21/04/2017 : Samedi et dimanche de vote sous menace terroriste : crash-test pour le principe du « silence républicain » [R. Rambaud]

C’est un enjeu supplémentaire de cette campagne présidentielle : la résistance, de nouveau à l’épreuve, du principe du « silence républicain » face aux évolutions technologiques et démocratiques contemporaines. Et sur ce point, l’attentat du 20 avril 2017 ne devrait faire qu’aggraver la situation, les enjeux, voire la remise en cause de ce principe…

Le principe du silence républicain

La règle est ancienne, et aujourd’hui très bien affirmée en droit positif. La veille et le jour du scrutin sont des jours préservés de la campagne électorale, pendant lesquels les électeurs peuvent réfléchir en leur âme et conscience sur les programmes des différents candidats. L’attentat d’hier soir devrait précipiter ce silence, François Fillon ou Marine Le Pen ayant annoncé la suspension de leur campagne, mais la question se pose d’autant plus de savoir si ce silence ne va pas être insupportable, surréaliste en quelque sorte, dans ce contexte si particulier.

Ce silence, Bernard Maligner parlait même de « recueillement républicain », se traduit par plusieurs dispositifs juridiques complémentaires, qui ont été renforcés par la dernière réforme du paquet de modernisation électorale du 25 avril 2016.

De manière générale, la campagne électorale s’arrête le samedi et le dimanche. L’article 10 du décret du 8 mars 2001 prévoit en effet que « La campagne en vue de l’élection du Président de la République est ouverte le deuxième lundi précédant le premier tour de scrutin. Elle prend fin la veille du scrutin à zéro heure », ce qui signifie en pratique le samedi à 0 heures, ou si l’on préfère le vendredi à minuit. C‘est ce qu’a rappelé la CNCCEP dans un communiqué de presse du 14 avril 2017 : « la campagne électorale officielle en vue du premier tour de l’élection présidentielle prendra fin, en vertu de l’article 10 du décret du 8 mars 2001, le vendredi 21 avril 2017 à minuit ». En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Polynésie française où le scrutin est avancé au samedi 22 avril 2017, la campagne menée sur ces parties du territoire national devra prendre fin localement le jeudi 20 avril à minuit.

Par ailleurs, le code électoral prévoit un certain nombre d’interdictions s’appliquant à partir de la veille du scrutin à zéro heure, lesquelles sont applicables à l’élection présidentielle en vertu de la loi du 6 novembre 1962. L’article L. 49 prévoit l’interdiction de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents, dont des tracts, et interdit de procéder, par un système automatisé ou non, à l’appel téléphonique en série des électeurs afin de les inciter à voter pour un candidat. Mais le régime de l’élection présidentielle est plus sévère encore dans la mesure où à la différence des autres élections, la fin de la campagne met fin à la possibilité d’organiser des réunions. Ainsi la CNCCEP, dans son communiqué de presse du 14 avril 2017, dispose que « La Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle rappelle qu’à compter de cette date toute action de campagne et tout acte de propagande à visée électorale sont interdits sur l’ensemble du territoire de la République. Elle a demandé à tous les candidats de ne plus tenir de réunions publiques, de ne plus faire procéder à aucune distribution de tracts, de ne plus diffuser par voie électronique aucun message ayant un caractère de propagande électorale à compter du vendredi 21 avril à minuit. Elle leur a aussi demandé de figer le contenu de leurs sites internet à partir de la même heure et de ne peut plus faire aucune actualisation de ces sites jusqu’à la fermeture des derniers bureaux de vote le dimanche 23 avril à 20 heures. Elle leur a demandé de désactiver tous les dispositifs d’actualisation automatique de leurs sites internet ainsi que tout dispositif permettant un échange interactif avec les électeurs, que ce soit par téléphone, par internet ou par voie d’échanges électroniques ». Ce silence républicain s’applique non seulement aux candidats mais aussi aux médias dans le relais de la propagande électorale : « La Commission rappelle ainsi qu’il n’est plus possible de diffuser aucune interview des candidats ou de leurs soutiens dans la presse écrite ou audiovisuelle les samedi 22 et dimanche 23 avril 2017 ».

