10/09/2015 : Non-lieu général dans l’affaire des pénalités de Nicolas Sarkozy : analyse de l’ordonnance de non-lieu [R.Rambaud]

Ainsi que l’a annoncé la presse hier, d’après une information de l’AFP, un non-lieu général a été prononcé mardi 8 septembre dans l’affaire des pénalités imposées à Nicolas Sarkozy, mais payées par l’UMP, pour le dépassement de son plafond de dépenses de campagne en 2012, affaire qui avait été révélée par le Monde et dont on a déjà parlé sur ce blog.  Retour sur les informations encore incomplètes dont nous disposons aujourd’hui.

L’affaire des pénalités

En vertu de la loi  n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, « Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales est constaté, la commission fixe une somme, égale au montant du dépassement, que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée comme les créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine ». En application de cette disposition, le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi, a exigé de Nicolas Sarkozy le paiement d’une amende, fixée à 363615 euros par la CNCCFP, soit le montant du dépassement. Mais c’est l’UMP qui a payé cette somme au départ. Ainsi que le rapporte un article du blog d’Alexandre Lemarlié, l’UMP d’après, fin 2013, l’UMP a adressé un chèque de 363 615 euros au Trésor public pour régler cette pénalité, somme comprise dans les recettes tirés du « Sarkothon » à l’été 2013.

Il existait un doute juridique sur la légalité de cette mesure. Saisi par l’UMP, Me Philippe Blanchetier avait considéré que la prise en charge de cette sanction administrative par le parti était conforme au droit… mais il se trouve que Me Philippe Blanchetier est aussi l’avocat de Nicolas Sarkozy. Le Trésor était aussi de cet avis. Cependant, ce n’était pas l’avis du Parquet : ainsi que le rapportait début juillet le JDD, une enquête préliminaire avait été ouverte par le parquet de Paris pour déterminer s’il n’y a pas eu un « abus de confiance » lors du paiement par l’UMP de cette amende.

L’état de la jurisprudence ne permettait pas réellement d’avoir un avis juridique tranché. D’après la jurisprudence, la somme que le candidat doit verser au Trésor quand il a dépassé le plafond des dépenses électorales constitue une sanction administrative à caractère pécuniaire, marquée par le principe de personnalité des peines, et le parquet en a déduit qu’il ne peut pas être pris en charge par le parti politique (CE 6 déc. 2002, Mme Marchand et a., req. no 231868: Lebon 449; BJCL 2003. 132, concl. Prada Bordenave, obs. Degoffe; RFDA 2003. 186, rubr. Terneyre, Code électoral Dalloz, art.L 52-15, note 228). Cependant, il faut bien dire que la solution n’était pas simple et que la jurisprudence existante (notamment celle du Code électoral) ne concernait que des problèmes de succession, et non de règlements de ces dettes par un tiers, a fortiori s’il s’agissait du parti politique en question, et ce, même si le Code électoral (ainsi que le loi organique) prévoit que c’est bien« le candidat » qui doit verser cette somme. La solution juridique n’était donc pas évidente, les précédents ne permettant pas de se positionner.

Afin d’éviter toute difficulté, Nicolas Sarkozy avait, et on y avait aussi fait référence sur ce blog, finalement décidé de payer lui-même cette pénalité en remboursant l’UMP. D’après son entourage, « Il a considéré qu’il devait [les] prendre en charge personnellement pour que sa famille politique soit à l’abri de toute polémique ». Cela n’empêchait cependant pas la procédure judiciaire de se poursuivre.

Le non-lieu : analyse de l’ordonnance de non-lieu

Suivant cette affaire, Le Monde du vendredi 3 avril 2015 avait publié un intéressant article de Gérard Davet et Fabrice Lhomme sur les évolutions de l »enquête pénale, intitulé « Une éclaircie dans l’horizon judiciaire de Nicolas Sarkozy ». D’après cet article, alors qu’il était susceptible d’être mis en examen dans cet affaire, le chef de l’Etat n’avait été entendu par les juges Renaud Van Ruymbeke et René Grouman qu’en tant que « témoin assisté ». Il échappait ainsi à la mis en examen de Jean-François Copé et Catherine Vautrin, l’ancienne trésorière du parti. Les journalistes considéraient que cela préfigurait un abandon des poursuites contre Sarkozy, en raison notamment de l’absence d’élément moral : à la différence de ces deux derniers, Nicolas Sarkozy n’aurait pas eu l’intention de commettre ces délits et ne serait pas susceptible de faire l’objet de poursuites pénales sur ce fondement.

