Coronavirus : que se passera-t-il dans les bureaux de vote dimanche ? [R. Salas Rivera]

« Il est important en ce moment, en suivant l’avis des scientifiques comme nous venons de le faire, d’assurer la continuité de notre vie démocratique et de nos institutions ». Par ces mots, le président de la République a coupé court au débat qui a animé l’actualité depuis quelques jours : le 1er tour des élections municipales aura bien lieu le 15 mars 2020. Dès son billet du 1er mars, Romain Rambaud questionnait l’hypothèse du report des élections municipales pour cause d’épidémie de Coronavirus, tout comme plusieurs autres universitaires  comme Jean-Philippe Derosier, Didier Maus ou encore Bruno Daugeron, dont les analyses furent parfois croisées. Tous avaient eu le bon pressentiment, concluant au maintien des échéances électorales, le report de celles-ci semblant poser un certain nombre de difficultés.

Maintenir les élections municipales dans un contexte de propagation du Coronavirus COVID-19 pose un certain nombre de questions d’un point de vue du droit des élections, notamment en matière de sincérité du scrutin. En effet, les électeurs seront-ils au rendez-vous les 15 et 22 mars ? Prendront-ils le « risque » de fréquenter – le bureau de vote – qui, potentiellement, verra défiler plusieurs centaines de personnes ?  Seront-ils tellement affaiblis par les symptômes de la maladie qu’ils ne pourront se rendre au bureau de vote ? On peut aisément comprendre qu’en souffrant de maux de tête et de difficultés respiratoires, la priorité ne soit pas donnée à l’élection du prochain conseil municipal.

Mais que se passera-t-il lorsqu’un malade se refusera à ne pas exercer son devoir citoyen, et se présentera dans son bureau de vote ? Ce cas de figure, qui, si les élections municipales des 15 et 22 mars sont maintenues, se présentera assurément, pose à la fois la question des limites du pouvoir de police du président du bureau de vote, la question du dépouillement et du risque de contamination, mais aussi, la question des mesures qui devront être prises, en application du principe de précaution. Des éléments de réponses très concrets ont été apportés par les autorités, notamment à travers la lettre du 7 mars envoyée par le Premier ministre à l’ensemble des maires de France, l’instruction du 9 mars 2020 du Ministère de l’Intérieur concernant le vote par procuration, et enfin, la circulaire INTA2007053C du 9 mars relative à l’organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d’épidémie de coronavirus COVID-19.

Plongeons ensemble dans différents scénarios catastrophes, dans lesquels le droit des élections devient un catalyseur du COVID-19.

Le pouvoir de police du président du bureau de vote

Le maintien des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 posera des questions en matière de tenue des bureaux de vote. A quelques jours du premier tour, la désignation des membres qui composeront les bureaux de vote bat son plein, aussi semble-t-il intéressant de se pencher sur les points de vigilance sur lesquels il faudra sensibiliser les futurs présidents de bureau de vote, notamment en matière de gestion de l’épidémie de COVID-19.

Il faut rappeler ici que le bureau de vote est composé d’un président, d’au moins deux assesseurs et d’un secrétaire, au titre de l’article R.42 du code électoral. Le bureau de vote est présidé par le maire, adjoints et conseillers municipaux dans l’ordre du tableau et, à défaut, les présidents sont désignés par le maire parmi les électeurs de la commune (art. R.43 du code électoral). Qui dit « président » dit compétences particulières. Et c’est l’article R.49 du code électoral qui reconnait au président du bureau de vote l’exercice exclusif du pouvoir de police de l’assemblée. « Il lui revient de veiller au bon déroulement des opérations électorales et au respect des dispositions légales et réglementaires relatives aux opérations électorales » (Circulaire du 16 janvier 2020 relative au déroulement des opérations électorales lors des élections au suffrage universel direct). Aussi, le président peut interdire l’accès au bureau de vote à une personne porteuse d’une arme à feu (art. L.61 du code électoral) ou faire évacuer une personne qui troublerait les opérations électorales (Art. L.98 du code électoral).

Le président du bureau de vote est donc le garant de la bonne tenue des opérations électorales. Il peut pour cela faire usage de son pouvoir de police. Il faut noter que les autorités civiles et les commandants militaires sont tenus de déférer à ses réquisitions. Fort de ces compétences, quelle sera la marge de manœuvre du président du bureau de vote face à un électeur présentant des symptômes du COVID-19 ?

