26/01/2017 : Droit administratif et élections : compte-rendu de la journée d’études du 20 janvier 2017 [R. Salas Rivera]

affcihe-jpegLe vendredi 20 janvier 2017 s’est tenue la Journée d’études de l’Association Française pour la Recherche en Droit Administratif (AFDA) organisée par le CRJ sur le campus de l’Université Grenoble-Alpes. Vous trouverez ci-dessous un compte-rendu de cette journée élaboré par Ricardo Salas Rivera. Il ne s’agit bien sûr que d’une retranscription des débats oraux, seule la version écrite, qui sera publiée à la RDP courant 2017, faisant foi. Par ailleurs, les éléments ci-dessous ne rendent pas compte des débats qui ont eu lieu, et qui furent riches, sur les rapports entre le droit électoral et les grandes catégories du droit administratif. Bonne lecture !

9h15 Propos introductif 

Benoît Plessix, Professeur de droit public, Université Paris 2

Monsieur le Professeur B. Plessix, en qualité de président de l’AFDA, prend la parole afin d’ouvrir la journée et de présenter en quelques mots le déroulé des interventions.

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La problématique de la journée entre bien dans le champ de l’association française pour la recherche en droit administratif, car il s’agit de s’interroger sur les rapports disciplinaires qu’entretiennent le droit des élections et le droit administratif. Le droit électoral relève-t-il du droit constitutionnel ou est-il une question de droit administratif également ? Au delà, est-ce que le droit électoral est une simple composante du droit administratif, de la théorie générale du droit administratif, ou le droit électoral revêt-il une dimension d’autonomie ? S’intéresser au positionnement disciplinaire du droit électoral invite à s’interroger, de façon plus globale, sur la position du droit électoral par rapport aux autres disciplines, du droit public par rapport au droit privé, du droit administratif par rapport au droit constitutionnel. Le professeur Benoît Plessix conclut en précisant la publication des actes de la journée dans la Revue de Droit Public, courant 2017.

Première table ronde : les élections et le droit administratif positif

img_0775Présidence Hafida Belrhali-Bernard,

Professeure de droit public, Université Grenoble Alpes

9h30 Les élections « administratives » 

Nicolas Kada, Professeur de droit public, Université Grenoble Alpes

1418662153_-decentralisation2014-kadaIl convient ici de se demander que sont les élections « administratives » ? De quoi parle-t-on ? Chacun est confronté aux élections, en qualité d’usager, d’agent public, ou de citoyen. Une élection est-elle nécessairement le fruit d’un choix politique ? Ce n’est un simple procédé technique, pas qu’une modalité de choix. On s’interroge sur ce que signifie aujourd’hui la notion d’élection administrative par opposition à l’élection politique. Cette opposition est relative car elle pose problème en tant que telle ; par ailleurs il y a une extension de la qualification d’élections politiques, du fait notamment de la jurisprudence constitutionnelle, en ce qui concerne les élections locales.

La relativité du lien entre la nature de l’assemblée et la nature de l’élection

Logo-FaculteLes élections sont-elles « administratives » dès que l’assemblée élue est qualifiée d’administrative ? A priori, oui. Au regard des textes révolutionnaires qui vont qualifier d’administratives des assemblées, notamment des assemblées locales. La difficulté est que finalement, cela ne fonctionne pas aussi bien que ça, au niveau local avec le principe constitutionnel de « libre administration des collectivités territoriales ». Peut-on déduire que le constituant a voulu prendre position sur la nature de l’élection ? Car si ces assemblées locales ont parfois une fonction administrative, elles ont également des fonctions politiques. Ainsi, la terminologie « assemblée locale » ne nous renseigne pas sur la qualification de l’élection. La qualification de l’assemblée reste indépendante de la nature même de l’élection.

La relativité du lien entre la nature du contentieux et la nature de l’élection.

bonne-annee-2017La facilité serait de déclarer que dès lors que le contentieux est administratif, il faut en déduire la nature administrative de l’élection. La question s’est posée dans la jurisprudence administrative au début du XXème (Feutry 1908, Terrier 1903). Le juge administratif et le Tribunal des Conflits s’interrogent indirectement au travers des questions de responsabilité sur la nature du contentieux de l’élection. C’est à ce moment qu’apparait la première notion d’élections administratives (Laferrière va l’utiliser pour la première fois). Mais il y a ici une reconstruction du caractère administratif de l’élection par commodité.

