28/02/2013 : Droit des sondages grec : saisine de la CEDH contre le délai d’interdiction de publication de sondages pendant 15 jours… Grèce et Italie, même combat !

(Le droit des sondages sur Facebook, c’est ici !)

 

Il existe un autre point commun entre la Grèce et l’Italie que l’incertitude politique qui prévaut désormais dans ces deux pays et le rejet des politiques européennes qu’ils manifestent : le délai particulièrement long de l’interdiction des sondages avant le vote.

Or, c’est à l’Europe que la question pourrait revenir, puisque deux requêtes ont été introduites par des citoyens grecs afin de remettre en cause ce délai devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), signe que le droit des sondages, comme les autres, s’internationalise.

 

Le délai d’interdiction de publication des sondages pendant 15 jours en Italie et en Grèce

Certes, la question est sans aucun doute moins fondamentale que celle des crises qui traversent actuellement ces deux pays.

Elle n’est pour autant dépourvue d’intérêt, notamment lorsque l’on s’intéresse à la question du droit des sondages. En effet, l’Italie et la Grèce se caractérisent toutes deux par le même délai, particulièrement long, d’interdiction des sondages pendant la campagne électorale, à savoir un délai de 15 jours.

En Italie, l‘article 8§1 de la loi n° 28 du 22 février 2000,  prévoit que « Dans les quinze jours précédant la date du vote, il est interdit de rendre publics ou de diffuser les résultats de sondages d’opinion portant sur l’issue des élections et sur les orientations politiques et de vote des électeurs, même si ces sondages ont été effectués au cours de la période précédant celle de l’interdiction ».

En Grèce, ce délai d’interdiction est prévu par l’article 7§1 de la loi n° 3603 du 8 Août 2007, lequel dispose que « Quinze (15) jours avant le déroulement des élections parlementaires, des élections pour désigner les représentants au Parlement européen ou des référendums, et jusqu’à 19h00 le jour du scrutin, il est interdit de publier des sondages sur l’intention de vote des électeurs et de diffuser de quelque manière que ce soit les résultats de sondages, (tout comme il est interdit) que les médias diffusent ou rediffusent lesdits résultats de quelque manière que ce soit, et ce quel que soit leur mode de distribution ou de diffusion. b) sous réserve de l’alinéa précédent, quinze (15) jours avant le jour des élections mentionnées ci-dessus et jusqu’à 19h00 le jour du scrutin, il est interdit aux stations radiophoniques ainsi qu’aux chaînes télévisées de réception libre publics et privés, aux opérateurs de prestations de services radiophoniques et télévisuels sur abonnement, à tout type de quotidiens et magazines ainsi qu’aux partis politiques et aux candidats de publier, diffuser ou rediffuser de quelque manière que ce soit toute enquête d’opinion, quel que soit le mode de sa réalisation, portant sur les tendances politiques, les opinions et les préférences de l’opinion publique, sur des partis politiques, des positions politiques et des personnes ou sur d’autres sujets économiques et sociaux ».

Chacun, bien sûr, aura son opinion propre sur la validité d’un tel délai d’interdiction. En ce qui nous concerne, nous avons déjà donné notre position, considérant qu’un tel délai est excessif au regard de la liberté d’expression et inutile au regard de la démocratie, qui doit être considérée désormais comme une démocratie continue, laquelle implique les sondages. Position qui n’empêche pas et sans contradiction aucune de considérer qu’un délai beaucoup plus court, comme le délai de 48 heures en France, est tout à fait acceptable.

Mais ce qu’il est fondamental de dire aujourd’hui, surtout dans le cadre du présent blog, est qu’une requête a été déposée à la CEDH visant à soumettre ce délai aux droits fondamentaux reconnus par la Convention.

 

L’interdiction de publier des sondages pendant 15 jours devant la CEDH

On revient donc à l’Europe, même s’il ne s’agit pas exactement de la même : dans quelques années, un arrêt de la CEDH pourrait venir dire si un délai d’interdiction de publier des sondages pendant 15 jours est excessif au regard de la liberté d’expression et du droit de disposer d’informations.

Plus précisément  les requêtes pendantes devant la Cour sont les requêtes No 59573/09 de Panayote Dimitras et No 65211/09 de Nikolaos Voulgaris et autres, dirigées contre la Grèce. Ces deux affaires sont référencées sur le site de la CEDH.

