De la clarification à l’innovation en droit électoral (crowdfunding et stabilité de la législation électorale) : retour sur les lois du 2 décembre 2019 [R. Rambaud]

Adoptées pour faire suite aux observations du Conseil constitutionnel formulées à propos des élections législatives de 2017, les lois organique (n°2019-1268) et ordinaire (n°2019-1269) du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, issues des propositions de loi « Richard », ne constituent pas des « grands textes » du droit électoral, mais contiennent des avancées intéressantes dont certaines soulèvent des problématiques fortes du droit électoral. La quasi-totalité de leurs dispositions n’entreront toutefois en vigueur que le 30 juin 2020, après les élections municipales : seule l’extension de l’inéligibilité des fonctionnaires de préfecture, portée de 1 à 2 ans et pour lesquelles l’exception du départ à la retraite ne vaut plus, est d’application immédiate.

Cette loi comporte de nombreux volets. Tout d’abord, des innovations : création d’un principe de non-modification du droit électoral un an avant le scrutin, l’autorisation du crowdfunding pour les candidats et les partis politiques, l’amélioration du droit des campagnes électorales (clarification de la période de réserve par le déplacement de la fin de la campagne électorale le vendredi à minuit, interdiction de la photographie ou de la représentation de non-candidats ou d’animaux sur les bulletins de vote, dispositifs de lutte contre l’affichage sauvage, notamment). Ensuite, des simplifications : alignement des règles d’inéligibilité pour insister sur la fraude ou le manquement d’une particulière gravité, exonération du recours à un expert comptable lorsque le candidat n’est pas éligible au remboursement forfaitaire.

On ne rentrera pas ici dans le détail de ces dispositifs : en effet, maître Benjamin VINCENS-BOUGUEREAU, du cabinet ATV, a produit sur le site de son cabinet un article de synthèse que nous trouvons tout à fait bien, et auquel, avec son aimable autorisation, nous renvoyons ici.

Par ailleurs, va être publiée bientôt à l’AJDA une étude de notre plume, beaucoup plus longue et approfondie, à laquelle nous renvoyons donc.

On fera cependant ici deux remarques de fond.

Tout d’abord, il faut insister sur le fait que cette loi autorise le crowdfunding (à partir du 30 juin 2020), qui avait été interdit par le Conseil constitutionnel. Ce n’est pas seulement une évolution juridique, mais cela pourrait être une révolution politique, en ce sens que cela pourrait permettre de faciliter l’accès au financement de certaines petites formations politiques. On aurait pu imaginer, dans la loi, autoriser la publicité pour les appels aux dons par voie numérique, alors qu’elle n’est autorisée aujourd’hui que par voie de presse, mais cela n’a pas été fait (L. 52-8). Un décret devra être adopté pour prévoir le dispositif de sécurité adéquat à la création de ce nouvel outil pour respecter les très nombreuses interdictions posées par le code électoral.

Ensuite, il faut contester le principe selon lequel la loi vient inscrire une « tradition républicaine » concernant le principe de non-modification de la loi électorale un an avant le scrutin. En effet, cette tradition républicaine n’existe tout simplement pas, comme nous avons déjà pu le dire au courrier des maires précédemment. Certes, il existait un article isolé, l’article 7 de la loi n°90-1103 du 11 décembre 1990 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux (laquelle est abrogée au 30 juin 2020 par la nouvelle loi) disposant que « Il ne peut être procédé à aucun redécoupage des circonscriptions électorales dans l’année précédant l’échéance normale de renouvellement des assemblées concernées », règle qui s’imposait à l’exécutif dans le redécoupage des cantons (CE, 18 déc. 1991, n°125338, Berthelot). Cependant, la portée de cet article est très limitée car il est présent dans un texte qui ne concerne que les conseils départementaux et régionaux et surtout parce que le législateur peut défaire cette règle par un texte ultérieur. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a explicitement rejeté l’existence d’un PFRLR d’interdiction de modifier le mode de scrutin un an avant l’élection, au motif « que diverses lois antérieures ont, au contraire, modifié les règles électorales dans l’année précédant le scrutin » (Cons. const., n°2008-563 DC, 21 fév. 2008). Enfin, il est possible de citer des preuves de la non-existence d’un tel usage : les règles des élections municipales de mars 2014 n’ont-elles pas été changées de façon importante par les lois organique n°2013-402 et ordinaire n°2013-403 du 17 mai 2013 relatives à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux, et celles des élections européennes de mai 2019 par la loi n°2018-509 du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen  ?

Il s’agit donc bien de créer un nouveau principe. Cependant, la valeur même de celui-ci est très relative, comme le reconnait au demeurant le rapport de la commission des lois du Sénat précisant que « Le pouvoir réglementaire serait tenu de respecter ce principe législatif, notamment pour délimiter les cantons (élections départementales) et les communes (élections municipales). À l’inverse, le pouvoir législatif pourrait y déroger au cas par cas ». Rien n’empêchera donc de ne pas le respecter à l’occasion d’une prochaine loi, même s’il faudra l’assumer politiquement. Ce principe a en revanche une vertu, qui relève pour partie de l’affichage, mais d’un affichage bienvenu : cette règle de stabilité du droit électoral est un standard international, consacré par le code de bonne conduite de la Commission de Venise, selon lequel « les éléments fondamentaux du droit électoral, et en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions ne devraient pas pouvoir être modifiés moins d’un an avant une élection, ou devraient être traités au niveau constitutionnel ou à niveau supérieur à celui de la loi ordinaire » (CDL-AD(2002)023rév., pt. II.2.b). Il est préférable que la France se rapproche enfin de ce standard international.

Romain Rambaud