05/03/2015 : Blog du droit électoral, reprise des activités et séance de rattrapage (élections départementales, contentieux des élections sénatoriales, inéligibilités) [R.Rambaud]

Après une période d’ »impossibilité matérielle » d’écriture, les activités du blog du droit électoral peuvent reprendre, espérons-le de façon régulière. L’occasion de revenir ici sur les actualités de la matière, et de faire une petite séance de rattrapage sur quelques éléments intervenus pendant ces quelques semaines d’interruption (de blog). On reviendra donc ici sur les élections départementales (1), les résultats actuels du contentieux des élections sénatoriales (2), le principe posé par le Conseil d’Etat en Section du contentieux s’agissant de l’utilisation de l’inéligibilité de l’article L. 118-4 du Code électoral (3), et enfin la précision apportée sur les inéligibilités prévues par le 8° de l’article L. 231 du code électoral (4).

1. Les élections départementales

C’est bien sûr l’actualité principale pour les semaines à venir : les élections départementales auront lieu les 22 et 29 mars, soit dans quinze jours à peine.

Du point de vue juridique, ces élections présentent un intérêt particulier, eu égard au nouveau système électoral adopté par la loi  n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, laquelle a modifié (notamment) les articles L.191 et s. du Code électoral.

Désormais, les conseils généraux (futurs départementaux) sont renouvelés intégralement, et non plus par moitié tous les trois ans, pour un mandat d’une durée qui a été conservée à 6 ans, conformément à la logique du droit électoral local.

Les électeurs doivent désormais voter pour un binôme paritaire par canton, et non plus pour un candidat par canton, solution destinée à favoriser la féminisation des assemblées départementales et ainsi l’objectif constitutionnel de parité, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans sa décision du 16 mai 2013. Elle suppose également de tenir un compte de campagne commun, ce qui fait courir les sanctions d’inéligibilité au binôme en tant que tel, disposition qui là aussi a été considérée comme conforme à la Constitution par le Conseil dans la décision précitée (§30 et 31).

Cette règle a supposé le redécoupage de tous les cantons de France et la diminution de leur nombre par deux (nouvel article L.191-1), processus long et complexe qui a donné lieu à quelques contestations plus ou moins médiatisées, ainsi qu’à quelques solutions de principe, dont on avait pu parler sur ce blog. Ceci, sans s’attacher davantage à la question des limites que le Conseil constitutionnel avait entendu imposer aux dérogations à l’obligation de respecter strictement la représentation démographique dans sa décision précitée du 16 mai 2013 (§42 et 43).

Quant au mode de scrutin, il est toujours majoritaire à deux tours, mais cette fois binominal, l’élection au second tour se faisant à la majorité relative. Le problème principal ici est le seuil d’accès au second tour, plus précisément, du point de vue du droit électoral, le seuil à partir duquel il est possible de faire une déclaration de candidature pour le second tour : l’article L. 210-1 du Code électoral prévoit que nul ne peut être candidat au second tour s’il n’a pas été candidat au premier et n’a pas obtenu  un nombre de suffrages égal au moins à 12,5 % du nombre des électeurs inscrits (sauf dans le cas où le deuxième parti lui-même ou aucun des deux partis n’atteint ce seuil, auquel cas les deux partis en tête au premier tour accèdent au second). Ce nouveau seuil est issu de la loi du 16 décembre 2010, mis en place sans doute non sans arrières-pensées, et c’est la deuxième fois qu’il s’appliquera après les cantonales de 2011.

Ce nouveau système électoral ne manquera pas d’entraîner de nombreux effets. S’il entraînera une féminisation massive des conseils départementaux, le risque d’élimination d’au moins un des partis de gouvernement dès le premier tour est réel, notamment pour le parti socialiste, alors que les sondages le donnent à 20%, mais avec un taux d’abstention très fort, n’étant pas du théorique. Ce score de 20 % des suffrages exprimés peut théoriquement conduire à ce qu’il se trouve en dessous du seuil de 12,5% des électeurs inscrits, et donc à être éliminé dès le premier tour.C’est d’ailleurs ce que craignent ses dirigeants.

Le sujet étant d’un intérêt certain, on notera au passage que le CRJ, et son groupe de recherche sur l’Etat, l’administration et le territoire (GREAT) organise le 18 mars une conférence citoyenne sur les élections départementales, avec Jean-Pierre Grandemange, auteur invité de ce blog, et Philippe Gonnet, journaliste au Dauphiné Libéré, conférence que votre serviteur aura le plaisir d’animer.

On aura l’occasion d’y revenir, bien sûr.


Affiche Elections départementales

2. Le contentieux des élections sénatoriales

Autre actualité d’importance, le contentieux des élections sénatoriales, qui s’est déroulé pendant ces quelques semaines mais qui n’est pas terminé, ainsi qu’on peut le constater dans le suivi opéré par le Conseil constitutionnel : 10 affaires ont déjà été jugées, 7 restent à trancher.

