Un Président pas encore candidat : quelles sont les règles du droit électoral sur les comptes de campagne? [R. Rambaud]

Alors que l’offre politique pour la présidentielle se dessine de plus en plus clairement, le statut du Président de la République sortant, comme à chaque élection présidentielle (sauf l’exception de 2017, où François Hollande ne s’était pas représenté), fait débat.

Cette question n’a pas manqué d’être relancée alors qu’Emmanuel Macron a présenté son plan « France 2030 », selon des modalités de communication que certains ont critiqué comme relevant presque du meeting de campagne… Que dit le droit sur ce sujet ? L’article ci-dessous se consacrera à cette question du point de vue des comptes de campagne.

Le droit électoral est cependant beaucoup plus strict que cela, dans la mesure où il recherche le difficile équilibre entre le maintien de l’activité du Président de la République d’une part et la prise en compte des dépenses électorales d’un Président qui serait officieusement déjà candidat d’autre part.

Sur ce point, la position du Conseil constitutionnel aujourd’hui est claire, notamment depuis sa jurisprudence relative au compte de campagne de Nicolas Sarkozy de 2013 (Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel sur un recours de M. Nicolas Sarkozy dirigé contre la décision du 19 décembre 2012 de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques). Il en résulte qu’une action du Président de la République ne peut être considérée comme électorale qu’à des conditions très strictes.

Tout d’abord, sur le principe, une fois que la période de comptabilisation des dépenses électorales est ouverte (ce qui est le cas depuis le 1er juillet ici), il est possible pour un Président de la République sortant de voir considérer certaines de ses dépenses comme des dépenses électorales. Le Conseil constitutionnel estime ainsi que :

« qu’en vertu des dispositions combinées des articles L. 52-12 et L. 52-4 du code électoral, rendus applicables à l’élection présidentielle par le paragraphe II de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, le compte de campagne retrace l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection par le candidat ou pour son compte pendant l’année précédant le premier jour du mois de l’élection ; que la date à laquelle le candidat a déclaré sa candidature n’est pas de nature à priver de leur éventuel caractère électoral les dépenses intervenues antérieurement à cette déclaration. ».

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

Peu importe donc la déclaration de candidature : elle n’est pas nécessaire à ce qu’une action soit, précédemment, considérée comme électorale.

Cependant, pour qu’une action d’un Président de la République soit considérée comme de cette nature, les critères juridiques sont particulièrement stricts. Le Conseil constitutionnel considère ainsi dans un considérant de principe que :

« la législation relative au financement des campagnes électorales n‘a ni pour objet ni pour effet de limiter les déplacements du Président de la République non plus que sa participation à des manifestations publiques s’inscrivant dans l’exercice de sa charge ».

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

Il en déduit ainsi :

« que les dépenses relatives aux manifestations auxquelles il participe n’ont à figurer au compte de campagne que s’il apparaît que celles-ci ont revêtu un caractère manifestement électoral. »

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

La détermination du caractère « manifestement électoral » n’est pas clairement définie mais la décision du Conseil constitutionnel, et sa confrontation avec la décision de la CNCCFP de 2012, permet de dégager quelques critères.

Ainsi le Conseil constitutionnel estime que :

« Considérant que, parmi les huit manifestations en cause, la réunion à l’Élysée pour le troisième anniversaire du Fonds stratégique d’investissement le 17 novembre 2011, l’inauguration du salon des entrepreneurs à Paris le 1er février 2012, les cérémonies des vœux à Chasseneuil-du-Poitou le 5 janvier 2012 et à Lyon le 19 janvier 2012, les interventions au Tricastin le 25 novembre 2011 et à Fessenheim le 9 février 2012 sur le thème de la filière nucléaire ainsi que l’intervention à Lavaur le 7 février 2012 sur la politique familiale, peuvent être regardées comme se rapportant à l’exercice du mandat présidentiel « .