L’extension du caractère politique des élections

logo2La notion d’élection politique va prendre parallèlement une tonalité plus positive, plus noble. La cause en est la conception extensive de la citoyenneté. La décision du Conseil Constitutionnel du 18 novembre 1982 « Quota par sexe » précise que pour le Conseil, la qualité de citoyen ouvre le droit de suffrage actif et passif, dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus… « Qu’il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l’élection des conseillers municipaux ». On a ici la reconnaissance d’un suffrage politique pour l’élection municipale. C’est un rappel de l’indivisibilité du corps électoral, et de cette indivisibilité, on peut déduire une extension du caractère politique. Il devient délicat d’opposer les élections administratives et politiques. On présume à présent du caractère politique des élections. La conséquence est un recul réel de la qualification « administrative » pour les élections. Pour résumer, la jurisprudence administrative est plus nuancée que la jurisprudence constitutionnelle apportant un regard plus mesuré. Le Conseil d’Etat a abouti à une qualification des élections à la fin des années 70, à une typologie des élections plus nuancée que la simple dichotomie « politique » / « administrative ». Pour le juge administratif, il y a des élections semi administratives. Le résultat de cette jurisprudence de 1982 est que la vraie césure est entre les élections politiques et les élections non politiques (universitaire, CROUS, chambre consulaire, ordre professionnelle, commission paritaire, etc). Cette distinction « politique » / « administrative » n’a plus lieu d’être. On comprend mieux pourquoi finalement le juge administratif a été conduit à trouver des voies médianes, comme par exemple la notion d’élections politico-administratives.

10h00 Le droit administratif et les opérations électorales 

Sylvain Niquège, Professeur de droit public, Université de Bordeaux

img_0777Une opération électorale renvoie à la dimension concrète du vote, l’acte matériel de voter, qui tourne autour de l’électeur, le jour du vote, mais aussi des actes qui préparent l’élection. Il faut partir du constat qu’il y a une différence entre le droit administratif général et le droit des opérations électorales, différence qu’il conviendra de questionner. Cette question de différence dépend de la focale que l’on retient pour envisager les deux objets. Avec une focale haute, il y a un point commun : mobilisation de la notion de procédure, une succession d’étapes. Mais avec une focale basse, les choses sont moins évidentes et il y a des différences. Cependant il reste des tensions communes : le formalisme contre le réalisme d’une part, et le secret contre la transparence d’autre part.

Objets communs

Le droit des opérations électorales et le droit administratif ont au moins deux objets communs, la police et la neutralité.

telechargement-3Sur le premier point, les opérations électorales requièrent une certaine sérénité. Les enjeux sont lourds et l’on fait intervenir dans un même endroit des personnes qui ne sont pas d’accord. On observe une belle continuité historico-juridique, celle d’une police des opérations électorales, au sens de la police administrative. On peut le voir notamment dans l’ouvrage de M. Tanchoux qui retrace l’historique des opérations électorales. Dans les constitutions révolutionnaires, apparaît une police des assemblées. Cette police se retrouve dans les textes législatifs, R49 du Code électoral qui confère aux présidents de bureau de vote un pouvoir de police (police spéciale ?). La difficulté est l’articulation entre cette police et la police générale avec l’état d’urgence. On peut voir notamment ici l’avis du Conseil d’Etat de décembre 2016 sur la prorogation de l’état d’urgence : la conjonction de la menace terroriste et la campagne prochaine justifient le maintien de l’état d’exception.

telechargementSur le deuxième point, dans les deux cas, opération électorale et droit administratif, il y a des obligations de neutralité : président et membre du bureau de vote, les locaux, manifestations concrètes comme par exemple l’interdiction de porter des signes. Mais il n’y a pas nécessairement la même finalité pour les deux neutralités : pour le droit électoral, il s’agit d’éviter que l’électeur ne subisse une influence. Pour le droit administratif, l’idée est de préserver la liberté de conscience, et la confiance dans les institutions. L’obligation de neutralité dans le droit des opérations électorales est un principe de neutralité plus large, puisqu’il s’applique aux électeurs, aux usagers, et non seulement aux agents publics. Par ailleurs, la neutralité des opérations électorales ne devient gênante que lorsqu‘elle a un effet sur la qualité démocratique d’un vote. La neutralité des opérations électorales a une vocation plus opérationnelle, alors qu’en droit administratif général, la question est une question de principe.

Les tensions communes

téléchargement (12)On trouve cependant des tensions communes entre le droit administratif général et le droit des opérations électorales. La première est la tension entre le formalisme et le réalisme : s’il a fallu standardiser les opérations de vote, en témoigne l’extrême précision du code électoral, les atteintes au bon déroulement des opérations électorales n’ont d’importance que s’il y a une influence sur la sincérité du scrutin. On retrouve ce réalisme dans le droit administratif général, dans l’article 70 de la loi du 17 mai 2011. Voir la jurisprudence Danthony. La deuxième tension est la tension entre le secret et la transparence. Là encore, dans une perspective historique, on trouve d’abord une opposition entre le tout secret d’une procédure administrative et la transparence absolue. Au secret de l’isoloir répond la transparence de l’urne.

