Report « à droit quasi-constant » des élections départementales et régionales : analyse du projet de loi adopté par la commission mixte paritaire [R. Rambaud]

Le jeudi 11 février 2021, la Commission mixte paritaire du Parlement a terminé d’élaborer le texte commun du Projet de loi portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique. Il est toujours souhaitable, comme il a déjà été dit à de nombreuses reprises sur ce blog, d’aboutir en matière électorale, et en matière de report d’élection tout spécialement, à un consensus politique. Il y a donc lieu de se réjouir de cette nouvelle.

Ce texte de compromis sera examiné par les députés et les sénateurs respectivement les 16 février et 18 février 2021.

Ci dessous est proposée une analyse, pour partie critique, de ce projet de loi quant à la date des élections évidemment, mais aussi les questions de campagne électorale et d’opérations électorales. Ce texte procède en effet à un report « à droit quasi-constant » de ces élections, procédant à une adaptation minimale pour faire face à la covid. Il n’est pas certain que cela suffise à la mobilisation des électeurs et au rééquilibrage des rapports de force entre les sortants et leurs challengers. Un problème déjà évoqué ici de nombreuses fois, mais qui constitue la position définitive des pouvoirs publics sur ce point.

Le report des élections départementales et régionales (au 13 et 20 juin prochains)

L’article 1er du texte procède au report des élections départementales et régionales, comme prévu par le rapport Debré, au mois de juin 2021. Il dispose que « Compte tenu des risques sanitaires liés à l’épidémie de covid-19, les premier et second tours du prochain renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux, de l’Assemblée de Corse et des assemblées de Guyane et de Martinique ont lieu en juin 2021. Les mandats en cours sont prolongés en conséquence ». C’est la version du Gouvernement et de l’Assemblée Nationale qui a prévalu ici, au sens où finalement le texte ne comprend pas de date butoir au mois de juin comme le souhaitait initialement le Sénat.

La date exacte de l’élection sera donc fixée juridiquement plus tard, par l’intermédiaire du décret de convocation. « Le décret de convocation des électeurs sera pris dès la promulgation de la loi », a déclaré la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, devant l’Assemblée Nationale. Elle a indiqué que ces élections se tiendront les 13 et 20 juin prochains. « Le gouvernement fait tout » pour la tenue des scrutins en juin, a-t-elle insisté.

Il reste que l’article 2 de la loi prévoit que « Au plus tard le 1er avril 2021, le Gouvernement remet au Parlement, au vu d’une analyse du comité de scientifiques mentionné à l’article L. 3131‑19 du code de la santé publique, un rapport sur l’état de l’épidémie de covid‑19, sur les risques sanitaires à prendre en compte et sur les adaptations nécessaires à la tenue des scrutins et des campagnes électorales les précédant. Ce rapport et l’analyse du comité de scientifiques sont rendus publics sans délai ». La question de l’ « office exact » du comité scientifique a fait débat entre les deux chambres : le Sénat souhaitait qu’il ne se prononce pas sur la possibilité même de tenir l’élection mais seulement sur ses modalités pratiques (pour empêcher l’hypothèse d’un nouveau report), là où le Gouvernement et l’Assemblée souhaitaient qu’il puisse quand même alerter dans l’hypothèse où les élections ne pourraient pas se tenir à cause de la situation sanitaire. La rédaction finalement adoptée est celle de l’Assemblée Nationale, de sorte que le conseil scientifique, dans son avis, se prononcera aussi sur les risques liés à la tenue du scrutin lui-même. De quoi rouvrir la porte dans l’hypothèse où l’organisation des élections s’avèrerait impossible, sans prévoir de clause de revoyure : le sujet devrait alors revenir devant le Parlement pour l’adoption d’une autre loi.

Il est à noter, enfin, que le texte prévoit que « II. – Le mandat des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des membres de l’Assemblée de Corse et des conseillers aux assemblées de Guyane et de Martinique élus en juin 2021 prend fin en mars 2028 » : cela signifie que le mandat des futurs élus sera étendu. En effet, après ces élections de 2021, le prochain renouvellement général devait avoir lieu (normalement) en mars 2027. Pour éviter une trop grande proximité avec les élections présidentielle et législatives d’avril-mai et de juin 2027, le projet de loi initial avait prévu le report des élections départementales, régionales et territoriales de Corse, Guyane et Martinique à décembre 2027. Finalement, l’Assemblée Nationale a accepté le principe prévu par le Sénat d’un report en mars 2028, le mois de décembre étant considéré comme peu propice à des élections. Par ailleurs, se tenant plusieurs mois après l’élection présidentielle, les prochaines élections locales en seront mois dépendantes. Le mandat des futurs élus sera donc de 6 ans et 9 mois.

