20/10/2014 : Compte-rendu rapide et personnel du colloque de Dijon : l’opinion publique, de la science politique au droit !

La question était de savoir si et comment l’opinion publique, phénomène conceptualisé par la science politique, était peu à peu prise en compte par le droit : c’était la problématique posée par le colloque « L’opinion publique : de la science politique au droit ? », organisé par le Centre de recherche en droit et science politique (CREDESPO) de l’Université de Bourgogne, les 16 et 17 octobre. Avec succès, nous semble-t-il.

 

La réponse à cette question est donc oui, à encore les conclusions de Richard Ghevontian, Professeur de droit à l’Université Aix-Marseille, selon lequel, « c’est le mérite de ce colloque de l’avoir démontré ». L’hypothèse fonctionne ! Bien entendu, le colloque n’a pas clôturé la question, mais il a abouti à un résultat, et c’est déjà beaucoup.

 

Nous voudrions retracer ici, en quelques lignes, ce qui s’est dit à ce colloque, avant que les actes ne viennent l’asseoir scientifiquement.

 

L’intervention introductive de Loïc Blondiaux, Professeur de science politique à Paris 1, fut salutaire pour poser les choses : l’opinion publique connaît une définition évolutive dans le temps. Alors que la première définition de cette opinion, celle du siècle des lumières, désignait une opinion éclairée, une opinion d’élite, l’émergence des sondages comme nouvel instrument de mesure à fait émerger une « opinion publique sondagière » d’une nature très différente, plus individualiste, plus séquentielle, plus découpée, laquelle permet l’expression du peuple mais présente cependant de nombreux défauts, et notamment le fait de ne pas être rationnelle. Dès lors, c’est à l’appel de la formation d’une nouvelle opinion publique, d’une troisième étape si l’on veut, à laquelle appelle Loïc Blondiaux, qui permettrait de faire la synthèse entre l’opinion publique des XVIIIème et XIXème siècles et celle du XXème siècle. Celle de l’opinion, toujours, de l’homme de la rue, mais ressortant d’un processus de délibération démocratique, permettant de faire émerger une opinion publique populaire éclairée. Le sondage de base pourrait alors être dépassé par de nouveaux instruments, comme le sondage délibératif.

 

De ce point de vue, l’intervention de Nicolas Kaciaf, maître de conférences à l’IEP de Lille, sur les controverses autour des sondages en démocratie a permis de prendre du recul sur les avantages et les inconvénients de l’instrument, aboutissant à un bilan mitigé, mais plutôt positif. Nicolas Kaciaf a fait la synthèse des différentes critiques adressées à l’instrument. Existence de l’opinion publique, ou construction purement artificielle, cherchant à remplacer les forces d’expression constituées et légitimes en démocratie ? Biais méthodologiques indépassables, ou défauts certes réels mais finalement dépassables, et qui ne privent pas l’instrument de son utilité ? Pour Nicolas Kaciaf, tant du point de vue de son expérience de chercheur que de son expérience de praticien, puisqu’il a vécu de l’intérieur ces questions en tant que membre du Service d’information du Gouvernement (SIG), le sondage est un outil utile à la démocratie, dès lors qu’il est bien construit et bien utilisé.

 

Nécessairement, si le sondage est un outil utile pour mesurer une opinion publique sondagière certes imparfaite mais qui existe, la question des rapports entre cet outil et le droit se pose. La question est alors celle du droit des sondages, à laquelle une table-ronde était consacrée.  

 

En tant que membre de la Commission des sondages, M. Ghevontian, a d’abord présenté l’institution en charge du contrôle des sondages. Autorité administrative indépendante souple et mobile, composée de 9 magistrats et de deux personnalités extérieures, la Commission des sondages vérifie les sondages de nature électorale et publiés, recevant les notices envoyées par les instituts. Elle a déployé toute une pratique permettant de s’assurer de la qualité des sondages, en termes de questionnaire (question de second tour notamment), de critères de redressement, etc. M. Ghevontian met également en avant le rôle préventif de la Commission des sondages, qui permet de ne pas recourir aux sanctions pénales, qui ne sont pas mises en œuvre. L’instrument principal de la Commission est la mise au point, qui permet de rectifier le tir dans l’opinion publique par la publication de communiqués. En 2012, l’intervention de la Commission fut importante pour empêcher la diffusion des résultats avant l’heure, et ce qu’elle demanda fut respecté par les instituts. Elle joue donc un rôle fort utile dans la démocratie.