Finalement, c’est un non-lieu général qui a été prononcé contre tous les acteurs du dossier d’après l’AFP. D’après le Figaro, « Devant le juge, Nicolas Sarkozy avait critiqué le « rôle joué dans cette affaire par François Fillon », selon une source proche de l’enquête, et dénoncé une procédure « instrumentalisée dans le but de l’atteindre personnellement ». Sur le fond, il avait estimé « que l’UMP avait pris une décision conforme à son objet social », celui « de présenter des candidats aux élections » et invoqué la « solidarité du parti envers son candidat, y compris jusqu’à la prise en charge de sanctions personnelles ». Il avait plaidé la bonne foi, en l’absence d' »élément intentionnel », rapporte la source. »

Il reste cependant que pour le moment, la décision de justice n’est pas facilement accessible sur le net et qu’il faudra donc la trouver pour l’analyser… Mediapart a pourtant réussi à se la procurer. L’analyse des extraits de cette décision est intéressante en tant qu’elle illustre une hypothèse déjà mise en avant sur ce blog : celle selon laquelle les catégories du droit pénal s’adaptent parfois difficilement aux affaires électorales. D’après l’article 314-1 du code pénal, « L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ». Cette infraction, comme toute autre infraction, répond donc à des éléments constitutifs : le détournement, le préjudice et l’intention. Or aucun de ces éléments ne semble réuni en l’espèce :

  • Sur le détournement : même si les juges selon Médiapart considèrent qu‘« Au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation, une association (ou un parti politique) ne peut effectuer de tels paiements sur ses propres fonds sans commettre un abus de confiance », il reste que le détournement ne paraît pas caractérisé dans la mesure où Nicolas Sarkozy a participé à l’organisation du Sarkothon et qu’il était clair que les sommes ainsi demandées aux électeurs pouvaient servir tant à renflouer les caisses suite au rejet des comptes de campagne qu’à servir à payer l’amende en question : « Il existait en l’espèce une confusion lors de la collecte [du Sarkothon] sur le véritable bénéficiaire des dons, peut-on lire dans leur ordonnance de non-lieu. Si les appels aux dons lancés par M. Copé indiquaient sans ambiguïté qu’ils bénéficiaient à l’UMP, l’opération devait aussi bénéficier à M. Sarkozy qui avait lancé un appel en ce sens et mandaté l’UMP pour réaliser l’opération baptisée “Sarkothon”. Du fait de cette confusion, le délit d’“abus de confiance” apparaît insuffisamment caractérisé. ». 
  • Sur le préjudice, l’infraction n’est pas caractérisée car le parti, dans l’opération, n’a pas subi de préjudice : «  « Bien au contraire, si l’on compare le montant de l’excédent dégagé [par le Sarkothon]et celui des dettes que [l’UMP] a dû supporter, s’agissant en outre d’un parti présentant un endettement bancaire conséquent »… 
  • Enfin il semblerait que l’élément intentionnel était également absent, comme l’avait estimé le parquet.

Au delà de l’affaire politique qui finalement n’en était pas une du point de vue judiciaire, cette expérience est intéressante à plusieurs niveaux :

  • Elle enrichit le Code électoral qui pourrait désormais considérer, notamment sous l’article L. 52-12 (et l’ordonnance de 62 sur la présidentielle), que le parti peut participer sous certaines conditions (notamment une récole temporaire) au paiement de l’amende du candidat.
  • Elle montre les difficultés d’articulation entre le judiciaire et l’électoral, comme nous en avions fait l’hypothèse.

A suivre !

Romain Rambaud