18/12/2015 : Incertitudes sur l’éligibilité de Dominique Reynié : le Conseil d’Etat saisi [R.Rambaud]

téléchargementLa campagne électorale de Dominique Reynié, Professeur de Science Politique à Sciences Po Paris, éminent politologue invité régulier de « C dans l’air » avant de franchir le rubicond de la politique active en devenant candidat tête de liste « Les Républicains » pour la région Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées, n’ a pas été de tout repos. Ne dit-on pas que pour les universitaires, la réalité est souvent plus dure que pour les autres ?

La campagne n’a pas été dure seulement du point de vue politique, qu’il s’agisse de son score final, puisque la  liste socialiste de Carole Delga (44,81%) a remporté le second tour des élections régionales en devançant la liste Front national de Louis Aliot (33,87%) et celle des Républicains menée par Dominique Reynié qui arrive troisième et ne fait que 21,32%, ou des débats sur le front républicain.

La campagne fut rude aussi du point de vue juridique, de nombreuses personnalités locales n’ayant pas apprécié son parachutage et ayant ainsi contesté son éligibilité. Du point de vue médiatique, c’est surtout France 3 qui s’est emparée de l’affaire. Dans deux articles de fin octobre 2015, France 3 contestait de façon assez vive l’éligibilité de M. Reynié.

Il semblerait que certains édiles locaux aient finalement déposé des recours devant le Conseil d’Etat pour contester l’éligibilité de Dominique Reynié et faire annuler son élection. Si cet arrêt fera nécessairement l’objet d’un commentaire ultérieur (notamment dans l’AJDA), on peut d’ores et déjà en dire quelques mots relevant de l’actualité.

Les articles de France 3

téléchargement (1)Selon France 3, le coup est parti d’une lettre rédigée par le sénateur de l’Hérault, Jean-Pierre Grand, et publiée par France 3 Midi-Pyrénées. Le parlementaire républicain (il faut surtout se méfier de son camp) mettait en doute l’éligibilité de Dominique Reynié. Le politologue a réagi sous la forme d’un communiqué de presse et a transmis à France 3 des pièces justificatives. Mais selon France 3, cet effort de transparence s’est retourné contre la tête de liste régionale selon la chaîne de télévision : les documents consultés ne lèveraient absolument pas le doute sur l’éligibilité de Dominique Reynié. Au contraire, ils renforceraient l’idée d’un véritable risque juridique.

Alors que M. Reynié prétendait être locataire depuis toujours  d’un appartement à Onet-le-Château, il louerait  une chambre individuelle au domicile de sa mère depuis… le 1er mars 2015. Cela poserait un problème juridique, dans la mesure où le bail de Dominique Reynié a été signé postérieurement à la date limite d’inscription sur les fichiers fiscaux, ne permettant pas, ainsi, de caractériser une attache fiscale dans le département ce qui pourrait poser problème du point de vue de son éligibilité. Par ailleurs Dominique Reynié aurait bien du mal à prouver que son domicile effectif serait dans le sud-ouest…

Cependant, Dominique Reynié a voté aux départementales de 2015 sur la commune d’Onet le Château : il dispose  d’une carte électorale dans cette commune dans laquelle il semble être inscrit pour exercer son droit de vote. Une inscription qui pourrait être frauduleuse, France 3 faisant valoir que la commune aurait en la matière des pratiques bien peu recommandables susceptibles de sanctions pénales, mais qui dans l’attente existe.

Analyse

S’il semble effectivement exister des incertitudes sur l’éligibilité de Dominique Reynié, l’état du droit pousse pour l’instant à faire preuve de prudence… dans l’attente de la décision du Conseil d’Etat. On peut se contenter ici de donner des amorces d’explication.

téléchargement (2)Les conditions d’éligibilité des candidats s’apprécient à la date du premier tour du scrutin et pour les élections régionales elles sont fixées par l’article L. 339 du code électoral, qui dispose « sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection, qui sont domiciliés dans la région ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d’une des contributions directes au 1Er janvier de l’année dans laquelle se fait l’élection, ou justifient qu’ils y être inscrits à ce jour ». Cependant, il peut exister une difficulté d’interprétation de l’article (et oui) : ces conditions sont-elles alternatives ou cumulatives ?

Autrement dit, suffit-il d’être inscrit sur les listes électorales (sous-entendu de la région) ou faut-il être inscrit sur les listes électorales (en général) et en plus avoir un rattachement à al collectivité territoriale, c’est à dire être domicilié ou payer des impôts dans la région ? C’est la question qui sera posée dans cette affaire.

D’après le mémento à l’usage des candidats établi par le ministère de l’intérieur, suivi par France 3, ces conditions sont cumulatives, c’est-à-dire qu’il faut à la fois être électeur (de manière générale) et domicilié dans la région (ou payer des impôts), et dans ce cas effectivement les éléments relevés par France 3 pourraient poser des difficultés (pas de domicile réel, pas de paiement d’impôt locaux avant le 1er janvier 2015). La lecture de l’article L. 339 du code électoral amène à pencher en faveur de cette solution.

imagesCependant, la jurisprudence (CE 16 févr. 2005, Él. rég. de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, req. no 266322) ainsi que la doctrine (Laurent Touvet et Yves-Marie Doublet, conseiller d’Etat et directeur-adjoint à l’Assemblée Nationale, spécialistes de droit électoral) sont moins catégoriques. Ces derniers voient plutôt dans ces conditions des conditions alternatives, c’est-à-dire qu’être électeur de la région suffirait pour être éligible : selon eux, il faut « être domicilié ou électeur ou contribuable dans la région » (p. 70).