Les dispositions sur la campagne électorale : des adaptations minimalistes

Le texte n’est pas muet sur les adaptations du droit des campagnes électorales à la situation particulière de la Covid-19, qui empêche tout de même largement de faire campagne, alors que le Parlement a validé le principe de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin. Cependant, ces adaptations sont minimales.

On peut se réjouir de certaines bonnes idées, dont certaines avaient pu être suggérées par l’auteur de ces lignes. Ainsi il est prévu par le texte que « l’article L. 50‑1 du même code n’est pas applicable », c’est à dire que l’interdiction de mettre à disposition des électeurs un numéro d’appel gratuit sera neutralisée pour ces élections. L’interdiction de mettre à disposition des électeurs un « numéro vert » voire plus généralement tout système permettant de faire entrer les électeurs en contact avec les candidats de façon gratuite est absurde en général, et dans le contexte de la crise sanitaire en particulier : il était tout à fait normal d’ouvrir les choses de ce point de vue.

Par ailleurs, un problème de poids est celui des sortants et de l’utilisation par ceux-ci des moyens de la collectivité territoriale, dans le contexte spécifique de la crise de la Covid, ces derniers pouvant largement profiter de la situation, alors même que dans le même temps leurs adversaires ne peuvent guère faire de campagne. Cela crée une véritable asymétrie de position entre les camps politiques qui, assurément, va poser problème. Heureusement, le texte prévoit que « La période pendant laquelle s’appliquent les interdictions prévues au troisième alinéa de l’article L. 51 et à l’article L. 52‑1 du code électoral, qui commence le 1er septembre 2020, est prorogée jusqu’à la date du tour de scrutin où chaque élection est acquise ». Les comptes de campagne commenceront également, comme ils devaient commencer en temps normal, le 1er septembre 2020. Pour faire face à cette prolongation, le plafond des dépenses est augmenté de 20 %, pour faire face aux charges fixes (salariés, charges fixes comme la location des locaux de campagne, etc.).

L’auteur de ces lignes proposait d’aller plus loin en adoptant une modification de l’article L. 52-1 du code électoral pour bien préciser la vigilance accrue qu’il aurait fallu avoir quant à cette question, en proscrivant notamment les campagnes d’information des collectivités comportant la mise en avant de la personnalité du candidat. C’est une solution moins frontale à cette problématique qui a été trouvée dans le texte : en effet, l’article 2 bis prévoit que « La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques publie un guide du candidat et du mandataire actualisé et spécifique aux élections mentionnées au I de l’article 1er de la présente loi en tenant compte de leur condition d’organisation eu égard à la situation sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 et des dispositions de la présente loi ». Assurément, cela sera un moyen, par l’intermédiaire de l’article L. 52-8 du code électoral prohibant le financement des campagnes électorales par des personnes morales, y compris des personnes morales de droit public, de préciser les bornes à ne pas franchir, par l’intermédiaire de la CNCCFP. Une façon plus subtile, mais moins visible, moins forte et moins contraignante qu’une modification de la loi, le guide de la CNCCFP, évidement, ne s’imposant pas au juge. Cela suffira-t-il à envoyer un « signal » suffisant aux candidats sortants ?

Le texte prévoit aussi, et c’est une bonne idée, que « Par dérogation à l’article L. 47 A du code électoral, la campagne électorale pour le renouvellement des conseils départementaux est ouverte à partir du troisième lundi qui précède le premier tour du scrutin » et que « Par dérogation à l’article L. 353 du même code, la campagne électorale pour le renouvellement des conseils régionaux est ouverte à partir du troisième lundi qui précède le premier tour du scrutin ». Cela signifie que la campagne officielle durera trois semaines et non deux semaines seulement comme cela est le cas traditionnellement. Les panneaux d’affichage seront donc installés plus tôt… c’est bien, mais est-ce essentiel ?

En revanche, le texte est décevant sur le plan audiovisuel, alors même que la campagne électorale risque d’être très dépendante des médias (encore plus que d’habitude). Certes, il est prévu qu’une communication sur les chaines du service public sera organisée sur le rôle et le fonctionnement des conseils départementaux et régionaux, ainsi que sur les modalités de vote (notamment en raison du double vote). C’est bien sur le plan pédagogique mais pour mobiliser les électeurs. Mais sur le plan de la campagne électorale, rien n’est prévu. Il n’y aura pas de clips de campagne audiovisuelle officielle pour les régions et départements de droit commun, contrairement à ce qu’avait souhaité le Sénat, alors que ce système existe en Corse, en Martinique, en Guyane… Par ailleurs, la loi ne cherche pas à encadrer la régulation traditionnelle du CSA, ayant vocation à mettre en place une surveillance dans les six semaines avant l’élection. Sur ce point, une intervention législative aurait été bienvenue : les difficultés ne sont pas anticipées et les règles ne sont pas précisées.

