juge électoral est lui-même très limité : il se reconnaît seulement compétent pour « vérifier si des manœuvres ont été susceptibles de tromper les électeurs sur la réalité de l’investiture des candidats par les partis politiques », car des mensonges sur la réalité des investitures peuvent avoir pour effet d’altérer la sincérité de l’élection (V.. par ex. CE, El. Cant. de Nice, 22 mai 2012, n°353310). Par exemple, au cours des élections législatives de 2017, des candidats ont dans de nombreuses hypothèses souhaité se prévaloir d’étiquettes politiques dont ils ne disposaient pas légitimement. Le juge se contente cependant de vérifier si les situations politiques en question étaient connues des électeurs et discutées dans le débat électoral… On peut considérer, dans notre cas, que l’affaire aura été suffisamment médiatisée pour qu’il n’y ait pas sur ce point de problème…

Cependant, comme on le reverra, le retrait d’une investiture pourrait ne pas être sans conséquence, la Cour de cassation ayant accepté d’envisager l’hypothèse, même si elle ne l’avait pas retenue en l’espèce, que la responsabilité d’un parti puisse être engagée pour une rupture brutale d’investiture (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 13 septembre 2012, 11-16.014), sans remettre en question le fait qu’un parti reste libre d’investir ou ne pas investir un candidat.

Si d’aventure le retrait de cette investiture n’était pas respectée par les candidats, cela conduirait à un conflit entre eux et le parti qui conduirait d’une part les instances propres du parti à se saisir du problème (bureau exécutif et commission des conflits) et d’autre part potentiellement par des actions judiciaires engagées par le parti contre ces candidats au nom du respect, notamment, de sa propriété intellectuelle.

Ceci conduit finalement à la question sans doute la plus difficile (politiquement et juridiquement) de cette affaire : le retrait de cette investiture pourrait-il être considéré comme une discrimination vis-à-vis de cette candidate, ou peut-il être admis que cela reflète une ligne politique ?

L’absence de voile sur une affiche électorale : discrimination fautive ou libre expression d’une ligne politique ?

Dans un tweet, la député Naïma Moutchou, avocate de profession, a soulevé un lièvre sans doute désormais un peu embêtant pour le parti, qualifiant la décision adoptée par son délégué général, qui sera validée par les instances dirigeantes, de « discrimination ». La décision de retrait de l’investiture est-elle une discrimination interdite, fautive, ou l’expression légale et possible d’une ligne politique ?

Sur ce point, le code pénal dispose à l’article 225-3, 4° que ne sont pas sanctionnées les « discriminations fondées, en matière d’accès aux biens et services, sur le sexe lorsque cette discrimination est justifiée par la protection des victimes de violences à caractère sexuel, des considérations liées au respect de la vie privée et de la décence, la promotion de l’égalité des sexes ou des intérêts des hommes ou des femmes, la liberté d’association ou l’organisation d’activités sportives ». Cette disposition est toutefois conditionnée au fait qu’il existe un lien entre l’objet de l’association et les conditions fixées aux personnes pour en devenir membres, sinon l’association commet une discrimination, alors même que selon la Cour de cassation aucune association ne peut s’exonérer en principe des règles de non-discrimination (Cass. Civ. 9 juillet 2015, n° 14-20158).

Sur ce point, il pourrait exister une difficulté : est-il écrit quelque part, dans les statuts de LaRem, dans son règlement intérieur, dans une charte des valeurs, que le port de signes ostensibles ou ostentatoires sur des affiches de campagne est interdit ? Si non, cette absence de référence écrite pourra être questionnée…

Dans les statuts du parti, l’article 5 fait référence à une charte des valeurs. Celle-ci indique que « Nous nous reconnaissons comme les héritiers de valeurs séculaires humanistes, républicaines et laïques, au premier rang desquelles l’émancipation des personnes », mais ceci n’interdit pas les signes religieux sur les affiches de campagne.

Dans le règlement intérieur du parti, on trouve pour la Commission d’investiture les critères suivants : « la probité et l’éthique du candidat, ainsi que sa cohérence avec les valeurs et les positions du mouvement » (v. article 4.3 du règlement intérieur). Dans les 10 engagements de l’élu progressiste, on trouve : « Laïcité. L’élu(e) s’engage à faire appliquer les principes de la laïcité au sein de la collectivité dans le strict cadre de la loi du 9 décembre 1905 et de la jurisprudence administrative établie. À cet égard, aucune religion ou conviction ne pourra être ni privilégiée, ni discriminée », mais cela ne fait pas beaucoup avancer sur la question qui nous préoccupe.

Cependant, même dans l’hypothèse où la règle méconnue par les candidats ne serait pas si explicitée, il nous semble que la commission d’investiture, le bureau exécutif, la commission des conflits resteraient en capacité de déterminer au cas par cas des critères de sélection des candidats et de déterminer des règles minimales pour les campagnes électorales, même au cours du processus électoral lui-même, même si cela conduit le bureau exécutif à retirer l’investiture (v. article 4.4 du règlement intérieur et 36 du règlement intérieur). En effet, il s’agit de questions éminemment internes et de nature politique (volonté d’absence de signe ostentatoire, séparation du religieux et du politique, volonté de lutter contre les stéréotypes de genre par exemple pour ce qui concerne le voile, la lutte contre les discriminations de genre figurant dans la charte des valeurs de LaRem), aspects protégés nous semble-t-il par l’article 4 de la Constitution.

De manière plus générale, concernant les questions politiques internes et à la différence des éléments de procédure, les juges judiciaires sont réticents à intervenir trop directement dans les affaires internes des partis au point de remettre en cause la légalité, sur le plan associatif ou pénal, de telles décisions fondamentalement politiques.

Dans le contexte spécifique d’un parti politique dont l’objet est fondamentalement politique et dont la liberté est particulièrement protégée par l’article 4 de la Constitution, il ne nous semble pas que cette décision relève de la discrimination fautive mais bien du choix d’une ligne politique.

S’il nous semble donc que le retrait de cette investiture ne pourrait pas donner lieu soit à la remise en cause de la décision de l’association soit à poursuite pénale, elle pourrait être questionnée en tant que rupture brutale. La candidate pourrait alors pourquoi pas chercher à se faufiler dans les interstices de la jurisprudence de la Cour de cassation pour engager la responsabilité civile de LaRem (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 13 septembre 2012, 11-16.014). On pourrait imaginer aussi, pourquoi pas, que les candidats titulaires s’en prévalent également, par exemple dans l’hypothèse où ils estimeraient que cette rupture brutale leur a côté leur score de 5% et donc, le remboursement de leurs dépenses électorales… La question dépendrait alors fondamentalement de celle de savoir si cette candidate savait ou non, si cela est écrit quelque part ou non, si elle a été informée ou non, de l’interdiction de porter un signe religieux ostensible sur une affiche électorale… Etre clair sur sa ligne, c’est préférable.

Conclusion

Bref, de belles questions de fond dont l’ampleur dépasse finalement la polémique d’hier et qui bientôt n’intéresseront probablement plus grand monde, puisque notre démocratie est désormais dopée à l’hystérie des positions clivantes, des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu.

Bonne campagne électorale à toutes et tous !

Romain Rambaud