18/02/2016 : Mise en examen de Nicolas Sarkozy : analyse de droit pénal électoral [R. Rambaud]

téléchargementLe rejet des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy par la CNCCFP en décembre 2012 puis par le Conseil constitutionnel en juillet 2013, qui lui-même a précédé le scandale de l’affaire Bygmalion, n’a pas fini de produire tous ses effets. Un nouveau volet, ultra-médiatisé eu égard à ses enjeux politiques, s’ouvre aujourd’hui concernant le statut judiciaire de Nicolas Sarkozy.

Ce n’est pas le premier. On se rappelle notamment de l’affaire du paiement de l’amende de 363615 euros fixée par la CNCCFP et confirmée par le Conseil constitutionnel à la suite du rejet des comptes de campagne : on y avait consacré plusieurs articles sur ce blog. Nicolas Sarkozy a fini par payer lui-même cette amende mais une polémique avait éclatée parce que l’UMP au départ l’avait payée à sa place et certains avaient pu y voir un abus de confiance. Une enquête avait été ouverte et Nicolas Sakozy placé sous le témoin de statut assisté : cela se solda finalement par un non lieu général, les différents éléments caractéristiques de l’infraction (détournement, préjudice, élément moral), n’étant pas réunis. Ainsi que nous en avions fait l’hypothèse à plusieurs reprises, les instruments du droit pénal, s’ils existent, semblent peu adaptés pour les questions électorales en l’état du droit positif.

Cette hypothèse de recherche se trouve de nouveau mobilisée dans l’affaire des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, selon des données assez différentes toutefois.

La mise en examen de Nicolas Sarkozy

Comme la presse s’en est fait largement écho, Nicolas Sarkozy a subi une garde à vue de 12h dans la journée de mardi. Il en est sorti deux actes de procédure pénale.

téléchargement (2)D’une part, Nicolas Sarkozy a été mis en examen pour « financement illégal de campagne électorale ». De quoi s’agit-il ? Précisément, il a été inculpé parce qu’il existe des éléments graves et concordants indiquant qu’il aurait commis l’infraction visée à l’article L. 113-1.I du code électoral, rendu applicable à l’élection présidentielle par la loi organique du 6 novembre 1962.

CbXEHEDXIAAyOGrCet article, qui fait partie des « dispositions pénales » du code électoral (articles L. 86 à L. 117-1), prévoit que « Sera puni d’une amende de 3 750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout candidat (…) qui : 3° Aura dépassé le plafond des dépenses électorales fixé en application de l’article L. 52-11 « . D’après le communiqué du Procureur de Paris, c’est le dépassement du plafond des comptes de campagne qui justifie cette mise en examen : le fondement du communiqué est l’article L. 113-1.I 3° du code électoral. On se trouve donc dans l’hypothèse associée au rejet du compte de campagne de Nicolas Sarkozy. Sur ce point, il s’agit d’un droit pénal électoral au sens strict, c’est à dire un droit pénal spécial de nature électorale. Les partisans de Nicolas Sarkozy minimisent clairement l’impact de cette inculpation : pour eux, il n’y a là rien de neuf sous le soleil.

téléchargement (1)D’autre part, Nicolas Sarkozy a été placé sous le statut de témoin assisté pour «faux, escroquerie, et abus de confiance» pour ce qui concerne la stricte partie du litige relative à l’affaire Bygmalion… une situation assez délicate, car ainsi que le relevait notre ami et collègue Mehdi Taboui, spécialiste des conflits d’intérêts et contributeur du blog du droit électoral dans une interview donnée à Slate.fr, les Républicains se trouvent partie civile dans une affaire concernant leur président… De son côté, Nicolas Sarkozy assure n’avoir jamais eu connaissance du système frauduleux. Sur ce point, les partisans de l’ex-président, ainsi que son avocat, se réjouissent de cette décision, qui pour eux éloigne Nicolas Sarkozy de la menace. Ce qui semble un peu hâtif, comme le relève maître Eolas dans l’express, dans la mesure où le passage du statut de témoin assisté à celui de mis en examen n’est pas théorique. Sur ce point, on se situe plutôt dans une logique de droit pénal de droit commun… une hypothèse dans laquelle en général, l’infraction pénale est plus difficile à établir, notamment du fait de l’élément moral… à suivre.