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a donc été beaucoup plus strict que la CNCCFP, qui avait retenu 8 manifestations, là où le Conseil n’en retiendra qu’une seule :

qu’en revanche, il n’en va manifestement pas de même de la réunion publique organisée à Toulon le 1er décembre 2011 compte tenu de l’implication de l’Union pour un mouvement populaire dans cette manifestation, de l’ampleur du public convié, comprenant notamment des adhérents et sympathisants de l’UMP, des modalités d’aménagement des locaux et des moyens de communication déployés. »

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

D’après cette décision, une réunion n’a donc de caractère manifestement électoral que si des éléments très nets sont présents : présence et engagement du parti politique dans la manifestation, présence d’adhérents et de sympathisants du parti dans l’évènement, et des éléments plus formels comme les modalités d’aménagement des locaux et les moyens de communication déployés… Des critères particulièrement flagrants, donc.

D’autres éléments peuvent être utilisés pour déterminer le caractère électoral d’un tel message, que l’on trouve notamment dans le rapport de la CNCCFP de 2019 à propos des élections européennes et de la jurisprudence associée. C’était le cas de la publication de la tribune « Renaissance » du Président de la République sur le site de la Présidence, de certaines réunions du Grand Débat national, et d’un clip gouvernemental (voir le rapport de la CNCCFP de 2019), qui avaient été considérés comme des dépenses électorales.

Cependant, comme dans l’hypothèse de Nicolas Sarkozy, la CNCCFP avait été plus stricte que les appréciations du juge électoral.

Notamment, une tribune intitulée « pour une Renaissance européenne » avait été publiée le 4 mars 2019 sur le site internet de la Présidence de la République. La CNCCFP avait considéré que présentant de multiples points de convergence avec le programme de la candidate outre l’utilisation du mot « Renaissance », tant dans le titre de la liste que dans celui de la tribune, cette tribune revêtait un caractère électoral.

Cependant, dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat de janvier 2020 relatif aux élections européennes, le rapporteur public rejetait cette qualification, et le Conseil d’Etat considérait qu’en toute hypothèse cela n’avait pas pu altérer la sincérité du scrutin (conclusion que l’on a plutôt tendance à suivre sur le plan juridique).

Compte tenu de la qualité de son auteur, de la date de sa publication, bien antérieure à la présentation du programme défendu par la liste, de ses destinataires, du fait qu’elle ait été publiée simultanément dans les quotidiens de la plupart des Etats membres, il nous semble qu’elle relève de l’action internationale du chef de l’Etat et ne peut être regardée comme une opération de propagande électorale au soutien d’une liste, quelle qu’ait été l’appréciation de la commission nationale des comptes de campagne.

Conclusions de Mme Sophie Roussel, sur l’arrêt CE, 31 janvier 2020, N°s 431143.

Par ailleurs, en raison de la présentation binaire du message et de la
présence à l’image de deux dirigeants politiques européen
s, un
« clip » du Gouvernement diffusé à partir du 26 octobre 2018 sur
les réseaux sociaux avait été considéré comme ne relevant pas
uniquement d’un appel à voter mais présentant pour une part un
caractère électoral. Une référence explicite à des adversaires politiques (Marine Le Pen était présente dans ce clip électoral) avait donc été utilisée comme critère suffisant pour donner un caractère électoral. Cela fait en effet partie des éléments qui pourraient être considérés comme « manifestes ».

Conclusion

En l’espèce, si les moyens de communication utilisés pourraient faire l’objet d’un débat, les autres critères ne semblent pas réunis. Dans la salle de l’Elysée, le Président de la République faisait face à un parterre composé de 200 chefs d’entreprise et étudiants, pour dérouler différents thèmes relatifs à l’industrie, et sans parler explicitement de la prochaine présidentielle… Organisée mi-octobre, cette annonce est encore fort éloignée de l’élection présidentielle. De ce point de vue la projection sur 2030 ne manque pas d’habileté, d’autant que l’ensemble peut facilement se justifier dans le contexte de la relance post-covid, après le premier plan de relance de l’automne 2020. Emmanuel Macron n’a pas manqué de qualifier ce plan de « troisième étage de la fusée », après le « quoi qu’il en coute » protecteur et la première relance.

Une ligne de crête que le Président de la République pourrait arpenter encore longtemps, notamment dans la perspective de la prochaine présidence française de l’Union européenne au 1er janvier 2022, qui constituera un véritable casse-tête, pour le CSA ou la CNCCFP, pour distinguer le Président de la République « Président de l’Union européenne » et le « Président candidat ».

Romain Rambaud