04/10/2014 : Affaire Bygmalion : l’étau se resserre. Une analyse juridique.

Ainsi que le révèle le Monde le 4 avril 2014, trois ex-cadres de l’UMP ont été mis en examen dans l’affaire Bygmalion. Il s’agit de l’ancien directeur général, Eric Cesari, proche de Nicolas Sarkozy, de l’ex-directrice des affaires financières, Fabienne Liadzé, et de l’ancien directeur de la communication, Pierre Chassat.

Cette mise en examen fait elle-même suite à la mise en examen, mercredi dernier, de trois membres de la société Bygmalion : Bastien Millot (ancien collaborateur de Jean-François Copé), et Guy Alvès, les deux fondateurs, poursuivis pour « complicité de faux et complicité d’usage de faux », et Franck Attal, l’ancien patron de la filiale de Bygmalion, Event & Cie, organisatrice d’événements politiques, pour« faux et usage de faux ».

Guy Alvès, notamment, aurait reconnu mercredi sa participation à la fraude, révélée cet été, qui consistait à établir un système de fausses factures afin de faire prendre en charge des dépenses de campagne à l’UMP, plutôt que de les imputer sur le compte de campagne de Nicolas Sarkozy. Il aurait avoué la mise en place d’« un dispositif (…) aux termes duquel l’UMP prenait en charge de façon irrégulière des frais de campagne de Nicolas Sarkozy », d’après son avocat, Patrick Maisonneuve.

L’affaire Bygmalion semble donc se rapprocher toujours davantage de Nicolas Sarkozy, mais ce n’est là qu’une étape des procédures enclenchées suite au rejet de ses comptes de campagne. On compte trois étapes et/ou procédures parallèles, sur lesquelles on peut ici revenir dans la mesure où elles ne manqueront pas de rythmer le présent blog dans les semaines à venir : le rejet de ses comptes de campagne (1), la sanction pour dépassement payée par l’UMP et non par Nicolas Sarkozy lui-même (2), et enfin l’affaire Bygmalion (3).

 

Le rejet des comptes de campagne : les prémices de l’affaire Bygmalion 

Le rejet des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy fut spectaculaire (V. pour une analyse scientifique complète B. Maligner, AJDA 2013, 1810).

Celui-ci fut d’abord décidé par la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) du 19 décembre 2012. C’était la troisième fois sous la Vème République que des comptes étaient rejetés, mais la première fois que cela était le cas pour un candidat aussi important (la première fois était pour le compte de J.  Cheminade par une décision 95-98 PDR du 11 octobre 1995, la seconde pour le compte de B. Mégret par une décision 2002-113 PDR du 26 septembre 2002).

La décision de rejet du compte de  Nicolas Sarkozy par la CNCCFP reposait sur trois griefs : (1) le constat, après instruction du compte et réformation, d’un dépassement du plafond des dépenses autorisées de 363 615 euros, (2) un montant total de réintégrations de 1 567 425 euros, soit 7,35 % des dépenses, affectant la sincérité du compte, (3) la participation du candidat à huit manifestations antérieures à sa déclaration de candidature et présentant au moins en partie un caractère électoral, sans déclaration de dépenses pour ces manifestations.

Cette décision fut, réserve faite de certains points conduisant à la réformation de la décision de la CNCCFP, confirmée par la décision du Conseil constitutionnel n°2013-156 PDR du 4 juillet 2013, qui ajouta comme motif de rejet du compte un motif fondamental, à savoir que la réunion de Toulon, payée par l’Etat car organisée pour Nicolas Sarkozy chef de l’Etat (mais dont les coûts furent partiellement réintégrés dans le compte) n’avait pas été refacturée et donc qu’elle avait été payée in fine par l’Etat, en violation du principe selon lequel les personnes morales ne sauraient en aucun cas financer une campagne électorale, ce qui vaut aussi bien sûr pour les personnes morales de droit public (article L. 52-8 du code électoral ; Cons. const., 12 avril 2013, AN La réunion 5°, 2013-4874).

On insistera ici sur deux points seulement, dans la mesure où ils sont directement en lien avec les affaires qui nous intéressent :

D’une part, on notera, puisque le blog du droit électoral est aussi l’ancien blog du droit des sondages, la réintégration par la CNCCFP de nombreuses dépenses d’études d’opinion.

Le compte de campagne de Nicolas Sarkozy prévoyait des dépenses d’un montrant de 110.919 euros, soit 50 % d’une dépense totale correspondant aux prestations de deux cabinets, Giacometti-Péron et Publi-Opinion (ce dernier dirigé par Patrick-Buisson), car la moitié du montant de ces études était réalisé selon le candidat en vue des élections législatives.

