Contentieux des élections législatives 2022 : le Conseil constitutionnel prononce les premières solutions au fond. Analyse des décisions du Conseil de juillet 2022 à aujourd’hui [R. Rambaud]

Les élections législatives, qui se sont déroulées cette année les 12 et 19 juin 2022, font actuellement l’objet d’un contentieux devant le Conseil constitutionnel, lequel rend ses décisions depuis la fin du mois de juillet 2022. Mais en quelque sorte, les choses sérieuses commencent.

De premières décisions « de tri » en juillet et août 2022 : l’abstention écartée par le Conseil constitutionnel

Le 29 juillet 2022 puis le 5 août 2022, le Conseil constitutionnel a rendu un grand nombre de décisions, mais celles-ci étaient rendues sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 38 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 selon lequel « le Conseil, sans instruction contradictoire préalable, peut rejeter, par décision motivée, les requêtes irrecevables ou ne contenant que des griefs qui manifestement ne peuvent avoir une influence sur les résultats de l’élection ». Autrement dit, les requêtes expédiées par voie de « tri », irrecevables, non sérieuses, etc.

Les exemples sont classiques :

Requêtes tardives (par ex. n° 2022-5793/5829 AN , n° 2022-5831 AN, n° 2022-5828 AN …)

Requêtes ne visant pas à l’annulation de l’élection du candidat élu (par ex. n° 2022-5815 AN du 29 juillet 2022, n° 2022-5756 AN …)

Requêtes dirigées contre le 1er tour alors qu’aucun candidat n’a été élu au premier tour et que nulle proclamation n’est demandée (par ex. n° 2022-5748 AN, n° 2022-5736/5749 AN, n° 2022-5744 AN)

Requêtes dirigées contre la totalité des circonscriptions (par ex. n° 2022-5821 AN, n° 2022-5737 AN) ou contre plusieurs circonscriptions (n° 2022-5761/5767 AN) et non contre une circonscription en particulier.

Requêtes comportant seulement des allégations qui ne sont assorties d’aucune précision ou justification permettant d’en apprécier la portée (par ex. n° 2022-5759/5809/5819/5834, n° 2022-5811 AN, n° 2022-5778 AN) dont une décision concernant le vote par machine à voter (n° 2022-5785 AN)

Requêtes comportant des griefs ne correspondant pas à des irrégularités (n° 2022-5743 AN, n° 2022-5742/5750 AN) dont une pour une affaire concernant la possibilité pour une commission de propagande d’envoyer les éléments après le délai limite de dépôt dès lors que cette possibilité est offerte à tous les candidats (n° 2022-5771 AN)

Requêtes rejetées parce que l’écart de voix en l’espèce était en tout état de cause trop élevé au regard des irrégularités soulevées pour avoir la moindre chance que l’élection soit annulée (par ex. n° 2022-5753 AN, n° 2022-5807 AN, n° 2022-5800 AN, n° 2022-5763 AN)

Ou encore, point intéressant à relever dans le contexte de la jurisprudence sur l’abstention liée à la crise de la Covid-19, requêtes fondées sur la seule abstention, le Conseil constitutionnel estimant que « en l’absence de fraudes ou de manœuvres, un taux d’abstention élevé ne saurait avoir d’incidence sur la régularité des opérations électorales contestées » (par ex. n° 2022-5806 AN, n° 2022-5810 AN, n° 2022-5739 AN)

Une décision de principe : le caractère personnel de la protestation électorale

Le 22 septembre 2022, par la décision n° 2022-5777 AN du 22 septembre 2022 AN., Haute-Garonne (6e circ.), M. Fabien JOUVÉ, le Conseil constitutionnel a rendu une décision de principe confirmant le caractère personnel de l’action en justice en matière électorale, non transmissible aux héritiers ou, le cas échéant, aux colistiers, considérant que « M. Fabien JOUVÉ est décédé le 17 août 2022. Eu égard au caractère personnel de l’action en matière électorale, ce décès rend sans objet sa requête. Il n’y a, par suite, pas lieu d’y statuer ».