Dans l’attente, il est clair que la condamnation la plus probable est la condamnation sur le fondement de l’article L. 113-1.I du code électoral, car il s’agit d’un droit électoral spécial et donc expressément conçu pour ce type de situations. Cependant l’utilisation de cet article pourra aussi permettre de toucher Bygmalion : c’est l’hypothèse de l’article L. 113-1.I du code électoral utilisé comme cheval de Troie.

L’article L. 113-1 du code électoral : un cheval de Troie ?

L’affaire pourrait être plus complexe et plus dangereuse que ne l’indiquent les avocats de Nicolas Sarkozy, qui se retranchent derrière l’argument qu’il n’y a là rien de nouveau. Cela est sans doute vrai en ce qui concerne l’article L. 113-1.I 3°, qui vise le candidat qui « Aura dépassé le plafond des dépenses électorales fixé en application de l’article L. 52-11 » : les faits sont déjà constitués de ce point de vue (quoiqu’il faille démonter l’élément moral, mais il serait sans doute très minoré).

téléchargement (3)Mais cela ne couvre peut-être pas toute l’affaire. En effet, Il existe aussi un 5° dans l’article L. 113-1.I qui vise l’hypothèse du candidat qui « Aura fait état, dans le compte de campagne ou dans ses annexes, d’éléments comptables sciemment minorés ». Or, ce cas de figure pourrait être plus dangereux pour Nicolas Sarkozy dans la mesure il permettrait de révéler, alors que l’enquête va être poursuivie et que les mesures de contraintes seront plus fortes sur Nicolas Sarkozy, les sommes d’argent non inscrites dans le compte de campagne et en rapport direct avec les affres de l’affaire Bygmalion. Cette incrimination de droit pénal électoral pourrait-elle constituer un cheval de Troie permettant d’aller au delà du simple dépassement et de mordre sur le champ du droit pénal général forcément moins adapté, comme on l’a vu dans l’affaire de la pénalité ? Voilà une hypothèse à creuser.

L’article L. 113-1 : une utilisation rare

téléchargementConcernant cet article, crée en même temps que le contrôle des comptes de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (loi n°90-55 du 15 janvier 1990, art. 5), son actionnement est très intéressant dans la mesure où il n’est finalement pas si couramment utilisé que cela. La sanction traditionnelle des déviations en matière de comptes de campagne est  le non-remboursement des dépenses de campagne, voire une amende en cas de dépassement, et surtout le prononcé par le juge de l’élection d’inéligibilités dans les cas les plus graves (art. L. 118-3 du code électoral), à l’exception notable cependant, il faut le souligner, de l’élection présidentielle où la sanction d’inéligibilité ne s’applique pas (à défaut d’être prévue par la loi du 6 novembre 1962 qui ne fait pas référence ni à l’article LO 136-1 ni à l’article L. 118-3).

imagesLa poursuite pénale, distincte de la procédure administrative, est fort rare. Si la CNCCFP a dans le passé régulièrement saisi le parquet pour que des suites soient données à des violations de la législation électorale, il appartient toujours au Ministère public d’apprécier l’opportunité des poursuites en application du droit commun et il est rare que le Ministère public agisse.  Bien sûr, conformément aux règles classiques de répartition des compétences juridictionnelles, le juge administratif, à chaque fois qu’il est saisi d’une demande, en tant que juge de l’élection, visant à prononcer les sanctions prévues à l’article L. 113-1 du code électoral, se déclare incompétent pour le faire (Conseil d’État, 3ème SSJS, 16/01/2015, 381838Conseil d’État, 6ème sous-section jugeant seule, 23/02/2009, 316839).