11h45 Le contrôle administratif des élections : entre pouvoir exécutif et autorité indépendante 

Benoît Camguilhem, Maître de conférences droit public, Université Rouen-Normandie

photo-du-14-01-2015-a-23-03-2Les institutions électorales sont un angle mort du droit institutionnel administratif, du droit constitutionnel.

Premier élément de clarification : que faut-il entendre par contrôle administratif par opposition au contrôle juridictionnel ? Il faut ici entendre le contrôle administratif très largement. Ce n’est pas simplement un contrôle de type pré-contentieux, mais globalement l’ensemble des opérations qui sont des éléments constitutifs des opérations électorales. Dans cette conception, la question du contrôle administratif rejoint la question de l’organisation de l’élection : qui est l’organisateur des élections ? Parce que dans ces règles d’organisations, il est possible de contrôler la régularité de l’élection, et ce contrôle poursuit le même objectif que le contrôle juridictionnel, la sincérité du scrutin.

Construction de modèles de contrôle administratif des élections

On peut d’abord essayer de construire des modèles, c’est à dire de montrer qu’il existe dans les différents pays du monde plusieurs manières d’organiser et de contrôler des élections du point de vue  administratif.

telechargement-3Le premier modèle est le « modèle de l’autorité ministérielle ». Bien souvent, dans ce cas de figure, l’organisation des élections est prise en charge par le ministère de l’Intérieur, mais ce n’est pas une vérité absolue sur l’ensemble des Etats. Ce modèle existe en Europe, notamment avec la Grèce, l’Italie, l’Autriche, etc. Parfois ce modèle est dissimulé sous une autorité indépendante fantoche, là où les élections ne sont pas libres…

telechargement-4Le second modèle est le « modèle de l’autorité électorale ». Cette autorité indépendante se voit confier comme but exclusif l’organisation de l’ensemble ou d’une partie des opérations électorales. C’est le modèle de la Commission électorale indienne de 1950, crée juste après l’indépendance de l’Inde, qui est un changement politique majeur. Cette commission est indépendante, forte d’une administration de plus de quatre cents personnes. Ce modèle connait des variantes : autorité électorale non collégiale (Allemagne), autorité indépendante parlementaire (Espagne), autorité électorale déconcentrée (Espagne).

Il existe un pouvoir discrétionnaire pour choisir le modèle et il faut souligner la porosité entre les deux modèles. Dans tous les cas l’autorité indépendante ne peut se passer d’une administration pour fonctionner.

Le modèle français

On peut considérer qu’il y a eu une hybridation de l’organisation française. Le ministère de l’Intérieur s’occupe de tout, mais au fil du temps, il y a eu un désir d’indépendance, mais subsiste une irréductible dépendance.

img_0780Le désir d’indépendance se mesure de deux manières. Tout d’abord, avec la compétence de certaines AAI pour s’intéresser à des éléments parcellaires de l’élection (CNCCFP, CNCCEP, la Commission des sondages même si ce n’est plus une AAI au sens de la nouvelle organique, la HATVP, le CSA, dans une certaine mesure le Conseil Constitutionnel dans l’organisation de l’élection présidentielle, etc.). Ensuite, avec l’existence de nombreuses instances créées pour une élection dont la durée de vie est consubstantielle à la durée de l’élection : par exemple, les commissions administratives chargées des listes électorales, les commissions de propagandes, les commissions de contrôle des opérations de vote. On peut même considérer que le bureau de vote est une de ces instances. On ne dénombre donc pas moins de dix autorités.

telechargementEst-ce que ces autorités sont indépendantes ? Oui, c’est indéniable. Administrative ? Sans aucun doute. Autorité ? Pas vraiment, car elles ne prennent pas de décisions souvent. Il est donc difficile de les qualifier juridiquement. Souvent ce ne sont pas vraiment des AAI, mais des commissions consultatives, sinon le relais du ministère de l’Intérieur. Il y a un peu d’indépendance, mais lorsque la question est abordée, c’est le ministère de l’Intérieur qui s’occupe de tout. Or, il n’y a pas de direction des élections. Il existe un bureau des élections au sein de la direction de la modernisation et de l’action territoriale.

La question du contrôle administratif des élections doit donc continuer à être creusée.  Cette question de l’organisation des élections n’est pas appréhendée par la doctrine parce qu’elle n’est pas appréhendée institutionnellement, ce qu’il faut corriger.