Une situation délicate

Mais alors, le président du bureau de vote pourra-t-il, en application de ce pouvoir de police, refuser l’accès au bureau de vote à une personne présentant les symptômes du COVID-19 ? Si une réponse positive est apportée à cette question, on voit poindre assez facilement le risque d’abus : l’accès au bureau de vote est refusé à un opposant politique parce qu’il présenterait les symptômes du COVID-19. Aussi, il semble difficile de reconnaitre un tel pouvoir au président du bureau de vote, qui ne se baserait, dans cet exemple, que sur une intuition, un ressenti propre. Si l’on se projette dans le contentieux qui pourrait naitre d’une telle situation, le citoyen qui s’est vu refuser l’accès produira peut être un certificat médical daté du jour du scrutin attestant du fait qu’il n’est pas porteur du COVID-19, ou avec un peu de chance, les résultat de dépistage, qui n’est effectué qu’en cas de suspicion de la maladie, validée par le SAMU et par un infectiologue référent, les résultats n’étant disponibles que dans un délai de trois à cinq heures. Le président du bureau de vote devra lui expliquer que la mesure d’interdiction se justifiait par la manifestation de symptômes tels que décrits dans les documents officiels de prévention, affirmation qui devra être corroborée par les assesseurs, pour éviter toute suspicion de manœuvre politicienne. En bref, il semble assez difficile de reconnaitre au président du bureau de vote la possibilité de refuser l’accès au bureau de vote d’une personne présentant les symptômes du COVID-19. En revanche, dans sa mission de garant du bon déroulement des opérations électorales, le président du bureau de vote pourra mettre en œuvre des mesures de prévention, plus en adéquation avec le principe de proportionnalité qui doit commander chaque prise de décision du président du bureau de vote, comme le précise le Premier ministre dans sa circulaire du 9 mars 2020 portant sur l’organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d’épidémie de coronavirus COVID-19, en précisant même que « dans le cas où un électeur présenterait toutefois des signes d’infection respiratoire manifestes et ne porterait pas de dispositif de protection, le président du bureau de vote mettra à l’écart l’électeur et contactera le Samu Centre 15 en faisant état des symptômes constatés ».

Se pose la question de l’électeur qui porterait un masque chirurgical, cette dissimulation partielle du visage n’étant pas permise par l’article L62 du code électoral, qui prévoit que l’électeur fait constater son identité avant de voter. Ici, la parcimonie doit primer. Si le masque n’entrave pas l’identification, l’électeur ne sera pas tenu de l’enlever. Évidemment, si la situation inverse se présente, « les membres du bureau de vote doivent pouvoir vérifier son identité et peuvent lui demander d’enlever son masque momentanément, faute de quoi l’électeur ne sera pas autorisé à voter » ( Circulaire du 9 mars 2020 portant sur l’organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d’épidémie de coronavirus COVID-19).

La prévention, meilleure (seule ?) arme du président du bureau de vote

Puisque l’interdiction de l’accès au bureau de vote semble à la fois poser des problèmes du point de vue des compétences à poser un diagnostic fiable par le président du bureau de vote, mais également d’un point de vue du bon fonctionnement de notre démocratie, la mise en œuvre de mesures de prévention semble apparaitre comme étant le seul moyen pour les membres du bureau de vote de contenir le risque d’infection par le COVID-19.

Le fameux article R.49 du code électoral prévoit l’obligation pour les autorités civiles de déférer aux réquisitions du président du bureau de vote. Aussi, dans la mission de maintien de l’ordre public, et notamment de sa composante « salubrité publique » qui incombe aux autorités civiles, le président du bureau de vote pourra formuler, auprès du maire ou du préfet, sa volonté de voir son bureau de vote doté de masques de protection mis à la disposition des citoyens qui estimeraient être porteurs du COVID-19, de supports permettant l’affichage des message de prévention, ainsi que des distributeurs de solution hydroalcoolique, ou a minima l’accès à un robinet à du savon, comme le suggère circulaire du 9 mars 2020 portant sur l’organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d’épidémie de coronavirus COVID-19.

Le président de la République a bien précisé lors de son allocution du 12 mars qu’« Il conviendra de veiller au respect strict des gestes barrières contre le virus et des recommandations sanitaires » au sein des bureaux de vote.