 

Votre serviteur (Romain Rambaud), sur cette base, s’est interrogé sur l’équilibre du droit des sondages électoraux, et notamment sur l’existence de nouveaux équilibres. En effet, le régime juridique du droit des sondages tel qu’il existe aujourd’hui, qu’il s’agisse de la police des sondages électoraux mise en œuvre par la Commission des sondages ou de l’appréhension par le droit électoral du phénomène des sondages, semble caractéristique de l’équilibre classique de la démocratie représentative entre liberté et élection. Mais, comme l’a montré la proposition de loi Sueur et Portelli de 2010 et comme le montre la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’article 4 de la Constitution depuis sa modification en 2008, le paradigme du droit électoral évolue de plus en plus de la démocratie représentative vers la démocratie d’opinion, ce qui implique des changements. Dans la police des sondages électoraux, d’abord, qui devrait évoluer vers plus de transparence et plus d’effectivité. Dans le droit électoral ensuite, qui devrait mieux appréhender ce phénomène qui pose des difficultés juridiques en termes de propagande, de régulation des temps de parole audiovisuels, d’imputation financière sur les comptes de campagne (comptes de N. Sarkozy), etc. L’évolution viendra peut-être du juge électoral, mais devrait d’abord venir de la doctrine, le présent colloque participant de cette dynamique.

 

Mais que pensent les sondeurs de cet encadrement juridique ? C’est la question à laquelle a répondu Frédéric Micheau, directeur du département opinion de l’institut OpinionWay. Celui-ci a défendu une vision progressiste du droit des sondages. Il s’est intéressé d’abord à l’interdiction de publier des sondages la veille et le jour du scrutin : examinant les débats de 1977, il constate, dans la période récente, un recul des principes de liberté sur ce point et le regrette. Aucun argument défendant cette interdiction (nécessité du contrôle, nécessité de la réponse, période de « silence républicain ») ne lui semble définitif, et il considère au contraire qu’il faut assumer une nouvelle forme de démocratie, qui fait du sondage un élément d’information utile permettant aux citoyens de se déterminer en conscience lors de leur vote, en considération de ce que vont faire les autres. Il appelle donc à une libéralisation du droit de ce point de vue. Mais jouant le jeu du nouveau système qu’il prône, Frédéric Micheau a appelé également à un accroissement de la transparence en matière de sondages électoraux : regrettant que beaucoup d’instituts soient réticents à publier leurs chiffres, il se prononce en faveur d’une transparence accrue : cela, selon lui, cette transparence serait de nature à rétablir la confiance entre les sondeurs et les citoyens au plus grand bénéfice de tous les acteurs.

 

Le constant étant fait de l’existence de l’opinion publique et d’un instrument existant pour la mesurer, même si des améliorations sont possibles, la question s’est posée de savoir si cette opinion publique était saisie par le droit. La deuxième journée du colloque a montré que oui.

 

Tout d’abord, dans le domaine où elle apparait le plus logiquement, en droit constitutionnel. Sur ce point, l’intervention d’Anne Levade, professeur de droit public à l’Université de Créteil et présidente de la Haute autorité de l’Union (UMP), en charge de la supervision des procédures de ce parti, a permis d’examiner la façon dont l’opinion publique pouvait être saisie par le droit par l’intermédiaire du processus des primaires, et la façon dont elle constituait un défi à ce droit. D’une part, le droit des primaires influe sur le droit interne des partis politiques, obligeant à une réorganisation de ce droit : alors que PS avait mis en œuvre des procédures dans le cadre d’un processus continu d’apprentissage, l’UMP a établi des procédures a priori qui permettront de dérouler une primaire ouverte selon des modalités précises, notamment grâce à la mise en place d’une charte des primaires externe au parti permettant de faire agréger d’autres forces le cas échéant. La mise en place d’une Haute autorité permet de garantir l’effectivité de ce processus. D’autre part, le droit des primaires pose des difficultés du point de vue externe : c’est notamment le cas avec le droit électoral, pour ce qui concerne par exemple les questions d’imputation des dépenses de ces primaires sur les comptes de campagne, ce qui peut jouer sur leur date d’organisation, par exemple. Il y a aussi des problématiques en termes d’organisation médiatique, et Anne Levade renvoie alors à l’intervention de Grégoire Weigel. Mais, plus fondamentalement, Anne Levade se pose alors la question de l’impact de cette procédure sur l’organisation constitutionnelle de la France, notamment concernant la question de savoir s’il existe des risques de « primarisation » du système constitutionnel français, qui ferait suite à sa présidentialisation. La question de savoir si cela constitue un progrès est ouverte.