12h15 Le contentieux administratif des élections 

Olga Mamoudy, Maître de Conférences droit public Université Paris-Sceaux

telechargement-5On constate que le contentieux administratif des élections est le parent pauvre du contentieux, qualifié parfois de « petit contentieux ». Dans les manuels, ce contentieux est évoqué pour illustrer des exceptions à de grands principes. Par exemple, concernant le contradictoire, l’ultra petita, l’effet non suspensif, l’exigence d’une décision administrative préalable, la nécessité de former un recours incident. Un autre type d’évocation du contentieux administratif des élections dans les manuels de contentieux administratifs est l’illustration qu’il donne du plein contentieux objectif, sans aller beaucoup plus loin.

telechargement-6Les spécialistes du contentieux de droit administratif général délaissent donc le droit électoral au profit des spécialistes. Pourquoi ce délaissement, alors même que ce contentieux historique a accompagné le développement du contentieux administratif ? Une des raisons majeures est sans doute l’éclatement du contentieux (constitutionnel, administratif, judiciaire). Aujourd’hui, on ne peut pas affirmer comme le faisait Laferrière que le contentieux électoral relève sauf quelques exceptions du juge administratif. Ce dernier est un juge parmi d’autres du contentieux électoral. C’est un contentieux qui est sorti de l’orbite des administrativistes pour être rattaché à celle plus spécifique du droit électoral, traditionnellement rattachée à la sphère des constitutionnalistes.

Les spécificités du contentieux électoral

C’est un contentieux qui a un objet particulier et des procédures particulières. Son objet est qu’il porte sur une élection, ce qui constitue un enjeu évidemment important car il s’agit de la désignation des gouvernants. Les procédures sont particulières. Le contrôle doit aller vite car ne doit pas être élue une personne qui ne devait pas l’être selon la volonté du corps électoral. L’ouverture du prétoire est large en matière électorale, dérogatoire des règles de plein contentieux : parfois on qualifie l’action ouverte en matière électorale d’action d’intérêt public. Les délais sont brefs : le juge électoral fut le premier juge administratif de l’urgence (5-10 jours), qui doit statuer rapidement (2-3 mois), avec une exécution rapide de la décision par une nouvelle élections (2-3 mois). La conséquence est une limitation du contradictoire. Car comme les délais sont brefs, le contradictoire est limité. De même, l’absence d’effet suspensif de l’appel connaît une exception en matière électorale : Chapus explique qu’il est recommandable qu’il en soit ainsi en raison tant du respect dû à la volonté des citoyens,  que du risque des complications que provoquerait l’exécution immédiate des jugements annulant une élection dans le cas où ils seraient infirmés par la juridiction d’appel. Par conséquent, il y a un encouragement à l’appel. Etant donnés les enjeux, cette caractéristique est justifiée.

telechargement-15 L’office du juge est étendu. Certes, ce que dit la doctrine sur l’absence d’interdiction de statuer ultra petita est exagéré. Laferrière n’est pas d’accord avec cette idée : ce n’est pas forcément une exception en matière électorale, car le juge est saisi de l’ensemble de l’opération électorale, et il existe d’ailleurs une jurisprudence sur l’ultra petita en matière électorale : il est donc soumis à cette interdiction avec une légère adaptation à l’objet du contentieux. Ce qui reste caractéristique du contentieux électoral est la diversité des solutions possibles face au constat d’une irrégularité. Mais cette dernière n’est pas une substitution à la volonté du corps électoral, sinon une volonté de faire respecter cette volonté.

Un contentieux « modèle »

telechargement-8En outre le contentieux électoral peut être considéré comme un modèle pour les autres contentieux, pour le Conseil constitutionnel et pour le juge administratif lui-même ensuite. Le contentieux administratif des élections a eu une influence déterminante en matière constitutionnelle. Dans une note de Léo Hamon sous une des premières décisions du Conseil constitutionnel en matière électorale, il nous dit que le Conseil « endosse » la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière électorale, évoquant le modèle du juge administratif, précisant que les précédents du Conseil d’Etat peuvent être invoqués dans sa jurisprudence. Ces ressemblances contentieuses montrent qu’il n’y a pas de distinctions entre les différents contentieux : c’est le même office entre le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat, mais le dialogue est maintenant ambivalent.

imagesLe contentieux électoral est par ailleurs également un modèle pour les autres contentieux administratifs. Certaines techniques contentieuses ont été éprouvées d’abord en matière électorale avec notamment le contrôle des actes détachables. Le contentieux électoral fut le berceau de l’acte détachable, puisque le recours pour excès de pouvoir a été accueilli à l’encontre d’un acte détachable en matière électorale deux ans avant la matière contractuelle. C’est une ironie de l’histoire : on sait qu’en matière contractuelle, l’acte détachable se meurt. Comment faire du contentieux administratif sur l’acte détachable actuellement ? En faisant du contentieux électoral. Cette idée de modèle faut aussi pour le fait d’apprécier les conséquences d’une décision de justice, car on retrouve aujourd’hui la modulation en plein contentieux contractuel et dans le contentieux de l’excès de pouvoir. En contentieux électoral, le juge s’est toujours refusé à lier systématiquement irrégularité et annulation. En plein contentieux contractuel et dans le contentieux de l’excès de pouvoir, le lien entre l’irrégularité et l’annulation était trop fort. L’office actuel du juge du contrat (Tropic, Béziers, Tarn-et-Garonne), a toute une palette de pouvoirs à sa disposition (ne rien faire, réformer, annuler) : c’est un office qui s’est « électoralisé ».