Enfin, il n’y a dans le texte aucune ouverture vers l’autorisation de la publicité commerciale, ni par voie d’affichage, ni dans la presse quotidienne régionale, ni sur les réseaux sociaux, alors qu’il aurait été envisageable de le prévoir en le limitant et en le plafonnant. Des modifications substantielles que le législateur n’a pas souhaité expérimenter.

La simplification des opérations électorales

Il n’y aura pas, bien sûr, de vote anticipé ou de vote par correspondance. Comme il était prévisible depuis le rapport du Sénat publié à la fin du mois de décembre, les amendements en ce sens ont été rejetés. Le sujet a été tant traité sur ce blog qu’il ne parait pas utile d’y revenir…

L’article 1er bis de la loi prévoit que « Par dérogation à l’article L. 73 du code électoral, chaque mandataire peut disposer de deux procurations, y compris lorsque ces procurations sont établies en France ». Il s’agit donc ici de la reconduction du système de « double procuration » en vigueur au moment des élections municipales. Sur ce point, le Gouvernement a eu une hésitation, se rendant compte que les procurations pouvaient faciliter les fraudes, comme il a déjà été relevé ici… Politiquement, il était cependant très délicat de soutenir cette position, après l’avoir favorisé pour les élections municipales… Il est donc logique que le dispositif soit reconduit.

En revanche, les opérations électorales ont été adaptées pour le double vote. Ainsi, l’article 4 bis de la loi prévoit que « Pour les élections mentionnées au I de l’article 1er, une même machine à voter peut être utilisée pour les élections régionales et pour les élections départementales. Dans ce cas, le bureau de vote est commun aux deux scrutins ». Le même bureau de vote et la même machine seront donc utilisés pour les deux élections, ce qui est conforme à l’idée d’aller plus rapidement dans les opérations électorales, en phase avec la problématique Covid. On notera au passage que la loi remet en cause le moratoire sur les machines à voter, à partir d’octobre 2021.

Cette modification va de pair avec les modifications prévues par un récent décret n° 2021-118 du 4 février 2021 (…) modifiant les délais de dépôt des déclarations de candidatures et de remise de la propagande électorale pour le second tour des élections des conseillers départementaux et adaptant les opérations de vote en cas de scrutins concomitants.

Ainsi, ce décret modifie de façon pérenne le code électoral afin de simplifier l’organisation logistique de scrutins concomitants et de clarifier certaines dispositions. Il modifie notamment l’article R. 42 afin de permettre aux mêmes personnes d’assurer les fonctions de président et de secrétaire de deux bureaux de vote prévus pour des scrutins simultanés et situés dans une même salle. Les règles de désignation des assesseurs prévues à l’article R. 44 sont également modifiées pour limiter la présence des personnes âgées dans les bureaux de vote, l’électeur le plus jeune étant choisi plutôt que l’électeur le plus âgé en cas de nombre insuffisant d’assesseurs.

Afin d’anticiper les difficultés logistiques susceptibles d’apparaître dans l’entre-deux-tours du double scrutin départemental / régional, en particulier pour la mise sous pli de la propagande et son acheminement aux électeurs, ce décret prévoit que les documents de propagande pour le 2nd tour doivent être remis au plus tard le mardi à 18 heures et que le délai de dépôt des candidatures pour le 2nd tour court jusqu’au lundi à 18 heures pour les élections départementales. De quoi donner des sueurs froides aux équipes de campagne dans l’entre-deux tours en fonction des résultats…

Conclusion

La future loi de report des élections départementales et régionales procède donc à un report des élections en juin sans procéder à une adaptation forte de notre droit électoral à la Covid. C’est donc la stabilité presque maximale qui a été choisie, au détriment de l’audace. Sur ce point, la France se rend totalement dépendante du virus, et il faut donc espérer de bonnes nouvelles. Mais soyons optimistes.

Quels seront les effets politiques de ce dispositif ? On pourrait ici formuler l’hypothèse que ce cadre quasi-constant ne favorisera pas la participation ou de grandes transformations politiques, favorisant le statut quo voire une forme de stratégie d’enjambement de ces élections régionales. Existe-t-il ici des considérations politiques et stratégiques, et celles-ci produiront-elles les effets attendus en juin ? Ou ce choix ne résulte-t-il que de contraintes administratives et logistiques, sincèrement et objectivement appréciées ? Nul ne peut sonder les âmes. Réponse les 13 et 20 juin 2021… si tout va bien.

Romain Rambaud