La CNCCFP n’est pas tombée d’accord et a décidé de réintégrer dans les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy la somme de 95.082 euros correspondant aux deux tiers de la facture du cabinet Giacometti-Péron et d’autre part la somme de 31.689 euros correspondant au tiers de la facture du cabinet Publi-Opinion. La Commission a en effet estimé que ces dépenses devaient être imputées à l’élection présidentielle.

Le Conseil constitutionnel ira dans le même sens en modifiant quelque peu la solution : selon lui, les prestations portent pour le cabinet Publi-Opinion pour 11/19 sur l’élection présidentielle et 8/19 pour des dates postérieures et les élections législatives, et il y a lieu d’accepter sur ce point le compte de campagne. Il sera en revanche sévère pour Giacometti, retenant une intégration de 90 %, car 10 % des réunions ont eu lieu après les élections présidentielles et ne pouvaient donc concerner que les élections législatives. Il considéra ainsi que 128 360 euros devaient être inscrits dans le compte et que le candidat ayant seulement inscrit la somme de 47 541 euros, il convenait d’ajouter la somme de 80 819 euros… Une solution sévère !

La situation aurait pu être plus grave encore, la question ayant été posée de savoir s’il l’on pouvait également réintégrer des sondages liés à l’affaire des sondages de l’Elysée. Cependant la Commission, notamment en raison de son trop faible pouvoir d’instruction, ne peut donner suite. Quant au Conseil constitutionnel, il ne dit pas un mot sur cette question de l’affaire des sondages de l’Elysée, ce qui ne manque pas de poser question. Mais ceci est une autre question, sur laquelle on reviendra peut-être.

D’autre part, les pratiques qui feront tomber Bygmalion se trouvaient déjà dans l’affaire des comptes de campagne, ce qui justifia aussi les enquêtes postérieures, à propos des dépenses non inscrites au compte de campagne et antérieures au 15 février 2012.

En effet, selon la Commission, suivant la jurisprudence du Conseil constitutionnel et sa propre pratique administrative, si en principe, la déclaration publique de candidature ou l’investiture de la formation politique marque pour un candidat le début des opérations qui devront être retracées pour le compte de campagne, ces dernières ont pu en réalité commencer auparavant, puisque les comptes de campagne commencent un an avant l’élection (articles L. 52-4 et L. 52-12 du code électoral applicables à l’élection présidentielle). Or pour la Cour, certaines dépenses du Président-candidat peuvent être intégrées dans les comptes de campagne : si, au cours des manifestations auxquelles il participe dans la période précédant l’annonce de sa candidature, il est amené à exposer des éléments de son bilan, à participer au débat électoral vis-à-vis d’autres candidats déclarés ou à présenter des éléments d’un programme, le coût de ces manifestations devrait être intégré ultérieurement au compte de campagne, au moins partiellement.

Or, la Commission constate que le compte de campagne déposé par Nicolas Sarkozy ne contient aucune dépense se rattachant à une manifestation ou à une action de propagande antérieure au 15 février 2012, sauf une exception insignifiante, alors même qu’elle a constaté l’existence de tels événements.

Sont alors réintégrés au compte de campagne l’impression d’un bulletin de l’UMP vantant le bilan de l’UMP au motif qu’il avait été tiré à 500.000 exemplaires, cette publication massive revêtant un caractère électoral. Mais surtout, c’est l’organisation de réunions publiques qui posa question : or ici, non seulement le caractère électoral de la réunion de Toulon sera retenu malgré la présidence de Nicolas Sarkozy en tant que chef de l’Etat (voir ci-dessus), mais il fut nécessaire de se pencher sur le caractère électoral de la réunion de Villepinte du 11 mars 2012 dont le coût total s’était élevé à 3.042.335 euros mais dont la charge financière avait été répartie entre le compte de campagne et l’UMP, car un conseil extraordinaire de l’UMP s’était tenu le matin.

Alors que le compte de campagne de Nicolas Sarkozy avait établi un partage à 50/50, ce sont finalement 80 % des frais d’organisation et de location des salles et 95 % du coût des transports des participants qui seront réintégrés dans les comptes de campagne, pour un montant total de plus d’1 millions d’euros, au motif que l’organisation de cette conférence était en réalité une sorte de prétexte, comme il ressortait des faits.

L’affaire Bygmalion était, d’une certaine manière, déjà là…

 

Le paiement de la sanction administrative pour dépassement du plafond des comptes de campagne

Une autre affaire, de bien moindre importance, est en cours à propos de Nicolas Sarkozy, du rejet de ses comptes de campagne, et de l’UMP. Il s’agit de l’affaire concernant le paiement de l’amende pour dépassement du plafond des comptes de campagne, payée par l’UMP directement et non par Nicolas Sarkozy lui-même, et qui pose des problèmes juridiques.