 

Grégoire Weigel, chef du département des télévisions nationales au CSA et ancien chef du département pluralisme (et à ce titre en charge de la régulation des temps de parole audiovisuels), peut donc rebondir et expliquer la manière dont le CSA régule les temps de parole. Expliquant la différence entre la période « hors période électorale » et la période de régulation « pendant la campagne électorale », Grégoire Weigel met en avant les critères utilisés par le CSA pour déterminer le critère d’équité, soit la représentativité des candidats : notoriété, dynamique de la campagne, et les sondages, qui sont un instrument utile dans le cadre du faisceau d’indices du CSA. Sur ce point, on constate une porosité entre la régulation des temps de parole et l’opinion publique, puisque l’opinion publique sert d’indice pour déterminer ce qu’est l’équité dans la distribution des temps de parole en France aujourd’hui.

 

Enfin, Joël Mekhantar, Professeur de droit public à l’Université de Bourgogne, montrera que l’opinion publique peut être mise en mouvement grâce à l’outil du référendum, mais que cet outil n’est que trop peu utilisé. Tant au niveau national, constituant et législatif (et sachant sur ce point que le nouveau référendum d’initiative partagée sera largement ineffectif) qu’au niveau local, où tant du point de vue consultatif que du point de vue décisoire les citoyens ne sont pas assez représentés. Cependant, on peut également faire confiance aux élus pour faire fonctionner la démocratie, même si une plus grande participation du peuple serait souhaitable.

 

Ainsi, à l’issue de la table ronde consacrée au droit constitutionnel, il apparaît que l’opinion publique est effectivement saisie par le droit constitutionnel. Mais la deuxième table-ronde de la journée démontrera également que l’opinion publique se diffuse dans les autres branches du droit. Commence, comme l’a relevé le Professeur Ghevontian  dans ses conclusions, à « irriguer » l’ensemble des branches du droit. De ce point de vue, c’est le rôle du juge qui va être mis en avant lors de cette table-ronde : elle va montrer que les autres branches du droit prennent effectivement en compte l’opinion publique par le juge, mais que le juge doit aussi maintenir la frontière entre le droit et l’opinion publique. Ici, on retrouve semble-t-il la place toujours particulière et spécifique du juge au sein du système juridique.

 

Hélène Tourard, maître de conférences en droit public à l’Université de Bourgogne, l’a démontré de façon éclairante pour ce qui concerne la Cour européenne des droits de l’homme. Se fondant sur les grandes jurisprudences de le CEDH, elle a démontré que la CEDH utilise effectivement l’opinion publique, même si le nombre d’occurrence est rare, pour déterminer un certain nombre des outils de son corpus technique, de façon directe ou indirecte : c’est notamment le cas pour ce qui concerne la détermination du consensus européen ou encore la détermination de la marge nationale d’appréciation des Etats. Cependant, Hélène Tourard montre que si la CEDH s’intéresse effectivement à l’opinion publique, elle ne la suit pas aveuglement et ne se laisse pas déborder par elle : dans certaines affaires, elle choisit même explicitement d’aller contre elle. Par ailleurs, Hélène Tourard s’est intéressée à la façon dont l’opinion publique des Etats reçoit la jurisprudence de la Cour, ce qui constitue un autre aspect du sujet, et de ce point de vue l’exemple britannique est éclairant. La question du pouvoir créateur du juge, et de sa légitimité, se repose donc, vis-à-vis de cette opinion publique qui n’hésite plus à s’intéresser aux problèmes judiciaires. C’est la même dynamique que révèleront Yan Laidié et Sylvain Gauché dans les branches du droit administratif et pénal. La situation du droit de l’Union européenne semble un peu différente.