Cette circulaire INTA2007053C propose un certain nombre de conseils de prévention. Les personnes qui manipuleront les colis contenant le matériel électoral sont invités à « se laver les mains très régulièrement ». Il est également rappelé que « Le port de gant n’est pas recommandé : le contact se fait dans ce cas par les gants, ce qui n’empêche pas le contact avec les parties du corps exposées (visages, bouches, nez), et le port des gants dissuade de laver les zones de contacts (gants) ». Concernant l’aménagement du bureau de vote, la consigne est de « limiter les situations de promiscuité prolongée », martelant la nécessité de respecter une distance de sécurité de 1 mètre. Un schéma est annexé à la circulaire et invite à l’installation de marquage au sol, permettant ainsi le respect de ce mètre barrière. La manipulation des rideaux est également déconseillée. La circulaire prévoit une mesure exceptionnelle : « Si le lieu de vote se révélait manifestement inadapté, en application du dernier alinéa de l’article R.40 (cas de force majeur), vous pouvez de manière exceptionnelle demander au préfet de prendre un arrêté modifiant le lieu de vte. Les électeurs devront alors être informés par tout moyen du nouveau lieu de vote, notamment en précisant devant l’ancien bureau de vote l’adresse (pas trop éloignée) du nouveau lieu de vote ». Le caractère imprécis et l’incertitude créés par cette disposition laisse présager des situations cocasses lors de ce premier tour. La circulaire invite les membres du bureau de vote de procéder au nettoyage des surfaces qui seront en contact permanent avec les électeurs, et invite également les électeurs à apporter leur propre stylo afin d’émarger. A noter que les services élections des municipalités imposent parfois une couleur en fonction du tour : bleu pour le 1er tour, noir pour le 2ème tour, ou l’inverse. Quel avantage ? Si un électeur émarge dans la mauvaise colonne suite à une maladresse de l’assesseur, il pourra, lors du second tour, signer dans la case vide, avec un stylo de la couleur imposée pour ce second tour, permettant ainsi de palier à l’étourderie.

Emmanuel Macron a annoncé que « des consignes renforcées seront données » dès vendredi, « afin que nos aînés n’attendent pas longtemps, que des files ne se constituent pas, que les distances soient aussi tenues et que ces fameuses mesures barrières soient bien respectées ». Attendons donc de voir quelles vont être les mesures annoncées à quelques heures du scrutin.

Quid  du droit de retrait des membres du bureau de vote ?

Le président du bureau de vote, qui, rappelons-le, peut être le maire de la commune, un adjoint, un conseiller municipal ou un électeur de la commune désigné par le premier, peut-il faire usage d’un « droit de retrait » qui l’autoriserait, en cas de refus par l’autorité compétente de prendre des mesures de prévention, à ne plus vouloir exercer le rôle de président du bureau de vote, au motif qu’il mettrait sa santé en péril ?

Si le président du bureau de vote s’absente, il est remplacé par un suppléant désigné par lui parmi les conseillers municipaux ou les électeurs de la commune ou, à défaut, par le plus âgé des assesseurs, comme le prévoit l’article R.43 du code électoral. Quant aux assesseurs, ils peuvent être remplacé par un suppléant choisi parmi les électeurs du département, et préalablement désignés dans les mêmes conditions que la désignation des assesseurs titulaires. Aussi, si le président du bureau de vote s’absente, au motif qu’il craint une contamination par le COVID-19, il peut être remplacé par un suppléant. Mais si des assesseurs s’absentent pour les mêmes raisons, et qu’il n’y a pas suffisamment de personnes qui souhaitent exercer ces fonctions, que se passera-t-il ?

Le code électoral, dans son article R.44 prévoit une solution : « Le jour du scrutin, si, pour une cause quelconque, le nombre des assesseurs se trouve être inférieur à deux, les assesseurs manquants sont pris parmi les électeurs présents sachant lire et écrire le français, selon l’ordre de priorité suivant : l’électeur le plus âgé, puis l’électeur le plus jeune. ». Ni le code, ni la jurisprudence n’envisagent le cas du refus des électeurs présents d’exercer cette mission. Dans le cas où plus aucun conseiller municipal ne soit disponible, et qu’aucun citoyen ne soit d’accord pour occuper la fonction d’assesseur, il est possible de faire appel à la préfecture. En effet, le préfet a le pouvoir de nommer un délégué spécial pour présider le bureau de vote. Et si, toutefois, le préfet souffrirait du COVID-19 et tarderait à répondre, le maire peut faire appel au personnel municipal, en application de la théorie des circonstances exceptionnelles, comme le rappelle le Conseil Constitutionnel.