En vertu de l’article L. 52-15 du code électoral, « Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales a été constaté par une décision définitive, la commission fixe alors une somme égale au montant du dépassement que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée comme les créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine ». La loi  n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel dispose quant à elle que « Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales est constaté, la commission fixe une somme, égale au montant du dépassement, que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée comme les créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine ». En application de cette disposition, le Conseil constitutionnel a exigé de Nicolas Sarkozy le paiement d’une amende, fixée à 363615 euros par la CNCCFP, soit le montant du dépassement.

Mais c’est l’UMP qui a payé cette somme. Ainsi que le rapporte un article du blog d’Alexandre Lemarlié, l’UMP d’après, fin 2013, l’UMP a adressé un chèque de 363 615 euros au Trésor public pour régler cette pénalité, somme comprise dans les recettes tirés du « Sarkothon » à l’été 2013.

Mais il existe un doute juridique sur la légalité de cette mesure. Saisi par l’UMP, Me Philippe Blanchetier avait considéré que la prise en charge de cette sanction administrative par le parti était conforme au droit… mais il se trouve que Me Philippe Blanchetier est aussi l’avocat de Nicolas Sarkozy.

Il semblerait que le parquet n’ait pas la même analyse juridique que M. Blanchetier. Ainsi que le rapportait début juillet le JDD, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris pour déterminer s’il n’y a pas eu un « abus de confiance » lors du paiement par l’UMP de cette amende. En effet, d’après la jurisprudence, la somme que le candidat doit verser au Trésor quand il a dépassé le plafond des dépenses électorale constitue une sanction administrative à caractère pécuniaire, marquée par le principe de personnalité des peines, et le parquet en déduit qu’il ne peut pas être pris en charge par le parti politique (CE 6 déc. 2002, Mme Marchand et a., req. no 231868: Lebon 449; BJCL 2003. 132, concl. Prada Bordenave, obs. Degoffe; RFDA 2003. 186, rubr. Terneyre, Code électoral Dalloz, art.L 52-15, note 228).

Une deuxième affaire, donc, qu’il faudra suivre, et qui donnera lieu à une jurisprudence intéressante.

 

L’affaire Bygmalion

Mais c’est la troisième affaire qui constitue le cœur de l’actualité. On peut, en prenant appui sur un article du Monde en faisant le résumé, la retracer rapidement.

Depuis cet été et les révélations de Libération et de Mediapart, l’UMP, et notamment Jérôme Lavrillieux, très proche de Jean-François Copé, est accusée d’avoir organisé un système de fausses factures pour que les dépenses de campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2012 restent inférieures au plafond autorisé par la loi… même si comme nous venons de le voir, cela n’a pas fonctionné devant les autorités de contrôle.

Ainsi, une partie des frais occasionnés par la campagne n’était pas réglée par son association de financement, l’Association pour le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, comme cela aurait dû être le cas en application de l’article L. 52-4 du code électoral, mais par l’UMP. Bygmalion, l’entreprise prestataire de la campagne, facturait à l’UMP pour l’organisation d’événements plus ou moins fictifs (des « conventions thématiques »), alors qu’en réalité les événements en question étaient effectivement réalisés pour la campagne de Nicolas Sarkozy. On peut noter d’ailleurs que c’est suite à cette affaire que Jean-François Copé déposa des propositions de loi pour améliorer la transparence du financement des partis politiques (Proposition de loi organique n° 2054 visant au renforcement de la transparence financière de la campagne présidentielle, Ass. Nat, 20 juin 2014 ; proposition de loi n° 2092 relative au renforcement de la transparence financière des groupements et partis politiques, Ass. Nat. 2 juillet 2014).

Finalement, en examinant les comptes de campagne, le Conseil constitutionnel était loin de la réalité, telle qu’elle ressort des montants révélés par l’enquête :  18 556 175,95 euros de fausses factures, d’après Le Monde. Soit une campagne au coût total d’environ 41 millions d’euros, bien au-delà du plafond légal de 22,509 millions d’euros.

A ce jour, l’information judiciaire est ouverte pour « faux, usage de faux, abus de confiance et tentative d’escroquerie ». D’après Le Monde, elle pourrait aussi déboucher sur d’autres chefs de poursuite, notamment celui de fraude électorale, passible de 3 750 euros d’amende et d’un an de prison, mais la sanction semble bien dérisoire.

Dès lors, et pour conclure, l’affaire Bygmalion que l’on suivra nous conduit vers un autre terrain de recherche : celui de l’utilisation, efficace ou non, du droit pénal pour poursuivre des affaires de financement illégal de partis politiques.

A suivre !

Romain Rambaud