Donc, même si on peut être plutôt convaincu, en lisant le texte, par la première hypothèse, il reste une incertitude sur l’état du droit que la jurisprudence ne tranche pas complètement expressément. Une éventuelle contestation de l’éligibilité de M. Reynié permettrait donc de trancher cette question et présenterait un intérêt de clarification… l’arrêt du Conseil d’Etat sera donc utile d’un point de vue jurisprudentiel.

Cependant, le guide du candidat nuance sa propre appréciation en considérant que « Si le candidat fournit pour prouver sa qualité d’électeur une attestation d’inscription sur la liste électorale ou des documents d’identité (CNI ou Passeport) faisant apparaître une adresse de domicile dans la région, celle-ci vaut preuve de son attache régionale. Si tel n’est pas le cas, il doit justifier de son attache fiscale dans la région ». Il confirme : « L’inscription sur une liste électorale d’une commune de la région permet de présumer l’attache avec la région. Dans cette hypothèse, aucun document supplémentaire n’est demandé ».

téléchargement (3)Dès lors, en l’espèce, la qualité d’électeur d’Onet le Château de D. Reynié suffirait d’autant si sa carte d’électeur fait apparaître une adresse de domicile dans la région. Peu importe dans ce cas qu’il soit domicilié ou qu’il paye des impôts. Le ministère de l’intérieur, en validant la candidature de M. Reynié, s’est donc plutôt placé dans cette perspective. Avec sa carte électorale, M. Reynié semble être dans les clous au moins à ce stade, c’est-à-dire jusqu’à la contestation devant le juge… qui tranchera.

Concernant les recours éventuels, le fait que la liste ait été enregistrée n’empêche pas qu’elle puisse être contestée devant le juge électoral (CE, 22 juin 1990, Renard, Elections régionales de la Martinique). Dans un tel cas, plusieurs solutions sont possibles.

Pour ce qui concerne l’annulation totale de l’élection, en général, la délivrance irrégulière d’un récépissé à un candidat ou à une liste de candidats conduisant à la participation au scrutin d’un candidat ou d’une liste qui n’aurait pas dû y participer, n’entraîne pas l’annulation du scrutin sauf si elle constitue une manœuvre ayant altéré la sincérité du scrutin (CE, 21 janvier 1990, Elections municipales de Saint-Gaudens). Et on trouve dans la jurisprudence un exemple dans lequel a été considérée (implicitement) comme une manœuvre l’inscription frauduleuse sur les listes de plusieurs personnes afin de permettre la présentation d’une candidature implicitement supposée drainer plus de suffrages, alors que l’écart de voix était faible (CE, 9 mars 1990, Elections municipales de Montereau-Fault-Yonne). Ce n’est donc pas théoriquement tout à fait impossible. Cependant il faudrait le prouver pour ce qui concerne la candidature de D. Reynié ce qui en l’espèce ne sera pas le cas, dans la mesure où ce dernier a perdu l’élection : par voie de conséquence, la sincérité du scrutin ne semble pas affectée et l’annulation totale impossible.

téléchargement (4)Peut aussi être remise en cause devant le juge électoral l’éligibilité de D. Reynié seul. Dans un tel cas, les conséquences seront bien différentes, et dépendent aussi des conditions qui ont été développées ci-dessus pour constater l’inéligibilité.

Si le juge se fonde finalement uniquement sur l’inscription sur les listes électorales d’une commune de la région, le juge électoral ne va pas remettre en cause cette inscription sauf si les manœuvres dans l’établissement de la liste électorale, au regard des règles d’inscriptions sur les listes électorales, ont pu altérer la sincérité du scrutin c’est-à-dire avoir une influence réelle sur le résultat de l’élection (CE, 29 juillet 2002, Elections municipales de Château-Thierry, 26 novembre 2008, Elections municipales de Scionzier), ce qui ne sera probablement pas le cas en l’espèce.

Si le juge se fonde sur les critères cumulatifs de la candidature, la question de l’éligibilité pourra être soulevée devant le juge électoral (même si une question préjudicielle devra peut-être être posée au juge judiciaire si la question est liée à celle du domicile). Cependant, lorsqu’un candidat est inéligible, le juge n’annule pas toute l’élection mais proclame l’élection du ou des suivants de liste. Cela est prévu par l’article L. 361 qui dispose que « La constatation par le Conseil d’État de l’inéligibilité d’un ou plusieurs candidats n’entraîne l’annulation de l’élection que du ou des élus inéligibles. Le Conseil d’État proclame en conséquence l’élection du ou des suivants de liste ». Si pour les élections municipales cela peut entraîner aussi l’annulation du scrutin en cas de manœuvre, la jurisprudence n’est pas aussi nette pour les élections régionales, au regard des difficultés à réorganiser le scrutin.

Conclusion

imagesAu regard de ces éléments, on constate donc que l’incertitude sur l’éligibilité de Dominique Reynié est donc forte. Du point de vue de la recherche, la jurisprudence du Conseil d’Etat à venir permettront de clarifier les éléments d’éligibilité d’un candidat aux élections régionales de façon plus claire que la jurisprudence ne l’a fait jusqu’ici. La solution aura donc une valeur de principe. L’affaire Reynié restera donc dans les annales autant du point de vue juridique que du point de vue politique. Merci Professeur !

Romain Rambaud