28/04/2012 : Sondages le Conseil d’Etat entrouvre la boîte de Pandore

L’affaire a été relayée dans les médias, mais il n’est pas inutile d’y revenir, la passion en moins, le recul et la raison en plus. Le 8 février 2012, le Conseil d’Etat a rejeté le recours de Jean-Luc Mélenchon dirigé contre la décision de la Commission des sondages qui avait refusé de sanctionner un sondage qui lui était défavorable, publié dans le journal le Parisien le 7 septembre 2011, au nom, notamment, du secret des affaires (requête n° 353357, disponible sur www.legifrance.gouv.fr). Il est dès lors aisé de critiquer cette solution au nom de la transparence, comme l’a fait une partie de la presse, et il y a évidemment de quoi. Toutefois, l’analyse doit se garder de tout manichéisme. Les sondages électoraux constituent un sujet sensible, qu’il faut traiter de manière exigeante et nuancée.

 

Il est certes exact que le Conseil d’Etat a considéré que les documents à la disposition de la Commission des sondages pouvaient être protégés par le secret des affaires. En disant cela, il n’a d’ailleurs rien dit d’autre que ce qu’ont estimé les députés, lorsque ceux-ci ont eu à connaître de la proposition de loi déposée en octobre 2010 par les sénateurs Sueur et Portelli qui attend, modifiée, sa lecture en séance publique à l’Assemblée Nationale depuis le 1er juin 2011. Ceux-ci ont en effet considéré que certaines informations, comme les critères de redressement des échantillons, devaient être protégés car constituant le savoir-faire des instituts, qu’il faut préserver de la concurrence internationale et du risque d’exploitations populistes de difficultés statistiques réelles dans la fabrication des sondages. Ce raisonnement n’est pas dépourvu de toute légitimité. Toutefois, le secret ne doit pas aller trop loin, car le sondage concerne directement l’électeur. Les sondeurs ne pourront pas échapper à l’examen crtique de la société civile sur leurs méthodes. Il y a là un impératif démocratique, et il ne faut pas hésiter à l’affirmer avec force.

 

D’ailleurs, le Conseil d’Etat a dans le même arrêt estimé que les documents fournis par les instituts à la Commission des sondages sont des documents administratifs susceptibles, sous réserve du secret des affaires, d’être communiqués aux tiers et d’être librement réutilisés. Une telle qualification, tout à fait inédite, pourrait donc constituer à terme une avancée vers la transparence, lorsque l’évolution de la jurisprudence lui fera produire de plus grands effets. Et cela est souhaitable. Néanmoins, cette position n’est pas dénuée d’effets pervers, pouvant conduire à des blocages entre la Commission des sondages et les instituts, soucieux à juste titre de la lecture et de l’utilisation de leur travail, qui seraient finalement défavorables au contrôle des sondages lui-même. Là aussi, le diable est dans les détails.

 

En somme, la jurisprudence du Conseil d’Etat réinterroge l’équilibre du droit des sondages électoraux, à une période où cela n’est guère opportun.. En creux, elle actualise donc la nécessité de relancer l’idée d’une réforme de la loi du 19 juillet 1977, qui doit être adaptée à l’évolution de l’utilisation des sondages dans la vie publique. La Commisson des sondages, autorité administrative indépendante, a procédé à cette adapation au fil des années et le travail réalisé est remarquable. Toutefois, la question de la place respective de la transparence et du secret doit être tranchée par l’autorité de la loi, pour faire du sondage un outil au service d’une démocratie améliorée, guidée par la rationalité et non par des passions qui risqueraint de la détourner d’elle-même. Le droit y aidera, et il est devant nous.

 

Romain Rambaud