En outre, il y aussi pendant deux jours un embargo sur les sondages. L’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 dispose qu' »En cas d’élections générales et de référendum, la veille et le jour de chaque scrutin, aucun sondage électoral ne peut faire l’objet, par quelque moyen que ce soit, d’une publication, d’une diffusion ou d’un commentaire. Pour l’élection du Président de la République, l’élection des députés et l’élection des représentants au Parlement européen ainsi que pour les référendums nationaux, cette interdiction prend effet sur l’ensemble du territoire national à compter du samedi précédant le scrutin à zéro heure. Cette interdiction prend fin à la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain ». L’embargo sera donc applicable samedi à partir de 0 h et dimanche jusqu’à 20h. Cette interdiction est justifiée par la volonté de rendre aux français la possibilité de faire leur choix final sans continuer à être informés sur les opinions des autres électeurs. La commission des sondages a rappelé avec force ce principe dans un communiqué du 20 avril 2017, et appelé à considérer d’éventuelles informations circulant ces jours là comme mensongères, en raison de l’engagement des principaux instituts de ne pas réaliser de sondages de sortie des urnes : « À quatre jours du premier tour de l’élection présidentielle, la commission des sondages rappelle que la loi du 19 juillet 1977 modifiée interdit strictement, du vendredi minuit au dimanche 20 heures, toute diffusion de sondages relatifs à l’élection présidentielle. Dans cette perspective, la commission a obtenu des 9 principaux instituts de sondages (BVA, Elabe, Harris Interactive, Ifop, Ipsos, Kantar, Odoxa, OpinionWay, Viavoice) l’assurance qu’aucun d’entre eux ne réalisera le 23 avril de sondages « sortie des urnes ». Il en résulte que toute référence, le jour du scrutin, à de tels sondages ne pourra être que le fruit de rumeurs ou de manipulations et partant qu’aucun crédit ne devra leur être accordé ». Il arrive toutefois, hélas, aux instituts de contourner cet engagement en réalisant des sondages appelés « jour de vote »…

Dans le contexte actuel, cette interdiction nourrit toutefois toutes les spéculations tant les 4 principaux candidats sont au coude à coude et les dynamiques d’intentions de vote sont mouvantes, voire sont en train de se croiser de nouveau, ce qui a de tristes précédents, par exemple en 2002. On soulignera ici l’impact potentiel de l’attentat d’hier.

Enfin, figure parmi les règles du principe républicain l’interdiction de diffuser des résultats partiels avant la fermeture des derniers bureaux de vote sur le territoire métropolitain. Cela résulte de l’article L. 52-2 du code électoral, en vertu duquel « En cas d’élections générales, aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par quelque moyen que ce soit, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain. Il en est de même dans les départements d’outre-mer avant la fermeture du dernier bureau de vote dans chacun des départements concernés ». L’embargo est normalement total jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain. Ainsi, pour le CSA prévoit dans sa recommandation de 2016 que « Conformément à l’article L. 52-2 du code électoral, aucun résultat, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public, par quelque moyen que ce soit, dans les départements et les collectivités d’outre-mer avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire de la République ». Le Conseil d’Etat a considéré que cet embargo total était légal dans un arrêt SA Antilles Télévision du 21 avril 2007 : « compte tenu, d’une part, de l’objectif poursuivi par le législateur, qui est de garantir le droit fondamental de tout citoyen à l’expression libre de son suffrage ainsi que la sincérité du scrutin par une égale information de tous les électeurs et, d’autre part, de la nature du scrutin relatif à l’élection du Président de la République, qui ne donne lieu qu’à une seule opération sur l’ensemble du territoire de la République, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, en précisant que les dispositions précitées de l’article L. 52-2 du code électoral exigeaient qu’aucun résultat ne soit rendu public sur l’antenne d’un service de radio ou de télévision ou sur le site internet de ce service avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire de la République, n’en a pas méconnu la portée. Par suite, le moyen tiré de ce que le Conseil supérieur de l’audiovisuel aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression audiovisuelle doit être écarté. ». Le Conseil d’Etat avait estimé clairement : « que, consistant seulement à différer la publication des résultats électoraux par voie de presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire de la République, cette restriction est proportionnée à l’objectif poursuivi ».

Un silence renforcé par la réforme du 25 avril 2016

Ces deux derniers dispositifs ont été confortés par la réforme du paquet de modernisation électorale de deux façons, pour faire face aux difficultés constatées en 2012 (voir ci-dessous).