 

Yan Laidié, Professeur de droit public à l’Université de Bourgogne, a montré l’existence d’une dynamique de prise en compte croissante de l’opinion publique en droit administratif. Or cette évolution est importante, puisque le droit administratif se caractérise traditionnellement par son caractère vertical, hiérarchisé. Il s’agit donc d’une mutation profonde du droit administratif. On le constate d’abord par l’émergence sporadique, mais de plus en plus fréquente, de l’opinion publique face au juge administratif. S’il s’agissait, à l’époque de l’arrêt Canal par exemple, de l’opinion publique éclairée de la presse ou de la doctrine, c’est désormais l’opinion publique au sens le plus large qui s’empare de la jurisprudence administrative, comme avec les arrêts Lambert ou Dieudonné, obligeant le Conseil d’Etat, pratique nouvelle, à édicter de plus en plus souvent des communiqués de presse et à prendre la parole dans le débat public. On le constate ensuite dans les évolutions des techniques du droit administratif, qui progressivement prennent en compte cette opinion par l’intermédiaire du prisme de la « démocratie administrative » : droits de la défense, communication des documents, consultations de plus en plus large, etc. On constate une diffusion de l’opinion publique en droit administratif, à la fois par le juge et par l’administration.

 

Sylvain Gauché, ensuite, docteur en droit de l’Université Pierre-Mendès-France et avocat au barreau de Grenoble, spécialiste de droit pénitentiaire et de droit pénal, a constaté que l’opinion publique pouvait émerger en droit pénal… mais que cela n’augurait rien de bon. Pour Sylvain Gauché, l’opinion publique est fort mauvaise conseillère en droit pénal. Tout d’abord en ce qui concerne l’élaboration de la norme, dans la mesure où l’opinion publique se fixe quasi-systématiquement sur des accusations en laxisme, comme pour la loi Taubira, par exemple, alors que la réalité du dispositif est toute autre. Mais l’opinion publique est également néfaste s’agissant du rôle du juge, puisque les juges sont aujourd’hui obligés de prendre en compte une opinion publique qui est à la fois victime, juge, procureur, et juré, et qui empêche ainsi une application correcte du droit. Cette pression constante de l’opinion publique peut conduire le juge à commettre des erreurs, comme on l’a vu notamment avec l’affaire Outreau. Il faut donc prendre garde à cette opinion publique, sauf peut-être si celle-ci bénéfice du « miracle de l’audience » qui permet de révéler la vérité. Mais il ne s’agit alors que de l’effet général de ce miracle de l’audience, et non d’un rapport particulier à l’opinion publique. Il semblerait donc qu’en droit pénal, la nécessité pour le juge de se protéger de l’opinion publique est encore plus grande que dans les autres branches du droit.

 

La situation est assez différente du point de vue du droit de l’Union européenne, comme l’a montré Philippe Icard, maître de conférences à l’Université de Bourgogne. D’abord, d’un point de vue conceptuel, s’il ne fait guère de doutes que les opinions publiques nationales existent, qu’en est-il vraiment pour l’opinion publique européenne ? Ensuite, en droit de l’Union, la Cour de Justice n’est pas soumise à la pression de l’opinion publique, qui essentiellement l’ignore. C’est davantage au niveau de la norme juridique, de son initiative et de son élaboration, que l’on retrouve l’opinion publique. Au niveau de la Commission européenne, d’abord, grâce à l’action des lobbies, constitutifs de la société civile européenne, ainsi qu’aux procédures d’initiative et de pétition qui permettent aux citoyens de demander à ce qu’une norme soit élaborée dans un domaine déterminé. Mais les institutions européennes se distinguent également par l’utilisation d’instruments spécifiques, les Eurobaromètres, qui permettent de mesurer l’opinion publique depuis longtemps déjà. On retrouve, enfin, la présence de cette opinion publique dans la discussion de la norme. En définitive, il apparaît donc que le droit de l’Union européenne cherche bien l’opinion publique. Est-ce un moyen, aussi, de participer à sa création et donc au renforcement de l’Union européenne elle-même ?

 

Les intervenants semblent donc considérer qu’il existe effectivement, aujourd’hui, des manifestations juridiques de l’opinion publique, et que l’opinion publique se diffuse dans les branches du droit. La question reste posée de savoir quelles en sont les conséquences du point de vue des théories juridiques de la démocratie. Or, le colloque a aussi avancé sur ce point, légitimant cette avancée plutôt que la regrettant.