Cette solution est inédite en contentieux électoral devant le Conseil constitutionnel. Cependant elle est classique en contentieux électoral et avait été depuis 1996 consacrée par le Conseil d’Etat (CE, 26 juin 1996, n° 172002, Lebon). Les deux cours sont donc alignées.

Une élection partielle sans annulation par le juge… pour cause de démission

Il est possible ici de faire référence au fait qu’une élection partielle a certes déjà été organisée… mais qu’elle n’était pas liée à une annulation par le juge, et a pourtant donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel… Explications.

En effet, dans la deuxième circonscription des Yvelines, M. BARROT avait été élu député. Ayant accepté, le 4 juillet 2022, des fonctions gouvernementales, il a été remplacé par Mme Anne GRIGNON, sa suppléante, mais celle-ci a présenté sa démission à la présidente de l’Assemblée nationale, qui en a pris acte le 13 août 2022. En application de l’article L.O. 178 du code électoral, il a été procédé les 2 et 9 octobre 2022 à des élections partielles dont les résultats ont été proclamés le 10 octobre 2022.

Par conséquent, la requête visant à l’annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 12 et 19 juin 2022 dans la 2ème circonscription du département des Yvelines était devenue sans objet : le Conseil constitutionnel a prononcé un non lieu à statuer dans la décision n° 2022-5786 AN du 13 octobre 2022 A.N., Yvelines (2ème circ.), M. Philippe GUIBERT.

L’élection partielle dans les Yvelines a eu lieu les 2 et 9 octobre 2022. M. Barrot a été réélu avec une nouvelle suppléante, Anne Bergantz. Restant au Gouvernement, c’est cette dernière qui siégera tant que M. Barrot aura des fonctions exécutives en application de l’article 25 de la Constitution. Cette nouvelle élection fait cependant l’objet de nouvelles contestations (v. décision n° 2022-30 ELEC du 21 septembre 2022 ; nouvelle saisine n°2022-5836 AN).

Les premiers rejets au fond : 11 décisions logiques dont certaines à retenir sur le plan jurisprudentiel

Le 2 décembre 2022, le Conseil constitutionnel a rendu ses premières décisions au fond. Il a statué sur 14 élections, en statuant ainsi sur 17 des 41 recours dont il reste saisi concernant ces élections. Les derniers recours contre les élections législatives de juin 2022 dont est saisi le Conseil constitutionnel seront jugés d’ici la fin du mois de janvier 2023, nous apprend le communiqué du Conseil constitutionnel.

Les 11 décisions de rejet sont logiques. Certaines ne présentent pas un grand intérêt, d’autres méritent d’être retenues.

Sont parfaitement classiques les solutions dans lesquelles le Conseil constitutionnel rejette la requête en procédant tel un « bureau supérieur de recensement » pour reprendre la formulation de Maurice Hauriou, c’est à dire en vérifiant et recomptant les voix. Ainsi dans la 5ème circonscription de l’Essonne, perdue par Cédric Villani qui avait renoncé à faire un recours, le Conseil constitutionnel a rejeté toute différence non expliquée dans les émargements entre les deux tours en s’appuyant notamment sur des attestations d’électeurs assurant avoir voté en personne pour les deux tours, et a rejeté le recours (n°2022-5824). Ce raisonnement purement mathématique a donné lieu à une annulation dans la 1ère circonscription de Charente, on y reviendra (n°2022-5874 AN).

Sont aussi parfaitement logiques la décision concernant la 4ème circonscription de la Sarthe rejetant la protestation pour un message Facebook pendant la période de réserve, irrégularité sans caractère massif insusceptible de porter atteinte à la sincérité du scrutin (n° 2022-5774 AN), ou la décision concernant la 3ème circonscription du Tarn concernant la publication par un candidat de projections réalisées par un tiers sur la base de résultats d’un sondage publié, mises en ligne le 4 juin et à laquelle, eu égard à la date de sa publication et à son contenu, les autres candidats ont eu la faculté de répondre en temps utile (n°2022-5780 AN).