En premier lieu, c’est le point le plus important, la loi organique de 1962 dispose désormais que « Le jour du vote, le scrutin est ouvert à huit heures et clos à dix-neuf heures », sachant qu’il sera possible de retarder la fermeture des bureaux de vote à 20h mais non d’avancer la fermeture à 18h. Ce point est très important dans la mesure où la fuite d’estimations de résultats était auparavant possible car les premiers bureaux de vote fermaient à 18h, ce qui permettait aux instituts de sondage de faire des estimations. Dès lors, tout information qui serait diffusée dimanche avant 20h environ devrait être considérée comme fausse. C’est ce qu’indique la commission des sondages dans son communiqué du 20 avril :  » Par ailleurs, l’écart ramené à une heure entre les heures de fermeture des premiers et des derniers bureaux de vote (19h-20h) fait qu’aucune estimation fiable des résultats, effectuée à partir des premiers dépouillements de « bureaux tests », n’est susceptible d’être établie avant 19h45, au plus tôt. Dans ces conditions, toute information relative aux résultats des candidats à l’élection présidentielle qui circulerait avant 20h doit être considérée comme dépourvue de caractère significatif ».

Cette nouveauté suscite cependant aussi des craintes, puisque dimanche à 20h les estimations ne pourraient pas être suffisamment précises, les candidats étant dans un mouchoir de poche…

En deuxième lieu, les sanctions ont été alignées vers le haut, vers une amende de 75000 euros. L’article L. 90-1 prévoit que « Toute infraction aux dispositions des articles L. 52-1 et L. 52-2 sera punie d’une amende de 75 000 euros » pour la diffusion de résultats et l’article 12 de la loi de 1977 prévoit que « est puni d’une amende de 75000 euros « Le fait de commander, réaliser, publier ou laisser publier, diffuser ou laisser diffuser un sondage en violation de la présente loi et des textes réglementaires applicables » pour les sondages. Des sanctions qui sont censées être dissuasives… mais le droit pénal est peu effectif.

Un silence intenable ? De la technologie à la menace terroriste…

Le principe du silence républicain, cependant, a de plus en plus de difficulté à résister à plusieurs facteurs. Le facteur technologique, notamment les réseaux sociaux, qui permettent la diffusion massive d’informations, sondages de sortie des urnes, sondages jour du vote, résultats partiels, rend difficile le maintien de l’embargo : par exemple, le hashtag #radiolondres diffuse les résultats avant 20h sous des formes codées et humoristiques. La mondialisation rend également plus difficile le maintien de cet embargo car des journaux étrangers n’hésitent pas à diffuser des résultats avant terme. Enfin, le facteur sociologique et démocratique, les citoyens étant désormais habitués à une forme continue de diffusion de l’information et qui ont désormais du mal à tenir le silence pendant deux jours. Le silence républicain se confronte donc au principe de réalité. Quant aux sanctions, force est de constater qu’elles ne sont pas appliquées.

Par ailleurs, le régime de la diffusion des résultats Outre-Mer reste très ambigu et le Conseil constitutionnel a préféré adopter une interprétation plus souple. Si le CSA et le Conseil d’Etat se sont prononcés pour un embargo total comme on l’a vu, la lettre de l’article L. 52-2 laisser planer un doute : « En cas d’élections générales, aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par quelque moyen que ce soit, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain. Il en est de même dans les départements d’outre-mer avant la fermeture du dernier bureau de vote dans chacun des départements concernés« , ce qui peut être interprété comme une diffusion possible des résultats Outre-Mer pour les territoires votant le samedi, dont les résultats seront disponibles avant la métropole, sur ces seuls territoires.

C’est en ce sens libéral que le Conseil constitutionnel va sur son site officiel : concernant les résultats partiels, il dispose qu’« Il s’agit des résultats dans les départements ou collectivités d’outre-mer où l’élection est close avant le dimanche 20 heures, comme par exemple là où elle se déroule le samedi. Les résultats ne peuvent être communiqués au public ailleurs que dans ce département ou collectivité, tant que le scrutin sur l’ensemble du territoire de la République n’est pas clos ». Il ajoute : « il est interdit de rediffuser en simultané en métropole des émissions commentant le résultat du scrutin dans les collectivités d’outre mer ou bureaux des français de l’étranger, par exemple, où le vote est déjà fini ». Cependant, cette règle semble difficilement compatible avec le principe posé par le CSA exposé précédemment demandant ce que « Conformément à l’article L. 52-2 du code électoral, aucun résultat, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public, par quelque moyen que ce soit, dans les départements et les collectivités d’outre-mer avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire de la République ». Une faille qui a déjà posé problème et qui pourrait de nouveau poser des difficultés. La solution semble en pratique se trouver dans la position médiane : il semble que certaines chaînes de télévision ultra-marine aient décidé de publier les résultats outre-mer de façon anticipé mais peu de temps avant la fermeture des bureaux de vote en métropole.