Les faits sont les suivants : Le 25 septembre 2009, le procureur auprès du tribunal correctionnel d’Athènes ordonna une enquête pénale préliminaire sur la diffusion sur l’Internet par des blogs et, en général, des sites web des sondages d’opinion concernant les intentions de vote. Le 22 septembre 2009, la station radiophonique SKAI a été convoquée par le Conseil national de l’audiovisuel (Εθνικό Συμβούλιο Ραδιοτηλεόρασης) en raison de la diffusion d’un article paru dans un quotidien allemand faisant référence aux conclusions d’un sondage d’opinion sur les intentions de vote. Le 13 octobre 2009, le Conseil national de l’audiovisuel imposa une amende de 3 000 euros à SKAI pour avoir transgressé la loi no 3603/2007. Selon le paragraphe 6 de l’article 7 de la loi no 3603/2007, en cas d’infraction des dispositions précitées, des amendes oscillant entre 30 000 à 300 000 euros sont imposées aux responsables.

Les différents requérants invoquent donc les articles 10 de la Convention (dans les deux requêtes) ainsi que 14 de la Convention et 3 du Protocole no 1 (requête no 59573/09), considérant que interdiction de diffusion de sondages d’opinion sur des questions politiques, pour une si longue période, avant la tenue des élections législatives de 2009, a empêché leur libre accès à des informations cruciales pour l’exercice effectif de leur droit de vote.

En somme, les requérants se prévalent de l’argument inverse des adversaires des sondages, considérant qu’au contraire, l’information donnée par les sondages est cruciale pour l’exercice effectif du droit de vote. Voilà l’arroseur arrosé et une argumentation qui va beaucoup plus dans le sens de la nôtre.

Pour le moment, le CEDH se trouve à l’étape de l’instruction et a posé différentes questions aux parties. Bien entendu, ce sont essentiellement les deux premières qui nous intéressent et il faudra espérer que la CEDH réponde au fond à la question, c’est à dire que la procédure n’échoue pas pour irrecevabilité. Ces trois questions sont en effet les suivantes :

1.  Les requérants peuvent-ils être considérés comme victimes des violations alléguées de la Convention, au sens de l’article 34 ? En outre, ont-ils épuisé les voies de recours internes en l’espèce ?

2.  L’article 13 de la loi no 3783/2009, ayant remis en vigueur l’article 7 de la loi no 3603/2007 et interdisant la publication de sondages d’opinion sur les intentions de vote avant la tenue en Grèce des élections législatives de 2009, est-il conforme à la liberté de recevoir des informations telle que garantie par l’article 10 de la Convention ainsi qu’à l’article 3 du Protocole no 1 ?

3.  Les requérants avaient-ils à leur disposition, comme l’exige l’article 13 de la Convention, un recours interne effectif au travers duquel ils auraient pu formuler leurs griefs de méconnaissance de cette disposition ?

Ainsi, pour le moment, l’instruction est en cours et le gouvernement grec, sur demande de la CEDH, est en train de procéder à une étude comparative des délais d’interdiction en Europe… sans doute la CEDH compte-t-elle se servir du droit comparé des sondages électoraux avant de faire connaître sa position !

 

Conclusion

Deux points importants ressortent de ces saisines.

En premier lieu, que le délai d’interdiction de 15 jours va peut-être faire l’objet d’un examen de la CEDH au nom de la liberté d’expression et de la liberté de recevoir des informations, comme composantes indispensables du droit à un vote effectif. Il y aura une position européenne, hiérarchiquement supérieure, sur la question, et qui se prononcera sur la validité de l’interdiction au fond et sur la durée qui est acceptable. Une question fondamentale, comme on le sait, pour le droit des sondages.

En second lieu, cette requête est la marque que le droit des sondages électoraux, certes de manière balbutiante, s’internationalise. En effet, c’est désormais la seconde requête pendante devant la Cour puisque Jean-Luc Mélenchon a également saisi la CEDH. Signe que la question concerne de plus en plus de pays et que le droit des sondages, si besoin était de le démontrer, doit être pris au sérieux !

 

Romain Rambaud