Il faut donc aujourd’hui que les spécialistes du contentieux administratif se ressaisissent du contentieux électoral.

Deuxième table ronde : Un droit administratif électoral?

telechargement-9Présidence Xavier Dupré de Boulois, Professeur de droit public, Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne

14h30 Le droit administratif dans l’histoire du droit électoral 

Tiphaine Le Yoncourt, Maître de Conférences en histoire du droit, Université Rennes 1

telechargement-10Cette intervention retrace l’histoire d’un débat : comment et par qui doivent être validées les élections locales, plus précisément les élections départementales ? Cette question a été débattue par les parlementaires à plusieurs reprises au XVIIIème siècle, débats qui sont révélateurs des spécificités du domaine électoral.

telechargement-1Dès les premiers temps de la Révolution, les députés de l’assemblée constituante posent le principe de la dualité du contentieux électoral. Les contestations qui concernent la capacité à voter ou à être élu relève du juge judiciaire. Et l’administration s’occupe du contentieux de la régularité des opérations électorales. A partir de 1830, avec la Monarchie de Juillet, la France commence à réorganiser des élections, et plus particulièrement des élections locales, ce qui pose la question du contentieux. La loi du 10 aout 1871 sur les conseils généraux bouleverse les habitudes. Son article 16 dispose que le conseil général vérifie les pouvoirs de ses membres : il n’y a pas de recours contre ces décisions., il y a disparition de la compétence judiciaire et la compétence administrative. Les conseils généraux disposent en la matière d’une souveraineté large qui n’avait pas été jusqu’alors accordée qu’aux assemblées nationales. Le changement est de courte durée, car moins de quatre ans plus tard, l’Assemblée Nationale revient sur son texte, et en juillet 1875 adopte une loi qui modifie l’article 16, redonnant compétence au Conseil d’Etat et au juge judiciaire, sous la forme traditionnelle. L’Assemblée s’est empressée de revenir à la situation antérieure. L’article 16 de la loi de 1871 fut-il un égarement ? A la lecture des débats parlementaires, les choses ne sont pas si simples. Le législateur semble persuadé que son article 16 donne des pouvoirs aux conseils généraux qui leur reviennent de droit, que la vérification des pouvoirs leur a été anormalement retirée. A la lecture des débats de 1833 et de 1875, on a l’impression que les législateurs partagent cet avis. Finalement, la vérification des pouvoirs devrait être la norme.

Doit-il s’agir de contentieux administratif ?

telechargement-11Il y a toujours le même souci : éloigner les problèmes électoraux de l’exécutif. Et c’est cette préoccupation qui a poussé les révolutionnaires en 1790 de faire le choix des districts. Les révolutionnaires ne voulaient pas placer ces questions entre les mains du roi, mais entre les mains d’organes locaux élus sur lesquels le roi n’avait qu’une influence extrêmement limitée. La proximité des Conseils de préfecture et du Conseil d’Etat avec l’exécutif et la partialité que cela implique est une difficulté plus compliquée à surmonter concernant les élections. Plus fondamentalement encore, il est des députés qui soutiennent que la validité d’une élection ne peut être validée que par le corps issu de cette élection. La procédure de vérification des pouvoirs est inhérente aux assemblées élues. C’est la normalité. En 1833, les défenseurs de cette théorie se réclament des principes constitutionnels récemment proclamés, que sont la souveraineté nationale et le principe électif. Ces défenseurs de la vérification des pouvoirs ne sont pas des fédéralistes, ni des décentralisateurs. Ils sont tous persuadés que les conseils généraux doivent rester enfermés dans un champ de compétence étroit. Mais ils n’établissent aucun lien entre l’étendue des pouvoirs d’une institution et l’autorité compétente pour vérifier la régularité de sa composition. C’est cette argumentation qui conduit à l’article 16. En 1833 et 1875 on ne considère pas cette logique comme fausse, au contraire, mais elle est considérée comme dangereuse dans sa pratique. Or si tout corps électif doit rester seul maitre de la régularité d’une élection, la vérification des pouvoirs doit aussi s’appliquer aux autres assemblées élues. Les députés de la Monarchie de Juillet ou de la IIIème République n’envisagent pas d’organiser une vérification des pouvoirs dans les conseils municipaux. Ceux-ci sont alors considérés comme des « mineurs sous tutelle », ce qui explique qu’ils doivent rester sous la tutelle des préfectures. Aussi, les défenseurs de la vérification des pouvoirs préfèrent abandonner cette idée et ne pas la voir d’appliquer aux conseils municipaux.

