Covid-19 et service public des élections : les « lois de Rolland » plaident en faveur du vote par correspondance ! [Marius Jeune]

Marius Jeune est étudiant dans le Master 2 Droit des collectivités territoriales de l’Université Grenoble-Alpes. Dans l’article ci-dessous, dans le prolongement de réflexions développées par le Professeur Jean-Paul Markus, il développe une thèse originale s’agissant du service public des élections, selon laquelle les grandes « lois » du service public, les fameuses « lois de Rolland » de continuité, d’adaptabilité et d’égalité, plaident en faveur de la mise en place du vote par correspondance.

L’administration électorale est indéniablement originale. Une telle affirmation peut se faire tant au regard de l’organisation d’une telle administration[1] que des principes si spécifiques qui lui sont applicables. Toutefois, en ce qu’il s’agit d’un service public, il doit nécessairement composer avec les principes généraux du service public. Il faut entendre ici les « lois de Rolland », c’est-à-dire les principes de mutabilité, d’égalité et de continuité du service public.

Notamment, dans le contexte sanitaire traversé, une savante application de ces principes est indispensable et d’autant plus importante pour anticiper la tenue prochaine des élections départementales et régionales de 2021. Il convient alors d’observer un juste équilibre entre ces principes afin d’envisager une bonne adaptation du droit électoral et notamment des modalités d’organisation du scrutin. Or, la combinaison de ces principes plaide pour un report au mois de juin mais accompagné de véritables adaptations du droit électoral à la Covid,

Report des élections et principe de continuité du service public : la périodicité raisonnable

Le principe de continuité du service public, bien que quelques peu mis à mal par l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’organisation des élections municipales et communautaires de 2020[2], trouve une traduction en droit électoral au travers du principe de périodicité raisonnable.

Dans le contexte sanitaire traversé, Ce principe doit pousser les pouvoirs publics, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel[3], à envisager un report des élections à une date ultérieure à celle prévue pour les élections départementales et régionales de 2021. Un tel report doit être motivé par une double volonté. D’abord, organiser le scrutin dans les meilleures conditions possibles. Aussi, la recherche d’un délai permettant une anticipation suffisante pour adapter le droit électoral au contexte sanitaire d’ampleur. De ce point de vue, la recommandation du rapport Debré, selon laquelle il convient « 2. De fixer cette date à la fin du mois de juin 2021 »[4], est salutaire, bien qu’il s’agisse davantage ici de « courir derrière le virus »[5].

Or, les principes de mutabilité du service public et d’égalité devant le service public plaident en faveur d’une adaptation du droit électoral et notamment en faveur du vote par correspondance.

Elections en période de pandémie et mutabilité du service public : pour un vote par correspondance

Au regard des règles relatives à l’organisation du scrutin, dans le contexte sanitaire traversé, un juste équilibre peut-être observé au regard des principes généraux du service public. Cela implique un report effectif des élections départementales et régionales au mois de juin 2021 afin d’envisager les adaptations au droit électoral adéquats.

L’application du principe d’adaptabilité ou de mutabilité du service public, sur le plan technique, appel, pour le service public électoral, à une nécessaire évolution des modalités d’organisation du scrutin[6]. Cela, notamment dans le contexte Covid-19 et à l’approche des élections départementales et régionales de 2021. Par conséquent, il convient de faire évoluer les modalités de votes en envisageant le vote électronique ou encore le vote par correspondance voire anticipé.

Egalement, il peut être intéressant pour la France de se conformer aux standards internationaux. Une telle approche implique d’écarter un recours massif au vote par procuration, à l’inverse de ce que recommande pourtant le rapport Debré[7]. Il convient plutôt, comme le souligne le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’OSCE, de se tourner vers le vote par correspondance[8].  Le vote par correspondance peut alors être retenu, d’abord en théorie, s’agissant des élections départementales et régionales de 2021.

Toutefois, en pratique, il est nécessaire de prendre en compte de nombreuses difficultés en droit français pour l’instauration d’un tel système. Un certain réalisme se dégage du rapport Debré sur ce point. Ce dernier met en avant l’idée qu’il faut « 7. Envisager le développement du vote par correspondance […] dans des conditions assurant sa fiabilité technique et matérielle, afin d’assurer la sincérité du scrutin »[9]. Ces difficultés ne sont cependant pas insurmontables et ce même rapport nous pousse à le croire en faisant des propositions en ce sens. Tel est le cas lorsque celui-ci propose « de séparer les deux tours du scrutin de deux semaines »[10].

Un ajout nécessaire à l’équation : le principe d’égalité du service public

Le principe d’adaptabilité du service public doit trouver un juste équilibre avec le principe d’égalité en prenant impérativement en compte ce dernier. En effet, cette exigence « vise […] les électeurs »[11] et découle de l’article 3 de la Constitution. Cela peut plaider en faveur de l’adaptation des modalités de vote : en effet, tous les catégories de la population ne sont pas égales face à la peur du virus, de sorte qu’offrir des modalités alternatives pourrait permettre de corriger les atteintes au principe d’égalité.