 

Bruno Jeanbart, directeur général adjoint d’Opinion Way, a d’abord abordé la question de la place du sondeur dans la représentation de l’opinion publique. Pour lui, il n’est pas illégitime que les sondeurs se fassent les porte-paroles de l’opinion publique, car les biais dont on les accuse sont peu justifiés, qu’il s’agisse de la formulation des questions, du redressement des résultats, et surtout de l’interprétation des résultats des sondages. Sur ce point, la difficulté est de gérer le triptyque médias-politiques-sondeurs. Le sondeur a un rôle délicat entre le média et le politique, par le biais de la pédagogie, et sa participation à la vie médiatique en tant qu’expert est légitime, dès lors que le sondeur ne sort pas de son rôle de pédagogue. Lorsqu’on l’interroge sur la légitimité du sondeur à se faire ainsi le porte-voix de l’opinion, en face d’élus qui disposent d’une légitimité démocratique, Bruno Jeanbart apporte une réponse qui traduit assez bien le glissement de la démocratie représentative vers la démocratie d’opinion : pour lui, les élus sont devenus les représentants d’une partie, et d’une partie seulement, du corps électoral, et les sondeurs ont donc un rôle plus général à jouer. Par contre, Bruno Jeanbart reconnaît l’utilité pour les sondeurs de se doter d’une déontologie, alors que le problème n’est guère abordé pour l’instant, aujourd’hui. Il existe donc une représentation de l’opinion publique par le sondeur… mais aussi par les médias, dont le rôle devrait être interrogé. Ce problème rejoint celui de la théorie de la démocratie.

 

Car ces évolutions peuvent-elles être situées en regard des théories juridiques de la démocratie ? Comment, et jusqu’où ? Est-ce légitime ? Bernard Quiriny, Professeur de droit public à l’Université de Bourgogne, a répondu à ces questions en replaçant la question dans un contexte historique et philosophique. Bernard Quiriny a justifié, sous certaines réserves, la légitimité de la démocratie d’opinion : celle-ci est bien vue par les révolutionnaires en France, car elle constitue un contre-pouvoir, en tant que forme démocratique sauvage, opposée à la démocratie légale, qui peut toujours vouloir capturer le pouvoir ; et ce sont en réalité les bonapartistes qui ont cherché à délégitimer l’opinion publique au profit des représentants. Pourtant, l’opinion publique est légitime, comme l’a relevé P.Rosanvallon, des auteurs américains et comme le permet aujourd’hui l’émergence d’outils susceptibles de lui permettre de s’exprimer. L’opinion publique est donc un contrepouvoir démocratique à la démocratie légale. Pour autant, elle présente aussi de nombreux défauts, notamment en termes de temporalité de la démocratie, ou de remise en cause de la légitimité de représentants élus, alors que ceux-ci disposent de la légitimité de l’élection. Il est donc plutôt nécessaire de raisonner en termes de complémentarité des formes de la démocratie, représentative, d’opinion, directe, qui ont chacune des avantages et des défauts, plutôt que de les opposer. Mais le système juridique ne doit pas chercher à se transformer totalement en démocratie d’opinion, ne peut même pas le faire, car la force de celle-ci est précisément, aussi, de se trouver en dehors du système juridique lui-même, de ne pas être institutionnalisée.

 

Enfin, Richard Ghevontian a pu prononcer les conclusions du colloque. Si le thème du colloque l’a d’abord laissé songeur et s’il est trouvé, au début de celui-ci, comme dans un labyrinthe, il a finalement trouvé le fil d’Ariane de la problématique : si l’opinion publique existe et se transforme, malgré ses défauts, il faut que le droit s’en saisisse, il faut s’intéresser à l’opinion publique « saisie par le droit ». D’abord, en vérifiant la viabilité de l’outil principal de mesure de cette opinion publique, par l’intermédiaire de la Commission des sondages. Ensuite, par la diffusion de l’opinion publique dans toutes les branches du droit, les deux branches du droit européen, le droit administratif, le droit pénal, avec beaucoup de prudence s’agissant de ce dernier aspect. Puis, le fil d’Ariane conduit à la démocratie, à l’amélioration de la démocratie, permettant de compléter la démocratie représentative par une démocratie d’opinion légitime, qui a ses défauts et qu’il faut encadrer également, mais qui est une piste d’approfondissement de notre démocratie. L’opinion publique a donc une place dans le droit, et ce colloque a eu pour mérite de le démontrer.

 

Voilà donc le sens du colloque de Dijon qui constitue donc, me semble-t-il, une réussite sur le plan scientifique. Il faudra encore approfondir les résultats. Les actes seront prochainement publiés, et d’autres travaux suivront.

 

Merci à tous les participants, au CREDESPO, et au public !

 

Romain Rambaud