Sont également classiques, même si on peut toujours discuter de l’appréciation portée par le juge, les décisions dans lesquelles étaient soulevées différentes manœuvres à l’étiquette. Suivant sa tendance traditionnelle (v. sur ce sujet R. Rambaud, R. Salas Rivera, « Le contentieux direct des élections législatives de 2017 », AJDA, 2018, p. 1314″ ; v. contra pour un exemple récent dans un contexte très particulier, R. Rambaud « Annulation de l’élection législative partielle de la XVème circonscription de Paris », AJDA, 2022, p. 701, à propos de la décision n° 2021-5726/5728 AN du 28 janvier 2022), le juge n’a pas retenu ces moyens en l’absence, en l’espèce, de manœuvres suffisamment établies et en présence d’un débat contradictoire suffisant sur la réalité des investitures. Le grief a ainsi été rejeté dans la 10ème circonscription des Bouches du Rhône, dans laquelle le candidat LR s’était contenté d’écrire « Ensemble » sur ses affiches électorales (n°2022-5776), dans la 10ème circonscription de Seine-et-Marne, dans laquelle cette fois la manœuvre à l’investiture était plus flagrante mais n’a pas empêché la candidate lésée d’accéder au second tour (duquel le candidat ayant opéré la manœuvre était exclu avec 1,44 % des suffrages) et pour laquelle la candidate avait prévenu ses électeurs : le Conseil a estimé que les faits dénoncés ne sont pas susceptibles d’avoir créé dans l’esprit des électeurs une confusion telle que les résultats du scrutin en aient été altérés, les deux candidats finalistes étant séparés de 8,73 points au second tour (n°2022-5770 AN). La même solution est rendue dans la 4ème circonscription de l’Ain à propos cette fois du député sortant, dissident, n’ayant pas reçu l’investiture de la majorité présidentielle, se présentant comme « issu de la majorité », « soutien du Président » (avec la photo d’Emmanuel Macron sur ses affiches), sans pour autant faire croire qu’il aurait eu l’investiture, l’ensemble ayant fait l’objet d’un débat suffisant (n°2022-5797/5802 AN).

Est également parfaitement traditionnel le rejet de la protestation dans la 4ème circonscription de l’Ain, dans laquelle une inéligibilité soutenue n’était pas remplie, car les inéligibilités sont d’interprétation stricte, quand bien même l’examen du juge électoral porte sur la réalité des missions et non sur leur intitulé. L’inéligibilité frappant les membres du cabinet du président de Région ne saurait s’appliquer à un chargé de mission « assemblée et relations aux élus » dès lors que ses fonctions réelles se contentaient de cela et ne relevaient pas substantiellement de celles d’un membre de cabinet (n°2022-5797/5802 AN).

D’autres séries de décisions nous semblent mériter d’être davantage relevées.

Certaines jurisprudences, classiques, ont porté sur la méconnaissance par les candidats de l’article L. 52-3 du code électoral, selon lequel les bulletins de vote ne peuvent pas comporter d’autres noms de personne que celui des candidats ou de leurs remplaçants éventuels. Le Conseil constitutionnel a jugé ici que « la méconnaissance de ces dispositions justifie l’annulation des bulletins lorsque l’adjonction d’un ou plusieurs noms à ceux limitativement énumérés par ce texte a été susceptible d’entraîner une confusion dans l’esprit des élections et présente ainsi le caractère d’une manœuvre destinée à abuser le corps électoral », ce qui n’était pas le cas dans les décisions citées, dans la mesure où il était clair que le candidat était soutenu mais n’était pas la personne dont le nom n’aurait pas du figurer sur le bulletin. Ainsi, « pour regrettable qu’elle soit », cette irrégularité n’a pas entraîné l’annulation du scrutin pour un candidat ayant indiqué sur ses bulletins « le candidat officiel d’Emmanuel Macron » dans la 3ème circonscription de la Marne (n°2022-5764 AN) ou « Horizons, le parti d’Edouard Philippe », dans la 3ème circonscription du Calvados (n°2022-5765 AN). On reviendra cependant sur ces solutions car il convient de les mettre en perspective avec l’une des décisions d’annulation, la décision relative à la 2ème circonscription de la Marne (n°2022-5768 AN).