Le silence républicain a pour toutes ces raisons été mis à mal lors de l’élection présidentielle de 2012 de façon très nette. La CNCCEP l’a relevé avec gravité dans son rapport de 2012 : « La Commission nationale de contrôle, conjointement avec la Commission des sondages et en liaison avec le Conseil constitutionnel, s’est employée à rappeler ces interdictions législatives, édictées dans le souci de garantir le libre exercice du droit de suffrage et de préserver le choix des électeurs de toute interférence extérieure. (…) la commission ne peut que regretter que certains organes de presse étrangers aient à nouveau assumé, en 2012, de diffuser, avec une pleine conscience de l’interdiction législative française, des résultats partiels, des sondages ou des estimations avant la fermeture des derniers bureaux de vote. Au demeurant, ainsi que la Commission des sondages l’avait fait connaître, les sources et la fiabilité des indications ainsi mises en ligne ne pouvaient être attestées. La commission déplore, en outre, vivement que l’Agence France-Presse ait, à deux reprises, méconnu l’interdiction posée par la loi, en divulguant des estimations des résultats du premier tour de scrutin un peu plus d’une heure avant la fermeture des derniers bureaux de vote le dimanche 22 avril et en récidivant, lors du second tour, en annonçant le résultat de l’élection environ une heure avant la fermeture des derniers bureaux de vote. Le procureur de la République de Paris a été saisi de ces manquements particulièrement regrettables. La commission a, par ailleurs, observé de très fréquentes diffusions ou rediffusions sur internet et les réseaux de micro-blogage, sous une forme plus ou moins déguisée, de résultats partiels du scrutin dans les collectivités d’outre-mer à partir de la mi-journée du dimanche ainsi que de sondages ou d’estimations de résultats le dimanche soir, à partir des informations diffusées par des sites étrangers ou d’informations sur les estimations de résultats qui sont sorties de leurs cercles de diffusion confidentielle. Elle a saisi le procureur de la République de plusieurs des manquements qu’elle a pu constater, en application de l’article 40 du code de procédure pénale ». C’est donc bien le maintien du silence républicain qui est posé.

De ce point de vue, la question se posera demain vendredi et après-demain samedi si un tel silence républicain est, en outre, tenable dans un contexte politique marqué par un attentat récent. Convient-il de suspendre la campagne dès demain ? Mais comment ne plus discuter de ce qui vient de se produire alors que cela pourrait marquer un tournant dans les mouvements d’intentions de vote ? Sans qu’on puisse ici invoquer l’article 48-2 du code électoral, en vertu duquel « Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale », car la question terroriste a été discutée, force est de constater qu’un tournant vient peut-être de se produire alors que la campagne va s’arrêter… Cela correspond-il à la réalité de notre démocratie aujourd’hui ?

Conclusion : réduire le silence républicain au seul jour du vote

Les dispositifs adoptés par le paquet de modernisation électorale, c’est à dire la fermeture des bureaux de vote à 19h et non  à 18h et le renforcement des sanctions, suffiront-ils et sont-ils encore en phase avec la société, et hélas avec l’actualité ? Sans doute, il reste nécessaire d’avoir une période de silence républicain, notamment le jour du vote. Cependant, au regard de l’évolution du droit électoral vers un « droit électoral de la démocratie continue », la question se pose de savoir si, à défaut de l’abandonner ce qui ne serait pas souhaitable, il ne serait pas tout simplement possible de le réduire. Dans un rapport de 2014, le CSA envisageait plusieurs solutions dont celle de réduire la période de réserve au seul jour du scrutin. Cette solution serait probablement suffisante aujourd’hui (CSA, Rapport sur les scrutins du 1er semestre 2014 et ouverture d’un cycle de réflexion sur le principe de pluralisme politique dans les médias audiovisuels en période électorale, Communiqué du lundi 08 septembre 2014). Mais cette solution est peut-être trop simple pour le droit électoral…

Pour le reste, la question du maintien de la sincérité du scrutin se pose plus que jamais…

Romain Rambaud