Comment assurer le respect du droit des élections ?

images-1La question de la compétence n’est pas si simple. Le choix de la juridiction administrative, se fait plus par défaut que par logique. Les auteurs de doctrine du XIXème et du XXème siècle expliquent que l’examen de la validité des élections des corps élus peut se faire sous forme de deux procédures différentes. La première est la vérification des pouvoirs, nécessaire, systématique, pour chaque élu et chaque élection. Dans cette logique, la validité de l’élection n’est pas principalement liée à sa stricte légalité : c’est la souveraineté du suffrage qui est en jeu et la vérité est le produit du débat plus que de l’application stricte des règles de droit. Mais à la fin du XIXème cette logique va céder devant la logique juridique et juridictionnelle et on va préférer le second système. Il est clair qu’à la fin du XIXème siècle, le principe de la souveraineté du suffrage ne résiste pas à l’état de droit. On passe de la vision politique à une vision juridique.

Ainsi Hauriou disait en 1892 dans la première édition de son précis : « Un moment viendra peut-être où l’on organisera des juridictions ayant une portée constitutionnelle. Ce jour-là, le système de vérification des pouvoirs aura vécu car, au point de vue du droit, il est inférieur à celui du contentieux; il permet à la majorité d’abuser de sa force au détriment de la minorité ». Cela montre bien que c’est d’abord le contentieux administratif qui a servi à la construction historique d’un véritable droit électoral.

15h00 Le droit électoral entre droit constitutionnel et droit administratif : l’exemple de l’élection présidentielle 

Elsa Forey, Professeur droit public Université Bourgogne Franche-Comté

telechargement-12Le droit constitutionnel est une source importante des élections, locales ou présidentielles. On peut dire que le droit électoral est un prolongement, une application, du droit constitutionnel, dans le cadre du mouvement de constitutionnalisation du droit électoral. La base du droit électoral est dans la Constitution pour l’élection présidentielle (articles 6, 7 et 58). Il faut également voir les lois organiques et sur ce point la jurisprudence du Conseil est essentielle, car elle détermine ce qui relève ou non de la loi organique, dans le prolongement de la Constitution.

telechargement-13Cependant, l’évolution de ces dernières années montre un accroissement du droit administratif dans l’élection présidentielle, sous l’effet d’un certain nombre de phénomènes, comme les AAI, ce qui accroît également l’importance du juge administratif dans l’élection présidentielle. L’intervention des AAI se fait au détriment du Conseil Constitutionnel, notamment la CNCCFP intervient dans l’élection du président, alors qu’il était confié avant au Conseil Constitutionnel. La HATVP qui a un rôle important vient concurrencer le Conseil Constitutionnel sur la déclaration de patrimoine. Egalement le gouvernement s’est vu reconnaitre par le Conseil Constitutionnel un large pouvoir réglementaire, en considérant dans une décision de 1995 que le gouvernement s’était vu conférer les pouvoirs les plus larges pour assurer l’application de la loi organique de 1962. Ces modalités d’application des règles de l’élection présidentielle forment un droit administratif spécifique à l’élection du président. Dans le prolongement de la loi organique de 62, ce droit administratif spécifique couvre les principales étapes de l’élection présidentielle. Le juge administratif est aussi compétent en matière d’actes préparatoires. Dire que le juge constitutionnel est le juge de l’élection présidentielle n’est pas correct.

telechargement-14Une autre question  est de savoir quelle est la place du droit administratif général à cote du droit administratif spécial dans l’élection présidentielle ? Tout ce qui est en relation avec l’élection présidentielle entre-t-il dans le champ d’application de la loi organique de 1962 ? La question s’est posée dans la requête présentée par Médiapart, visant à obtenir l’accès à certains documents de la campagne de Sarkozy en 2007 auprès de la CNCCFP. Le Conseil d’Etat a considéré que ne relève pas des modalités d’application de l’article 6 ni par conséquent de la loi organique la détermination du régime des documents produits ou reçus par la CNCCFP. Donc les documents administratifs continuent d’être régis par la loi CADA de 1978. L’enjeu le plus visible de cette affaire est celui de la transparence de la campagne présidentielle, mais au-delà cette solution consacre l’application supplétive des règles de droit commun du droit administratif général en cas de silence du législateur organique.

La question reste de savoir comment ce phénomène de montée en puissance du droit administratif dans le cadre de l’élection présidentielle doit être analysé. S’agit-il d’une manifestation de la désacralisation de la fonction présidentielle ?