Ensuite, une série de décisions vient rappeler que l’élaboration et la fourniture des bulletins pour les élections législatives est bien, en droit français, un problème des candidats, d’abord sur le plan quantitatif. Ainsi, peut paraître sévère mais reste complètement logique au regard de l’office très réaliste du juge électoral la solution de la 3ème circonscription de Haute Garonne dans laquelle un des candidats n’avait vu aucun de ses bulletins mis à disposition des électeurs dans les bureaux de vote de la commune de Toulouse : le Conseil constitutionnel considère qu’il n’est pas étayé que cette absence soit le fruit d’une manœuvre et qu’en tout état de cause, sachant que le candidat n’en avait fourni que 20000 et dans la mesure où son score était inférieur à 1% des suffrages et très faible dans les communes où ses bulletins étaient mis à disposition, la protestation a été rejetée (n°2022-5754/5766 AN). De façon encore plus caricaturale, est logiquement rejetée la protestation d’une candidate dans la 3ème circonscription des Bouches du Rhône qui se plaignait qu’aucun bulletin de vote à son nom ne figurait dans les bureaux de vote de la circonscription… alors qu’elle n’en avait fourni aucun, ni à la commission de propagande, ni en mairie, ni dans les bureaux de vote (n°2022-5757 AN)!

Enfin, une décision qui nous semble intéressante est celle relative à la 7ème circonscription de l’Oise, concernant le grief tenant à ce que le candidat élu avait utilisé un véhicule comportant un affichage électoral. En effet, dans cette décision, si le Conseil constitutionnel n’annule pas en raison du caractère non massif, prolongé ou répété et eu égard à l’écart de voix, jurisprudence classique en matière d’affichage, il affirme explicitement que « l’utilisation (…) d’un véhicule comportant un affichage électoral (…) est constitutive d’une irrégularité », au regard de l’article L. 51 du code électoral (n°2022-5758 AN). Une solution très claire qu’on anticipait (v. dans le même sens CE, El. Mun. de Colombes, 30 dec. 2021, n°450810), mais qui se voit parfaitement indiquée. Elle pourrait avoir un impact sur les présidentielles : on se rappelle ainsi du bus de Marine Le Pen, en application de cette décision, illégal donc.

Les premières annulations : trois décisions dont l’une à la portée non négligeable sur le contrôle des opérations électorales

Enfin, comme il le fait valoir dans son communiqué, le Conseil Constitutionnel a annulé trois élections. Deux sont classiques, la troisième mérite davantage de commentaires.

Tout d’abord, il a annulé une première élection en raison d’une inéligibilité frappant le suppléant d’un candidat, ce qui est la solution constante. Par la décision n° 2022-5794/5796 AN, le Conseil constitutionnel a annulé l’élection qui s’est déroulée dans la 8ème circonscription du Pas-de-Calais. Il a constaté que le remplaçant du candidat élu député dans cette circonscription figurait sur une liste de candidats aux élections sénatoriales qui se sont déroulées dans le département du Pas-de-Calais le 24 septembre 2017, en troisième position. Le sénateur élu à l’époque ayant démissionné, il a été remplacé par sa suivante de liste. Dès lors, la personne se trouvant en troisième position est devenue remplaçante d’un sénateur en application des dispositions de l’article LO. 320 du code électoral à cette époque. Elle ne pouvait, par suite, être remplaçante dans le cadre d’une élection législative. Dans la mesure où, selon l’article LO. 189 du code électoral, le Conseil constitutionnel doit statuer « sur la régularité de l’élection tant du titulaire que du remplaçant », ce dernier a jugé qu’il y avait lieu, en raison de l’inéligibilité du remplaçant, d’annuler l’élection du député. Un coup dur pour le candidat mais une décision juridiquement normale (n°2022-5794/5796 AN).

Ensuite, le Conseil constitutionnel a annulé une élection dans le cadre de son office de « bureau supérieur de recensement » (cf. supra), parce qu’après vérification et recomptage des voix, certaines voix litigieuses ont été retranchées et celles-ci étaient en nombre supérieur à l’écart de voix. Cette situation s’est produite dans la 1ère circonscription de la Charente. 18 votes correspondant à des différences de signature significatives ont été considérés comme irrégulièrement exprimés, 8 votes ont fait l’objet d’émargements entre les deux cases du 1er et 2nd tour de sorte qu’il était impossible de vérifier à quel tour ils correspondaient, et 1 vote correspondait à un vote sans procuration régulière, soit 27 suffrages irréguliers. L’écart de voix étant de 24, l’élection a été annulée car l’élection du vainqueur n’était plus acquise (n°2022-5874 AN).

