Coronavirus : la campagne sauvée par la propagande officielle ? [R. Rambaud]

Alors que le débat sur un éventuel report des élections municipales semble progressivement s’essouffler (les ministres de l’intérieur et de la santé ont encore exclu cette hypothèse, tandis qu’un sondage OpinionWay pour UNCCAS – Public Sénat – La Tribune montre finalement que 71 % des français ne sont pas spécialement inquiets concernant le déroulement des élections municipales), l’impact du Coronavirus sur la campagne électorale se fait sentir, notamment dans les territoires du pays qui sont des « clusters ». Dans certains départements, la question est très saillante, notamment dans l’Oise, où le déroulement des campagnes électorales est très perturbé puisque tous les rassemblements collectifs ont été interdits par arrêté préfectoral, donc les réunions publiques annulées. Il existe aussi des cas où certains candidats ont passé du temps en situation de confinement. Par ailleurs, le gouvernement a annoncé interdire les rassemblements de plus de 1000 personnes, ce qui pourrait considérablement réduire les campagnes électorales et notamment les meetings : ainsi par exemple Rachida Dati a été obligée à Paris de diminuer la taille du meeting clé de sa fin de campagne avec Nicolas Sarkozy. Sur ce point la notion de « rassemblement utile à la vie de la Nation » ne manquera pas de faire gloser.

Cette situation inédite pourrait avoir un effet inattendu : celui de redonner son lustre d’antan à la « propagande » officielle, c’est à dire à l’envoi traditionnel aux domiciles des électeurs d’une profession de foi et d’un bulletin de vote des listes de candidats aux élections municipales.

Qu’est-ce que la propagande officielle ?

La campagne officielle a commencé le lundi 2 mars. Avec l’installation des panneaux d’affichage officiel devant les bureaux de vote (depuis 1914), la propagande officielle papier envoyée aux électeurs, c’est à dire une profession de foi (désignée en droit par le terme de « circulaire ») et un bulletin de vote, est l’autre composante fondamentale de cette campagne officielle.

La « propagande officielle » a une histoire singulière. L’utilisation même du mot « propagande » peut surprendre, mais avant les événements tragiques du XXème siècle, ce mot n’était pas affecté du caractère péjoratif qui l’accompagne désormais. S’agissant donc de la propagande officielle, qui sait qu’elle fut créée en 1919 (loi du 20 octobre 1919) d’abord à titre provisoire en raison d’une pénurie de papier faisant suite à la première guerre mondiale, l’Etat décidant de prendre en charge à la place des candidats l’envoi de ces documents ? Pérennisé en 1924, ce système fut approfondi avec sa prise en charge financière par l’Etat au lendemain de la première guerre mondiale. La propagande officielle devint alors, en France, le vecteur principal du principe d’égalité entre les candidats.

Dans les communes de 2500 habitants et plus, des « commissions de propagande », instances indépendantes installées à la préfecture (elles sont composées d’un magistrat désigné par le premier président de la cour d’appel, président, d’un fonctionnaire désigné par le préfet et d’un représentant de l’opérateur chargé de l’envoi de la propagande), se sont réunies une première fois en début de semaine et ont « pré-validé » les professions de foi et les bulletins de vote des candidats. Elles se réuniront encore en fin de semaine pour recevoir et valider la propagande des candidats avant l’envoi aux bureaux de vote et aux électeurs, qui doit intervenir d’après le code électoral « au plus tard le mercredi précédant le premier tour de scrutin et, en cas de ballottage, le jeudi précédant le second tour » (art. R. 34 du code électoral).

Dans les communes de 1000 à 2500 habitants, la propagande officielle est prévue mais distribuée par les candidats eux-mêmes. Dans les communes de moins de 1000 habitants en revanche, il n’existe ni propagande officielle ni remboursement en raison du mode de scrutin.

Cette propagande officielle est remboursée aux candidats qui obtiennent au moins 5 % des suffrages exprimés (art. L. 243). Si elle peut donc être facilement utilisée par les forces politiques ayant une audience suffisante, son accès est beaucoup plus difficile pour les très petites listes. Le système d’égalité trouve une limite dans sa soutenabilité financière.

Le retour en grâce de la propagande officielle ?

La propagande officielle est critiquée depuis de nombreuses années. On conteste d’abord son utilité : il est certain que les Français disposent aujourd’hui de très nombreuses manières de s’informer sur les candidats et sur leurs programmes (presse, médias, internet, réseaux sociaux, etc.) très en amont du scrutin, et pour beaucoup d’entre eux n’attendent pas la dernière semaine avant l’élection pour se faire une opinion politique. Mais on conteste surtout son coût : ainsi, l’Etat a budgété 65,7 millions d’euros pour financer la propagande officielle des candidats aux élections municipales de mars 2020, ce qui est une somme considérable. L’exécutif a tenté à plusieurs reprises de supprimer la propagande officielle au profit d’une dématérialisation de celle-ci, notamment lors des projets de loi de finances pour 2014, 2015 et 2017. Le Sénat s’y est toujours opposé.

Cet aspect des choses est d’ailleurs à prendre en compte dans le raisonnement du Gouvernement qui se refuse pour l’instant à reporter les élections municipales. Les rotatives ont en effet tourné toute la semaine. Le coût d’un report des élections serait considérable, car il faudrait indemniser tous les candidats. Et cela, c’est sans compter l’autre budget du remboursement des dépenses électorales des 6 précédents mois de campagne dans les communes de 9000 habitants et plus où s’applique le système des comptes de campagne.

Les arguments pour soutenir le maintien de la propagande officielle malgré son coût sont les suivants : son caractère de « tradition républicaine », le fait de favoriser par ce biais une égalité entre les candidats, l’utilité de ce dispositif pour les personnes âgées ou pour les personnes vivant dans des zones blanches. A ces arguments classiques peut sans doute être ajouté aujourd’hui le fait que les électeurs se décident souvent au dernier moment.

Désormais, les défenseurs de la propagande officielle pourront sans doute trouver dans la crise virale du Coronavirus un argument supplémentaire pour la maintenir. Alors que dans un certain nombre d’endroits, les meetings, réunions, poignées de main et tractages sur les marchés seront limités, beaucoup de Français attacheront peut-être une importance plus grande que lors des précédentes élections à cette propagande officielle pour se faire un avis en dernière analyse. Cela sera surtout le cas dans les départements où des restrictions importantes vont être imposées, et ce pourrait même être un argument pour le juge si celui-ci est conduit à apprécier la sincérité du scrutin : le fait que la campagne officielle ait pu utilement suppléer à ces perturbations.

Cela ne serait pas le moindre des paradoxes : que le produit de la modernisation (ici un virus venu de Chine) nous conduise à revenir à un dispositif souvent jugé archaïque… petite vengeance de l’Histoire.

Romain Rambaud