15h30 : Le droit administratif, un droit autonome ?

Romain Rambaud, professeur de droit public, Université Grenoble Alpes

14691083_10154575109523418_1575129956365244625_nL’objectif de la journée d’études était de réhabiliter le droit administratif au sein du droit électoral. Et nous avons montré que cette démonstration méritait d’être faite ou refaite. Le droit des élections politiques a bien deux jambes : le droit constitutionnel mais aussi le droit administratif, qui constitue un objet d’analyse important du droit électoral. Mais pour terminer ce colloque, la question peut être posée, en une sorte d’ouverture : peut-on pourtant réduire le droit électoral au droit constitutionnel et au droit administratif ? Ne présente-t-il pas des spécificités telles qu’il faut voir en lui une discipline autonome ?

Auteur

Sur ce point, nous nous contenterons ici bien davantage de tracer des pistes plutôt que d’opérer des démonstrations définitives. Il faut le dire ici : pour trouver ces réponses, nous comptons sur une personne en particulier, M. Ricardo Salas Rivera, ici présent, qui mène depuis quelques mois une recherche sur l’autonomie du droit électoral et a pour champ d’analyse principal à ce stade la comparaison des contentieux publics et privés des élections et qui cherche à déterminer s’il existe des principes communs, généraux, du contentieux électoral, qui répondraient à l’une idée d’une autonomie. Ce qui, en soi, vaut bien une thèse.

telechargement-3La controverse sur l’autonomie du droit électoral n’a pas vraiment eu lieu, même si des positions ont été adoptées. Dans leur manuel Dalloz de 1973, André et Francine Demichel considèrent que « la place exacte » du droit électoral au sein des disciplines « n’a jamais été très clairement définie »mais ils abordent la question de front puisqu’ils estiment que « la question qui se pose est celle de savoir si le droit électoral constitue une discipline autonome ou s’il ne s’agit que d’un appendice des autres grandes branches du droit. Et cette question n’est pas uniquement théorique. Elle conditionne en effet la solution de certains problèmes très concrets, notamment dans le domaine contentieux ». Ils considèrent alors que le droit électoral est un droit autonome. Leur démonstration nous semble juste et en quelque sorte c’est celle que nous essayerons de défendre ici d’une nouvelle manière. Ils estiment ainsi que le droit électoral est un « prolongement du droit constitutionnel » mais qu’il est une « branche du droit administratif » car « si le droit constitutionnel (…) constitue la base politique » du droit électoral, c’est dans le droit administratif qu’il a puisé l’essentiel de son armature technique ». Ils le justifient de deux façons : d’abord par l’histoire du contentieux électoral et ensuite par les techniques. En raison de son objet, assurer la représentation, il existerait en droit électoral des règles particulières « dont le droit électoral a le monopole » : délais contentieux particulièrement courts à la fois pour le requérant et pour le juge, caractère d’ordre public de très nombreuses règles, annulation limitée à l’hypothèse où la sincérité du scrutin a été altérée… D’un autre côté, dans son manuel PUF publiée en 1989, Jean-Claude Masclet reconnaissait les spécificités du droit électoral, notamment dans ses aspects contentieux, mais refusait d’y voir une discipline autonome.

On peut aujourd’hui réhabiliter cette controverse, car l’autonomie du droit électoral est non seulement une hypothèse crédible mais aussi une hypothèse souhaitable.

Une hypothèse crédible

telechargement-16Il existe de nombreuses conceptions de l’autonomie mais la conception que l’on retiendra ici est une conception relative, celle du doyen Vedel selon lequel pour qu’il y ait autonomie d’une discipline juridique, il faut qu’il y ait autre chose que le « rassemblement de solutions » concernant un objet : il doit exister « des branches du savoir juridiques ayant une méthode et des principes propres » : « l’autonomie apparaît d’abord toutes les fois que l’application à une matière des principes généraux et des méthodes de raisonnement empruntés purement et simplement à une discipline existante conduit à des inexactitudes » ou lorsque « la matière considérée, bien que ne mettant en œuvre que des principes et des méthodes empruntés à des branches existantes, en fait une sorte de combinaison chimique ayant un caractère de nouveauté ». Or le droit électoral répond à ce premier cas de figure.