Aussi, cette situation, bien qu’extrême, ne doit pas être prise à la légère, dans la mesure où, notamment dans les grandes villes, plusieurs présidences de bureaux de vote seront assumées par des citoyens volontaires, qui ne sont pas tenus comme les élus à l’obligation d’exercer la fonction d’assesseur, et qui pourraient faire usage de leur « droit de retrait » si l’épidémie de COVID-19 venait à s’aggraver d’ici les échéances municipales.

Si la tenue du bureau de vote pose déjà un certain nombre de problèmes, qu’en est-il de la phase de dépouillement ?

Opérations de dépouillement : un moment critique ?

Dans l’hypothèse où les opérations électorales se sont plus ou moins bien déroulées, mais ont tout de même pu se tenir, le casse-tête organisationnel n’est pas encore terminé : il faut assurer les opérations de dépouillement, moment critique s’il en est.

C’est en effet à ce moment que va se jouer le cœur de l’élection, la répartition des voix entre les différents candidats.

Au-delà de la problématique du recrutement des scrutateurs, qui soulève globalement les mêmes questionnements que celui des membres du bureau, les sources de contamination par le COVID-19 peuvent se multiplier lors des opérations de dépouillement.

En effet, le dépouillement est le moment où, potentiellement, un nombre conséquent de personnes sera présent dans la salle au même moment : les membres du bureau de vote, les candidats, leurs délégués, les représentants de la commission de contrôle, l’ensemble des électeurs présents et enfin, les scrutateurs.

Plusieurs personnes seront par ailleurs amenées à partager un espace assez restreint pendant un laps de temps, certes variable, mais jamais très court : la table de dépouillement. A la question « A partir de quelle distance sommes-nous contagieux ? », le site internet du gouvernement consacré au COVID-19 affiche la réponse suivante : « La maladie se transmet par les postillons (éternuements, toux). On considère donc qu’un contact étroit avec une personne malade est nécessaire pour transmettre la maladie : même lieu de vie, contact direct à moins d’un mètre lors d’une toux, d’un éternuement ou une discussion en l’absence de mesures de protection ». Difficile de travailler sur la même opération de dépouillement, sur la même table, en respectant une distance de plus d’un mètre. Là aussi des mesures de prévention semblent devoir être prises par les autorités compétentes.

Qu’en est-il de la manipulation des bulletins, qui seront restés dans l’urne, et probablement contaminés par le virus qui aura réussi à pénétrer dans le précieux réceptacle transparent ? L’Institut Pasteur de Lille précise que « Les coronavirus survivent quelques heures dans le milieu extérieur, sur des surfaces inertes sèches ». Il ne faut donc pas exclure le risque de contamination par contact avec une enveloppe ou un bulletin qui aurait été contaminé par des gouttelettes infectieuses. Là encore, des mesures de prévention devront être mise en œuvre.

Une conclusion… optimiste ?

Nous avons bien conscience que les hypothèses formulées dans ce billet sont exagérées à l’extrême, pour illustrer plus facilement nos propos. Cependant, rien n’est à exclure. L’évolution de l’épidémie dans les prochains jours ne permet malheureusement pas de projection suffisamment précise.

Il faut seulement espérer que les pouvoirs publics anticiperont les mesures de prévention qui permettront à cette élection centrale qu’est l’élection municipale, d’avoir lieu dans les meilleures conditions possibles. Parmi les mesures prises, l’instruction du 9 mars 2020 relative aux modalités d’exercice du droit de vote par procuration permet « la désignation des directeurs de ces établissements, ou d’un agent désigné par l’officier de police judiciaire et le juge, comme délégués d’un officier de police judiciaire afin de recevoir les demandes de procuration des personnes vulnérables qui y sont hébergées ». Le recours à la procuration étant ainsi facilité par cette instruction, qui est elle-même validée par le Conseil d’État, permettra aux personnes les plus vulnérables de tout de même pouvoir exprimer leur choix.

Pour terminer cet article inquiétant, citons Astrid Vabret, cheffe du service de virologie du CHU de Caen : « La situation est inquiétante car il s’agit d’une nouvelle maladie, mais il y a une différence entre une inquiétude qui entraîne une vigilance, et une panique qui ne sert à rien ». Appelons donc à la vigilance, au respect des préconisations basiques d’hygiène, et ces élections municipales ne présenteront aucune difficulté particulière.

Ricardo Salas Rivera