Enfin, une décision s’avère particulièrement intéressante, la décision relative à la 2ème circonscription de la Marne. Il s’agissait ici d’un problème associé à l’article L. 52-3 du code électoral, à savoir l’interdiction de noter sur le bulletin de vote un autre nom que celui du candidat ou du remplaçant, une candidate non élue ayant indiqué sur son bulletin « La candidate officielle d’Emmanuel Macron ». Mais la situation était différente que celle des décisions précédentes, dans lesquelles ces bulletins avaient été compatibilisées dans les résultats (n°2022-5764 AN ; n°2022-5765 AN). En l’espèce, 965 bulletins portant cette mention avaient été considérés comme nuls par la commission du recensement du fait de cette mention, alors qu’évidemment ils étaient décisifs pour l’issue du scrutin, l’écart de voix étant très faible entre les candidats arrivés en tête au premier tour : 7 369 voix pour 22,46 % des suffrages pour la première, 7 213 voix pour 21,98 % des suffrages pour la seconde et 6 964 voix pour 21,23 % des suffrages pour la troisième, éliminée donc du fait de la non comptabilisation de ces 965 bulletins (n°2022-5768 AN).

L’originalité de cette espèce est donc la non comptabilisation de ces bulletins par la commission de recensement. Pourtant, comme le reconnaît le Conseil constitutionnel, la commission de recensement n’avait en l’espèce fait que respecter le droit. Le Conseil constitutionnel note ainsi que « c’est à bon droit que cette dernière a écarté les bulletins litigieux ».

Et pourtant, le respect du droit par la commission de recensement va entraîner l’annulation de l’élection ! Le Conseil constitutionnel note que « Toutefois, en l’absence de doute sur l’intention des électeurs qui les ont utilisés et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’utilisation des bulletins litigieux ait résulté d’une manœuvre, le vote de ces électeurs a été privé de portée utile. Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu du faible écart de voix entre les trois candidats arrivés en tête, l’absence de prise en compte des bulletins irréguliers du décompte des voix a eu pour effet de modifier l’identité des candidats qualifiés pour le second tour de scrutin, altérant ainsi la sincérité du scrutin ». L’élection a donc été annulée à première vue… parce qu’une commission de recensement a appliqué correctement le droit.

En première lecture, cette décision pourrait donc paraître surprenante, érigée en parangon de la primauté de la sincérité du scrutin qui dominerait à ce point que le droit serait complétement écarté, voire qu’il aurait fallu / qu’il aurait été attendu / que la commission de recensement commette une irrégularité pour que la sincérité du scrutin ne soit pas altérée. Pour le dire autrement, la sincérité du scrutin prime malgré le droit, comme dans les décisions de rejet précitées, ce qui est classique (n°2022-5764 AN ; n°2022-5765 AN) mais désormais contre le droit lui-même, ce qui l’est moins. Bien sûr, il y a de cela dans cette décision, mais la situation est tout de même plus complexe.

En effet l’explication sur ce point se trouve cependant peut-être ailleurs, et ce que l’on peut reprocher au Conseil constitutionnel ici est moins la solution, qui est en effet la plus logique du point de vue de la volonté réelle des électeurs, que la motivation de la décision probablement incomplète.