Le principe d’égalité conduirait aussi à privilégier le vote par correspondance sur le vote électronique. En effet, certaines catégories d’électeurs sont touchées par l’« illectronisme »[12]  ou bien n’ont pas accès à internet[13]. Ce phénomène concerne particulièrement les tranches d’âge supérieures à 60 ans. Alors que les personnes de plus de 60 ans représentent environ un tiers de l’électorat[14], 26,7% des 60-74 ans sont touchés par l’ « illectronisme »[15] et 53,2% des plus de 75 ans n’ont pas accès à internet[16].

Il convient alors d’écarter le vote électronique afin de ne tenir compte que du vote par correspondance voire anticipé.

Un dépassement des difficultés rencontrées pour l’instauration du vote par correspondance : la création d’une autorité électorale indépendante ?

Il est nécessaire d’appréhender suffisamment l’enjeu d’équilibre au sein des lois de Rolland pour l’évolution des modalités de vote afin de surmonter les difficultés rencontrées. L’originalité organisationnelle de l’administration des élections implique la présence d’une multitude d’autorités indépendantes avec un pouvoir relativement limité en matière d’organisation des élections. Cela implique de tempérer fortement le modèle ministériel dont l’assise est très forte en France[17].

Ainsi, il convient d’envisager l’éventuelle création d’une autorité électorale indépendante ayant la charge de l’organisation des opérations électorales. Celle-ci, en disposant d’une autonomie institutionnelle et de moyens financiers et humains conséquents, pourrait être force de proposition en la matière. Cette force de proposition permettrait d’assurer un équilibre entre les principes généraux du service public et de surmonter les difficultés qu’implique la mise en place d’un vote par correspondance.

Toutefois, une telle force de proposition peut venir des parlementaires et notamment des sénateurs. Cela est notamment le cas, actuellement, avec la proposition de loi visant à instaurer le vote par correspondance pour les scrutins électoraux et les opérations référendaires déposée au Sénat le 14 novembre 2020 par Monsieur Eric Kerrouche et plusieurs de ses collègues. Il ressort de cette proposition de nombreuses solutions face aux difficultés, au regard de l’instauration du vote par correspondance, qu’évoquent le rapport Debré. Les débats parlementaires futurs permettront très certainement d’assurer pleinement la fiabilité du système de vote par correspondance.

Marius Jeune


[1] RAMBAUD R., Droit des élections et des référendums politiques, LGDJ, 1ère éd., 2019,  p. 458, n° 873

[2] MARKUS J.-P., « Le statut administratif des élections politiques », RFDA, n° 2, 2019, p. 356

[3] Par ex., CONS. CONST., 16 mai 2013, n° 2013- 667 DC, Loi portant prorogation du mandat des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, cons. 60

[4] DEBRE J.-L., Quelle date et quelle organisation pour les élections régionales et départementales ?,  13 nov. 2020, p. 4

[5] RAMBAUD R., « Elections départementales et régionales : courir derrière le virus ? Les prudentes conclusions du rapport Debré », sur blogdudroitelectoral [en ligne], publié le 13 nov. 2020 [consulté le 16 nov. 2020], disponible sur : https://blogdudroitelectoral.fr/2020/11/elections-departementales-et-regionales-jean-louis-dubre-propose-un-report-en-juin-et-suggere-au-gouvernement-de-reflechir-au-vote-par-correspondance-r-rambaud/

[6] MARKUS J.-P., « Le statut administratif des élections politiques », RFDA, n° 2, 2019, p. 356

[7] DEBRE J.-L., loc. cit.

[8] GUDZENKO M., « Droit électoral et covid-19 : adaptabilité ou stabilité ? 7 leçons des standards internationaux », sur le blogdudroitélectoral [en ligne], publié le 19 nov. 2020 [consulté le 20 nov. 2020], disponible sur : https://blogdudroitelectoral.fr/2020/11/droit-electoral-et-covid-19-adaptabilite-ou-stabilite-7-lecons-des-standards-internationaux-maria-gudzenko/

[9] DEBRE J.-L., loc. cit.

[10] DEBRE J.-L., op. cit., p. 51

[11] Ibid., p. 355

[12] Il s’agit ici d’un de l’absence de capacités numériques.

[13] LEGLEYE S. et ROLLAND A., « Une personne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base », sur Insee [en ligne], publié le 30 oct. 2019 [consulté le 19 nov. 2020], disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4241397#consulter

[14] ROUBAN L., Le vote des seniors, CEVIPOF, Paris, 2011, p. 1

[15] LEGLEYE S. et ROLLAND A., loc. cit.

[16] Ibid.

[17] CAMGUILHEM B., «  Le contrôle administratif des élections », RDP, n°6, 2017, pp. 1505-1515 ; RAMBAUD R., Le droit des élections et des référendums politiques, op. cit., p. 458, n°873.