15ac7c7Du point de vue historique, les choses semblent plaider pour l’autonomie du droit électoral. D’après Grégoire Bigot, le contentieux électoral a été le premier à partir duquel des autorités administratives ont commencé à avoir conscience du fait qu’elles pouvaient être amenées à exercer des fonctions de nature juridictionnelle : selon lui, dès 1790, « les administrateurs départementaux ont conscience d’exercer un rôle de juge administratif puisqu’ils emploient les termes de « juge » ou de « jugement » pour qualifier leurs activités, notamment en matière électorale » (Histoire du droit administratif, PUF) Autrement dit, il a fallu dès le départ développer des techniques inédites, de type juridictionnelles, pour trancher les différents électoraux. Cette spécificité va se maintenir, puisque le contentieux électoral, comme le contentieux fiscal, donneront naissance à l’existence du plein contentieux objectif selon Laferrière, comme l’a expliqué Olga Mamoudy. Du point de vue technique, en effet, il existe encore de nombreuses spécificités également, notamment dans le contentieux, point sur lequel il n’est pas utile ici de revenir. Sur le fond, le droit électoral présente également des traits particulièrement singuliers avec la présence de concepts spécifiques : en termes d’organisation, la déconcentration pure est discutable ; en termes de principes, certains principes existent en droit électoral et non ailleurs, comme le principe d’équité notamment, qu’on trouve aujourd’hui en droit électoral consacré par l’article 4 de la Constitution, la validation par le Conseil constitutionnel de la loi organique de 2016 lui ayant permis de consacrer un principe du « traitement équitable des candidats à l’élection du Président de la République ». Enfin Sylvain Niquège a montré que même le concept de neutralité pouvait prendre un sens particulièrement spécifique en droit électoral.

img_8682Mais, au delà de l’autonomie du droit électoral au sein du droit public, l’autonomie peut être recherchée en droit privé : le droit privé a-t-il apporté les mêmes solutions au droit électoral que dans les autres matières  ou a-t-il développé des solutions spécifiques, et si oui, ces solutions spécifiques sont-elles proches, voire identiques, à celles développées par le droit public, auquel cas l’autonomie du droit électoral se trouverait renforcée par le dépassement des frontières entre le droit public et le droit privé ? La thèse de Ricardo Salas Rivera, sur ce point, devrait être particulièrement fructueuse : ainsi pourra-t-on y voir que le juge civil est soumis à des règles de procédure spéciales prévues expressément par le code de procédure civile, marquées par des délais courts de saisine et l’absence de ministère d’avocat, qu’il applique également la notion de sincérité du scrutin, qu’il réforme le résultats d’élections même en cassation…

Une hypothèse souhaitable

logo-uga-vo-cmjn-1À cette dimension matérielle de l’autonomie du droit électoral doit être ajoutée une dimension plus constructiviste, plus subjective, qui la complète. Car il existe des enjeux à cette autonomie. La position que nous défendrons ici est que le principe d’autonomie du droit électoral doit être développé car il est favorable au renforcement du droit électoral en tant que discipline, donc au renforcement du droit électoral en général, et donc favorable à l’intérêt général et à la démocratie, ce qui n’est pas la moindre des choses.

telechargement-17En droit une discipline est normative et doit s’investir dans ce qui relève du souhaitable. Pour Jacques Chevallier, dans une contribution à un colloque sur les disciplines en droit datant de 2015, « L’existence d’une discipline présuppose enfin l’existence d’un ensemble de mécanismes destinés à consolider en permanence ses assises, à renforcer sa cohésion et à assurer sa reproduction : associations savantes, chargés de promouvoir la discipline, défendre les intérêts de ses membres et forger une culture commune ; publications (ouvrages, revues) permettant de capitaliser les acquis des recherches, favoriser leur enrichissement et entretenir leur visibilité ; mise en place d’enseignements et de filières universitaires spécialisées, assurant la didactique de la discipline, la normalisation de son contenu, son enracinement social ». « Présuppose » : mais ne faut-il pas aller au delà et chercher à construire cette discipline ? En sommes-nous là  aujourd’hui ? Existe-t-il des sociétés savantes consacrées du droit électoral, des publications suffisantes, par exemple des manuels, et pire encore, qu’en est-il des enseignements ? On peut le constater : le droit électoral est une matière qui est peu enseignée… Nous enseignons tout, du droit des affaires au droit de l’environnement, mais nous n’enseignons pas les règles du jeu de ceux qui nous gouvernent… Pourquoi ? Que faut-il penser d’une démocratie qui n’enseigne pas le droit électoral, c’est-à-dire rien de moins que les règles fondamentales de son jeu démocratique ? L’idée est simple : eu égard à ses enjeux politiques, et alors que le thème de la crise de notre démocratie est partout, le droit électoral n’est pas pensé à la hauteur de l’importance qu’il mérite et il n’y a pas suffisamment de recherche en droit électoral. Il est en effet impératif aujourd’hui de réinvestir le droit électoral de façon doctrinale et de le décloisonner à tous points de vue. La journée d’aujourd’hui constituera, je l’espère, une étape importante de ce chemin.

Retranscription des débats par Ricardo Salas Rivera

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