Car en réalité, il faut prendre le problème en amont. Certes, la candidate avait commis une erreur dans ses bulletins au départ, qu’elle a par la suite au demeurant essayé de corriger. Cependant, il y a eu également un problème au niveau de la commission de propagande, qui avait envoyé ces bulletins aux électeurs alors même que l’article L. 52-3 du code électoral n’était pas respecté, alors qu’il lui revient en principe de vérifier le respect de cet article (CE 11 juill. 2011, n° 342851, Elections cantonales de Saint-Leu [La Réunion] , Lebon T. 942 ; CE 5 févr. 1993, n° 135894, Beucher et autres, Elections régionales dans le département de la Mayenne ; pour les élections européennes, CE 8 déc. 2004, n° 268793 : v. QE n° 19720 de V. Lopez, réponse JO Sénat du 20 mai 2021, p. 3318; solution confirmée en dernière analyse par Conseil d’État, El. Mun. de la commune du Pré Saint-Gervais, 12 octobre 2021, n°448270). Il y avait donc, bien en amont, une irrégularité commise par la commission de propagande. Or c’est cette irrégularité qui a été à la source de la difficulté, car alors même que la candidate a « ultérieurement adressé directement aux bureaux de vote de la circonscription une nouvelle version de son bulletin de vote expurgée de la mention litigieuse, laquelle a été mise à disposition des électeurs dans les bureaux de vote », il est resté 965 mauvais bulletins, pour beaucoup sans doute apportés par les électeurs directement de leur domicile.

C’est donc en réalité la première irrégularité, celle commise par la commission de propagande, qui justifie l’annulation de l’élection. C’est cette irrégularité là qui est à l’origine de l’altération de la sincérité du scrutin, bien davantage que le travail de la commission de recensement qui a statué à bon droit. Sans doute le Conseil constitutionnel aurait-il dû plus explicitement l’écrire. Sur ce point, sa solution trouvait un équivalent dans la jurisprudence du Conseil d’Etat Elections municipales de la Commune du Pré Saint-Gervais (Conseil d’État, 3ème chambre, 12/10/2021, n°448270), beaucoup plus explicite sur cette question.

Conclusion

Ces premières décisions du Conseil constitutionnel, si elles sont essentiellement classiques, n’en comportent pas moins d’intéressants aspects : absence de prise en compte de l’abstention, caractère personnel de la protestation électorale, interdiction des véhicules floqués car il s’agit bien d’affichage illégal au sens de l’article L. 51 du code électoral, et bien sûr atteinte à la sincérité du scrutin du fait de la non-comptabilisation de suffrages illégaux dépourvus de manœuvres, mais en raison d’une erreur initiale de la commission de propagande.

A titre conclusif, on fera un lien ici avec des travaux précédents. On constate aussi dans ce contentieux qu’il existe aujourd’hui une difficulté sur le rôle des commissions de propagande et sur l’office du juge électoral pour traiter ce problème, sujet qui a déjà fait l’objet de développements sur le présent blog (v. notamment l’article suivant de février 2022) et d’une série d’articles dans la littérature scientifique (R. Rambaud, « L’émergence prétorienne d’un nouveau référé pré-électoral », AJDA, 2022, p. 233 « Annulation de l’élection législative partielle de la XVème circonscription de Paris », AJDA, 2022, p. 701 ; « Hésitations autour du référé pré-électoral », AJDA, 2022, p. 926)

Les commissions de propagande, institutions « flash » présidées par des magistrats et qui ne connaissent pas toujours bien le droit électoral, laissent passer des irrégularités qui ensuite affectent la sincérité du scrutin alors que le juge électoral, souvent, n’intervient que trop tardivement. C’est le cas, on le voit ici, deux fois pour le Conseil constitutionnel où le juge considère que cette erreur n’a en tout état de cause pas influé sur la sincérité du scrutin (n°2022-5764 AN, n°2022-5765 AN) mais surtout une fois où le juge considère que cette erreur a entraîné une altération de la sincérité du scrutin mais en passant, à bon droit, par la non-comptabilisation de bulletins… (n°2022-5768 AN).

On peut s’interroger sur le rôle et l’appréciation de la commission de recensement (art. R. 107 du code électoral). Si elle est institué pour chaque circonscription, une seule peut être établie pour plusieurs circonscriptions et celle de la Marne se trouvait donc dans une situation délicate puisque la même appréciation n’a pas été portée sur la validité des bulletins… dans le même département en fonction des circonscriptions…

Ces solutions plaident, comme nous l’avons déjà écrit, a minima pour une clarification des attributions des commissions de propagande, a maxima pour la création d’un référé pré-électoral permettant de traiter, en amont et non seulement en aval, ce type de difficultés. Un problème accru au Conseil constitutionnel, devant qui il n’existe pas, pour l’instant, de procédure d’urgence en amont…

Romain Rambaud