Certaines de ces décisions présentent un intérêt particulier.

La constitutionnalité de l’article L0.135 du Code électoral

Sur le plans strictement juridique, la décision la plus importante est sans doute la décision 2014-4909 SEN, Yonne, du 23 janvier 2015, dans la mesure où une QPC a été déposée relative à l’article L.O. 135 du code électoral selon lequel « Ainsi qu’il est dit à l’alinéa 2 de l’article 2 de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, quiconque a été appelé à remplacer dans les conditions prévues à l’article L.O. 176 un député nommé membre du gouvernement ne peut, lors de l’élection suivante, faire acte de candidature contre lui […] Les autres conditions d’éligibilité et les inéligibilités sont les mêmes que pour l’élection à l’Assemblée nationale. Toutefois, pour l’application de l’alinéa précédent, n’est pas réputée faire acte de candidature contre un sénateur devenu membre du gouvernement la personne qui a été appelée à le remplacer dans les conditions prévues à l’article L.O. 319 lorsqu’elle se présente sur la même liste que lui ». Pour M. Villiers, cette disposition portait atteinte au principe d’égalité et au droit d’éligibilité.

Celle-ci avait déjà été jugée conforme à la Constitution dans une décision du 10 juillet 1985, cependant, la modification de l’article 25 de la Constitution en 2008 (avec la mise en place du droit au retour des ministres) rendait de nouveau possible l’examen de cette disposition, constituant un changement de circonstances de droit.

Au fond, si le droit d’éligibilité est protégé par l’article 6 DDHC, c’est dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur. Le Conseil, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement, va considérer qu’en interdisant à la personne élue en même temps qu’un député (soit comme suppléant), de faire acte de candidature contre celui-ci lors de l’élection suivante lorsqu’elle a été appelée à le remplacer en raison de ce qu’il avait accepté des fonctions gouvernementales, le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement disproportionnée entre les objectifs protégés par la Constitution, à savoir, eu égard à l’intérêt qui s’attache à ce que les députés puissent être nommés membres du Gouvernement, la volonté d’opérer une conciliation entre, d’une part, l’incompatibilité entre l’acceptation de ces fonctions et la poursuite de leur mandat, résultant de l’article 23 de la Constitution, qui rend nécessaire, en vertu de l’avant-dernier alinéa de l’article 25, leur remplacement dans l’exercice de leur mandat par la personne élue en même temps qu’eux à cet effet et, d’autre part, l’intérêt qui s’attache à ce que cette incompatibilité et le remplacement qu’elle rend nécessaire ne produisent pas des effets manifestement excessifs après la cessation de leurs fonctions gouvernementales .

L’article L0. 135 a donc été déclaré comme conforme à la Constitution, ce qui constitue clairement une solution favorable au mécanisme qui a été mis en place par la réforme de 2008 sur le retour des ministres au gouvernement : il s’agit même, ici, d’une véritable consécration constitutionnelle de ce droit au retour. Le refus par le préfet d’enregistrer la candidature de M. Villers était donc parfaitement justifié par ce dispositif également applicable aux sénateurs. Cette solution est donc fondamentale tant en théorie qu’en pratique.

L’annulation de l’élection en Polynésie française

Du point de vue factuel, c’est bien entendu la décision n° 2014-4907 SEN du 6 février 2015 qu’il faut retenir. Les opérations électorales en Polynésie françaises ont été annulées car il résultait de l’instruction que  » le jour du scrutin, le parti Tahoera’a Huiraatira, qui soutenait les deux candidats élus, a regroupé environ quatre cents personnes, dont des membres du collège électoral, qui se sont rendus en cortège conduit par M. Gaston FLOSSE, président de ce parti, aux trois bureaux de vote installés dans le lycée Paul-Gauguin de Papeete ; que nombre d’entre eux étaient habillés de vêtements aux couleurs dudit parti ; que cette manifestation s’est tenue à proximité immédiate et à l’entrée même des bureaux de vote ; qu’elle a, par elle-même, constitué une manœuvre pour faire pression sur les électeurs, membres du collège sénatorial, de nature, en raison de son organisation et de son importance, à porter atteinte à la sincérité du scrutin ».

Le climat politique particulier de la Polynésie française n’a donc pas l’air de s’arranger.

