10/10/2012 : Le retour de l’Affaire des sondages de l’Elysée…. et l’occasion d’une réflexion sur la qualification des sondages de documents administratifs communicables

L’affaire des sondages de l’Elysée fait de nouveau parler d’elle, cinq ans après les faits, comme l’annonce la Une du  Monde d’aujourd’hui.

L’affaire des sondages de l’Elysée a commencé à faire grand bruit dès 2007. Outre le simple d’en rendre compte ici, elle est l’occasion de réfléchir sur un problème soulevé de nombreuses fois ici et notamment dans notre billet précédent, à savoir la question de la qualification des sondages de documents administratifs et la problématique de la transparence.

 

Le retour de l’affaire des sondages de l’Elysée

 

Ce que l’on a appelé « L’affaire des sondages de l’Elysée » vise la mise en cause du système élaboré par Patrick Buisson, conseiller occulte de Nicolas Sarkozy pendant tout le quinquennat – dont la stratégie droitière a été beaucoup critiquée – mais par ailleurs également président de Publifact, une société de sondage largement sollicitée par le Président pour élaborer sa stratégie politique.

Ainsi, en 2007, un contrat était conclu entre la Présidence de la République et la société Publifact ayant pour objet de donner à cette société tout pouvoir pour rédiger et commander des enquêtes aux instituts de son choix, et ce pour des montants considérables – 1.5 millions d’euros –  sans compter que le fameux conseiller était en l’espèce, du point de vue juridique, économique et politique, juge et partie.

Cette pratique avait été épinglée par un rapport de la Cour des comptes paru en juillet 2009 relatif à la gestion des services de la Présidence de la République pour l’année 2008. Dans un paragraphe consacré au « Cas particulier des études », la Cour des comptes relevait de nombreuses incohérences et irrégularités.

– En premier lieu, elle relevait qu’aucune règle de la commande publique n’avait été respectée. Ce point est très problématique et peut poser question en termes de délit de favoritisme.

– En second lieu, le contrat, d’une seule page, accordait un trop grand pouvoir à cette société, le cabinet étant en charge de « juger de l’opportunité, dans le temps et dans les thèmes, des sondages ou études d’opinion dont il confiera l’exécution aux instituts spécialisés de son choix, sur la base d’une facturation ponctuelle incluant la rémunération par Publifact de ses sous-traitants techniques« . Le cabinet avait donc tout pouvoir pour réaliser ces études, l’Elysée devant alors se contenter de payer, comme le relevait la Cour des comptes.

Une affaire qui avait créé un scandale, donné lieu à la création d’une commission d’enquête parlementaire qui finalement n’avait pas enquêté.

Une affaire qui a été très largement à l’origine de l’annonce en juin 2012 de François Hollande selon laquelle l’Elysée ne ferait plus de sondages,  annonce sur laquelle il est d’ailleurs revenu depuis, précisant toutefois que la commande de l’Elysée de sondages politiques resterait ‘raisonnable ».

Suite à cette affaire, en tout cas, l’association anticorruption Anticor a porté plainte en 2010 pour «délit de favoritisme», mais la procédure s’était arrêtée, du fait de l’immunité présidentielle. La Cour de cassation a d’ailleurs été saisie d’un recours et devrait dire si le Chef de l’Etat ou ses collaborateurs sont couverts, sur ce point, par l’immunité présidentielle. Elle devrait examiner ce point le 21 novembre prochain ; on suivra l’affaire sur le présent blog.

Depuis, l’association Anticorp, et c’est pour cela que l’affaire rebondit aujourd’hui, a adressé une seconde plainte, contre X, pour délit de favoritisme et détournement de fonds, comme l’indique Le Monde d’aujourd’hui.  Cette plainte sera d’ailleurs plus étoffée que la précédente, car assise sur les documents que M. Avrillier avait réussi à obtenir de l’Elysée sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs. C’est sur ce point que nous allons revenir.

Pour en finir avec l’actualité, l’association a donc déposé une seconde plainte. Elle vise à obtenir une condamnation pour délit de favoritisme du fait du non respect des procédures de mise en concurrence d’une part et une condamnation pour détournement de fonds publics d’autre part, considérant que certaines de ces enquêtes ont été réalisées à des fins partisans ou à des fins purement privées.

On rendra compte ici des suites qui y seront données.

 

Réflexions sur la qualification de documents administratifs et la problématique de la transparence

 

L’affaire des sondages de l’Elysée est en outre intéressante du point de vue de la problématique de la transparence et par rapport à celle-ci de la question juridique très actuelle de la qualification de document administratif.

En effet, saisie par M. Avrillier, requérant habituel du juge administratif par ailleurs, la CADA a estimé, dans une séance du 5 octobre 2009, que l’ensemble des documents que détient la Présidence de la République dans le cadre  des missions qui lui sont dévolues constituent des documents administratifs entrant dans le champ d’application de cette loi. La CADA a alors estimé que l’ensemble des documents demandés, c’est à dire les sondages litigieux, « se rapportent aux missions dévolues à la Présidence de la République et constituent donc des documents administratifs ».  

Elle considéra alors que ces sondages étaient « communicables à toute personne qui en fait la demande, en vertu de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978, sous réserve, s’il y a lieu, de l’occultation du détail d’offres d’entreprises sollicitées mais non retenues, en application du II de l’article 6 de cette loi, qui protège le secret en matière commerciale et industrielle ».

C’est donc sans aucune retenue concernant les sondages réalisés et les méthodes des instituts de sondage que la CADA a autorisé la communication de ces sondages. Seules les entreprises n’ont retenues sont protégées.

Cette solution a été confirmée par le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 17 février 2012 : TA de Paris, 17/02/2012, n° 0920763/7-1 / Avis 20093741 de la séance du 5 novembre 2011.

C’est à dire que dans ces affaires, ni la CADA ni le TA de Paris n’ont décidé que certains éléments des sondages  n’étaient couverts par le secret des affaires.

Une solution à mettre en perspective avec les réflexions sur l’insécurité juridique qui prévaut en la matière et qui a été renforcée avec l’arrêt Mélenchon du Conseil d’Etat du 8 février 2012, et qui rend selon nous nécessaire l’adoption d’une nouvelle loi déterminant de manière précise un régime législatif adapté de communication de documents administratifs comme nous l’indiquions il y a peu dans notre plaidoyer pour une nouvelle proposition de loi.

 

Affaire à suivre, donc, à un double titre !

 

Romain Rambaud