Cela a sans doute découragé la CNCCFP au fur et à mesure : si son rapport annuel de 1999 faisait valoir le renvoi de 76 dossiers au parquet depuis sa création (Bernard Maligner), il est depuis bien difficile de trouver une référence à des signalements réalisés par la CNCCFP sur le fondement de cet article dans ses rapports annuels de la dernière décennie. Par ailleurs, le dispositif n’est, comme la plupart des infractions électorales, pas dissuasif du tout. 3750 euros d’amende et/ou un an d’emprisonnement, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, sauf à imaginer une très grande sévérité des juges dans le prononcé de la peine… laquelle pourrait toutefois être un sérieux problème pour le président sortant, si les juges décidaient d’appliquer la peine la plus stricte à Nicolas Sarkozy.

4564785_3_420a_l-ancien-president-du-conseil-constitutionnel_2d0f7f1fc44abed614f7ab71cc6bfadeCependant, son actionnement n’est pas que théorique, la jurisprudence admettant au demeurant en la matière la constitution de partie civile, dès lors qu’il existe un préjudice et une relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale, ce qui est le cas notamment des autres candidats (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 5 février 2003, 02-82.255)… et ce, même si la Cour de cassation a pu très logiquement refuser une constitution de partie civile fondée sur l’article 113-1  du Code électoral dirigée contre un refus d’informer du Ministère public relatif à deux comptes de campagne de candidats à l’élection présidentielle de 1995 au motif que le Conseil constitutionnel les avait approuvés (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 22 février 2000, 97-83.460) ! On ne dira pas de quels comptes il s’agissait : tout le monde aura compris. M. Dumas, surtout…

On remarquera cependant, pour finir, que l’article L. 113-1.I ne fait pas partie des articles du code électoral pour lesquels la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a donné le droit aux associations anti-corruption de se porter partie civile. Cette nouvelle possibilité est limitée à quelques articles : il s’agit des hypothèses d’achat de vote (art. 106), de pressions et violences (art. 107), de promesses d’avantages divers à une collectivité (art. 108) et de ces infractions commises par des fonctionnaires (art. 109). Dommage…

L’article L. 113-1 : une utilisation retentissante.

téléchargement (4)Cependant, on trouve l’article L. 113-1, de temps en temps, dans des affaires retentissantes, souvent associées à des questions de corruption. On peut en citer au moins trois : l’affaire du Casino d’Annemasse visant Charles Pasqua, l’affaire de corruption au conseil général des Yvelines, impliquant Pierre Bédier mais visant ici Dominique Paumier et enfin l’affaire de l’OPAC de Moselle visant les parlementaires Jean-Louis Masson et Marie-Jo Zimmermann. Les deux premières ne concernaient pas la même hypothèse que Nicolas Sarkozy, car si l’article L. 113-1 est bien en cause, il s’agissait en l’espèce de l’acceptation d’un don illicite, donc de l’article L. 113-1.I 1° et 2°. La troisième est plus proche de notre hypothèse car elle engageait une minoration des dépenses de campagne, donc l’article L. 113-1.I 5°, le cheval de Troie dont on parlait précisément auparavant.

7601190La première affaire est donc celle de  l' »affaire du casino d’Annemasse » c’est à dire la condamnation le 12 mars 2008 de Charles Pasqua pour les élections européennes de 1999L’ancien ministre de l’intérieur avait été jugé pour avoir bénéficié de 7,5 millions de francs (1,1 million d’euros) pour sa campagne, issus de la vente du casino d’Annemasse (Haute-Savoie) dont il avait autorisé, en tant que ministre, l’exploitation en 1994 : il s’agissait donc de l’acceptation d’un don illicite. Condamné pour faux, financement illégal de campagne électorale et abus de confiance, il avait été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris, ce qui avait été confirmé en appel et par la Cour de cassation (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 8 avril 2010, 03-80.508 09-86.242).