3. Le prononcé d’office de la sanction d’inéligibilité de l’article L. 118-4 du Code électoral

Le Conseil d’Etat a par ailleurs rendu un important arrêt de Section le 4 février 2015, l’arrêt Elections municipales de Vénissieux, n° 385555. Dans les faits, 19 personnes avaient déclarées avoir été abusées quant à leur participation à la liste « Vénissieux fait front! », qu’ils pensaient faussement avoir le soutien du Front National. Le Conseil d’Etat a considéré que le consentement de ces personnes avait été obtenu par le biais de manœuvres, ayant consisté à tromper ces personnes sur la réalité des soutiens dont disposait cette liste ou sur la portée de l’engagement qu’ils prenaient, sans compter l’engagement de deux candidats résultat de déclarations de signature qu’elles n’avaient pas signées ou qui avaient été utilisées contre leur volonté. Or, ces manœuvres, eu égard aux résultats des opérations électorales et aux écarts de voix entre les lites présentes au second tour, ont eu pour effet d’altérer la sincérité du scrutin dans son ensemble, l’annulation des opérations électorales étant alors justifiée. Sordide affaire.

Du point de vue juridique, c’est surtout l’utilisation de l’article 118-4 du code électoral, crée par la loi du 14 avril 2011 qui a justifié le renvoi de l’affaire en section. D’après cet article, différent de l’article L. 118-3 que l’on connaît mieux sur ce blog et qui justifie notamment l’annulation d’élection en cas de problèmes de comptes de campagne, « Saisi d’une contestation formée contre l’élection, le juge de l’élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. L’inéligibilité déclarée sur le fondement du premier alinéa s’applique à toutes les élections. Toutefois, elle n’a pas d’effet sur les mandats acquis antérieurement à la date de la décision. Si le juge de l’élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection ». Or, la question fondamentale ici, posée à la section, était celle de savoir si cet article conférait au juge la possibilité de prononcer d’office la sanction d’inéligibilité prévue, comme l’avait fait le tribunal administratif de Lyon… volonté du juge que l’on comprend bien eu égard à la gravité des faits de l’affaire.

Le Conseil d’Etat va, ici, accepter que cette inéligibilité soit soulevée d’office, ce qui constitue le principe fondamental de la décision ainsi que le révèlent le titrage et le fichage de celle-ci… laquelle prend effet, eu égard à l’effet suspensif de l’appel devant le Conseil d’Etat, à compter de la décision du Conseil.

Cependant, le Conseil d’Etat par là même occasion va utiliser sa jurisprudence sur le caractère délibéré (voir par exemple, pour l’article L. 118-3 et l’absence de dépôt du compte de campagne,  l’arrêt du 30 juillet 2014, n° 371718) des manœuvres comme condition de mise en oeuvre de l’inéligibilité : seul l’inéligibilité du candidat ayant accompli lui-même les manœuvres frauduleuses a vu son inéligibilité confirmée, tandis que l’autre, dont il n’était pas établi qu’elle ait elle-même accompli certaines des manœuvres frauduleuses accomplies, a vu son inéligibilité, prononcée par le TA, remise en cause par le Conseil.

4. La précision des inéligibilités visées par l’article L. 231 8° du Code et l’exclusion des centres de gestion de la fonction publique territoriale

Enfin, un arrêt important de section précise l’étendue de l’inéligibilité prévues par l’article L. 231 8° du Code électoral visant « Les personnes exerçant, au sein du conseil régional, du conseil départemental, de la collectivité territoriale de Corse, de Guyane ou de Martinique, d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou de leurs établissements publics, les fonctions de directeur général des services, directeur général adjoint des services, directeur des services, directeur adjoint des services ou chef de service, ainsi que les fonctions de directeur de cabinet, directeur adjoint de cabinet ou chef de cabinet en ayant reçu délégation de signature du président, du président de l’assemblée ou du président du conseil exécutif ».

L’arrêt du 4 février 2015 Elections municipales de la Crèche n° 382969 prévoit que cette interdiction s’applique  « d’une part, aux établissements publics dépendant exclusivement d’une région ou d’un département, ainsi que des autres collectivités territoriales et établissements mentionnés par ces dispositions, d’autre part, ceux qui sont communs à plusieurs de ces collectivités ; que doivent être seulement regardés comme dépendant de ces collectivités ou établissements ou comme communs à plusieurs collectivités, pour l’application de ces dispositions, les établissements publics créés par ces seuls collectivités ou établissements ou à leur demande ; qu’en revanche, il ne ressort pas de ces dispositions que l’inéligibilité qu’elles prévoient s’étende aux personnes exerçant les fonctions qu’elles mentionnent dans d’autres établissements publics que ceux qui dépendent d’une ou plusieurs des collectivités et établissements qu’elles citent ou sont communs à plusieurs de ces collectivités », définition qui exclut dès lors les centres de gestion de la fonction publique territoriale.

Il s’agit donc d’une manière de prendre en compte le développements des établissements créés entre collectivités territoriales, qui sont des émanations de ces collectivités, sans aller au delà au profit d’une interprétation stricte des inéligibilités : la même solution a été appliquée dans un arrêt du Conseil d’Etat de Section du 4 février 2015, Elections municipales de Corrèze, n° 383019.

D’autres actualités sont donc à suivre, puisque le blog redémarre.

A bientôt !

Romain Rambaud