téléchargement (5)La deuxième affaire est liée à l’affaire Delfau, nom de la révélation d’une corruption généralisée au conseil général des Yvelines à la fin des années 1990 et qui s’est achevée en 2002, mettant en cause Pierre Bédier, lequel a été toutefois été récemment réélu président du conseil général des Yvelines, son inéligibilité ayant pris fin en 2012. Au cours de cette affaire de corruption c’est un conseiller général, Dominique Paumier, qui avait été inquiété pour financement illégal de sa campagne électorale : il s’agissait là aussi de l’acceptation illicite d’un financement. Ce dernier avait été condamné par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 27 juin 2002 pour corruption passive, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, recel d’abus de biens sociaux et infraction au code électoral, à 2 ans d’emprisonnement avec sursis, 9.000 euros d’amende et 3 ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité. Son pourvoi été rejeté par la Cour de cassation (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 28 mai 2003, 02-85.185).

téléchargement (6)Une troisième affaire, moins connue mais plus proche de notre espèce, est l’affaire de l’OPAC de Moselle en 2005. Le sénateur (DVD) Jean-Louis Masson et le député (UMP) Marie-Jo Zimmermann avaient été mis en examen en 1999 après une plainte du maire (DVD) de Metz Jean-Marie Rausch, pour avoir employé dans leurs équipes de campagnes, pour les cantonales de 1994, les législatives de 1997, une législative partielle en 1998 et les régionales de 1998, des salariés rémunérés par l’OPAC de Moselle, que présidait alors M. Masson. Après un recours en cassation infructueux portant sur le délai de prescription de l’infraction de minoration des comptes de campagne (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 5 février 2003, 02-82.255), ils  ont été condamnés le 23 juin 2005 par le tribunal correctionnel de Metz à des peines d’emprisonnement avec sursis. M. Masson, a été condamné à 9 mois et Mme Zimmermann à 3 mois.

L’article L. 113-1, la QPC et le principe non bis in idem

images (1)On terminera cette analyse par apprécier l’argument des défendeurs de Nicolas Sarkozy : ils laissent entendre qu’ils contesteront l’article L. 113-1.I du code électoral au motif que Nicolas Sarkozy aurait déjà payé l’amende décidée par la CNCCFP et confirmée par le Conseil constitutionnel, et donc que ce dernier ne pourrait être condamné pour les mêmes faits sur le plan pénal. En somme à l’instar de Jérôme Cahuzac, les avocats de Nicolas Sarkozy vont déposer une QPC, que l’on aura plaisir à commenter lorsqu’elle viendra au demeurant.

Cela aura déjà probablement un effet positif pour le principal intéressé, qui pourra ainsi, selon toute vraisemblance, bénéficier d’un sursis à statuer.

téléchargement (7)Sur le fond, obtiendront-t-ils satisfaction ? Ils chercheront sans doute à se prévaloir de la récente jurisprudence constitutionnelle qui limite la coexistence de sanctions administratives et pénales pour un même fait. La possibilité d’un tel cumul était classiquement admise par le Conseil constitutionnel à condition que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues (Cons. const. 28 juill. 1989). Cependant une décision du 18 mars 2015 fort commentée, a nuancé cette solution.

téléchargement (8)Tout en confirmant le principe selon lequel le principe de nécessité des délits et des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction », il a posé des limites à ce principe. Le principe de la nécessité des peines sera atteint si les dispositions contestées tendent à réprimer des mêmes faits qualifiés de manière identique, que ces deux répressions poursuivent la même finalité, qu’elles aboutissent au prononcé de sanctions de même nature et que les poursuites et les sanctions prononcées relèvent du même ordre de juridiction.

Il serait risqué de se hasarder ici à avancer une solution, au risque d’être contredit plus tard. Cependant, en principe, ces critères sont cumulatifs : il suffit que l’un de ces critères ne soit pas rempli pour que le principe Non bis in idem ne soit pas applicable. Or en l’espèce les deux fondements, sanction administrative et sanction pénale, ne relèvent pas du même ordre de juridiction, et la question de la différence de finalité pourrait peut-être se poser (voir aussi l’analyse de Vincent Ollivier dans le même sens). On peut donc juridiquement douter que la QPC fonctionne.

Cependant, est-ce vraiment son véritable objectif ? Dans le contexte politique qui est le nôtre, l’objectif n’est-il pas plutôt, pour Nicolas Sarkozy, de gagner du temps ?

Romain Rambaud

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