17/09/2012 : Construction européenne et sondages : l’Europe, le peuple, l’opinion publique, l’électeur, et la démocratie. Pour une démocratie délibérative européenne !

En Une du Figaro de ce matin, un sondage. Sur fond de drapeau européen, le Figaro a titré le 17 septembre 2012 « Le sondage choc 20 ans après Maastricht, Les Français et l’Europe : le désamour ».  De quoi réfléchir de nouveau sur les rapports entre la construction européenne et l’opinion publique, l’électeur, et la démocratie.

 

Des résultats édifiants pour la Construction européenne

De façon saisissante, la Une du Figaro affiche dans des carrés blancs les résultats chiffrés les plus significatifs de l’enquête du sondage réalisé pour le journal par l’IFOP – et c’est efficace, puisque cela donne envie d’acheter le journal. Ces résultats sont les suivants :

64 % des français ayant voté Maastricht voteraient non aujourd’hui à un tel référendum – et donc non, si les français le savent, à l’Union économique et monétaire telle qu’elle existe aujourd’hui, et notamment à l’Euro. Si la question peu paraître assez artificielle, il reste que c’est pour le Figaro « l’un des grands enseignements » de ce sondage.

76 % des français estiment que l’Union européenne n’agit pas de façon efficace pour limiter les effets de la crise économique. Néanmoins, 65 % des français ne souhaitent pas que la France abandonne l’Euro pour le Franc, faisant ainsi preuve de réalisme.

Des résultats cependant édifiants qu’il faut par ailleurs associer au précédent sondage qui avait été réalisé pour l’Humanité à la fin du mois d’août et qui indiquait que 72 % des français souhaitaient un référendum concernant la ratification du traité budgétaire européen… sans doute pour dire non, donc, si l’on comprend bien la logique à l’œuvre dans l’opinion publique actuellement.

Une analyse plus fine du sondage montre d’autres résultats encore plus terrifiants pour la construction européenne : 45 % des français considèrent que l’euro est un handicap dans le cadre de l’actuelle crise financière, 61 % pensent qu’il a un effet négatif sur  la compétitivité de l’économie française, 63 % qu’il a eu un effet négatif sur le niveau du chômage, 89 % qu’il a un effet négatif sur le niveau des prix ! L’euro est donc, c’est le moins que l’on puisse en dire, mal-aimé !

Mais plus généralement la construction européenne est fortement malmenée dans ce sondage : 67 % des français pensent que l’Europe va plutôt dans la mauvaise direction depuis l’adoption du traité de Maastricht ( contre 55 % en sens contraire en 1999), 56 % pensent qu’à long terme il est peu probable que les États européens cèdent leur pouvoir pour créer un État unique, et, point final du sondage, 60 % des français souhaiteraient au fond d’eux-mêmes « moins d’intégration européenne et des politiques économiques et budgétaires propres à chaque État » contre 40 % qui pencheraient vers une « intégration européenne renforcée avec une politique économique et budgétaire unique ». Une année auparavant, en 2011, la tendance était contraire : 51 % des français souhaitait une intégration renforcée et 48 % moins d’intégration. L’écart n’était pas grand, et l’on sait maintenant dans quelle direction va le vent.

En somme, selon ce sondage, les français seraient devenus eurosceptiques.

Quant au peuple grec, il n’a pas de quoi être rassuré : 65 % des français sont désormais favorables à l’exclusion de la Grèce de la zone euro si elle n’arrive pas à réduire sa dette et son déficit. Si l’on peut critiquer la manière dont la question est formulée, et qui semble orienter largement la réponse, il reste que le résultat montre que les français sont en ce moment peu enclins à la solidarité. C’est un peu inquiétant !

Enfin, sociologiquement, les résultats de ce sondage sont préoccupants, en tant qu’ils révèlent une fracture entre les « CSP + » et les « CSP – » : 72 % des professions libérales et cadres supérieurs pensent qu’il est de l’intérêt de la France d’appartenir à l’Union européenne, contre 36 % pour les ouvriers et les employés. Songeons par ailleurs aux tribunes de François Fillon et José-Manuel Barroso qui, très pro-européennes – M. Barroso y propose de construire une « Fédération d’Etats-Nations » apparaissent en total décalage par rapport aux résultats du sondage.

Des résultats qui raisonnent en écho à la structuration du champ politique en France – songeons à la dynamique des extrêmes – ainsi qu’aux résultats relatifs au traité constitutionnel de 2005, où le « non » l’avait emporté à une large majorité.

 

Construction européenne et démocratie : le défi politique européen

Ces résultats sont donc inquiétants, car ils montrent un désamour croissant des citoyens pour l’Europe dans cette période de crise, alors même que, sans doute, les solutions pour sortir de la crise passent par davantage d’intégration.

Notamment, le fait que la majorité des français considère qu’il serait préférable de revenir à des politiques économiques et budgétaires nationales pose problème alors même que les nouveaux instruments de la Constitution économique européenne vont en sens contraire : mutualisation des difficultés budgétaires avec la création – et la récente validation en Allemagne – du mécanisme européen de stabilité et, parallèlement, ratification du traité budgétaire avec une sévérité accrue dans la gestion des finances publiques, l’inscription de la règle d’or dans une future loi organique de valeur constitutionnelle et le renforcement des contrôles par le Conseil constitutionnel et la Cour de justice de l’Union européenne. Il y a donc discordance croissante entre les évolutions de la Constitution économique européenne et les aspirations du Souverain. Alors, que faut-il faire ?

Tout d’abord, prendre acte du fait que du point de vue du principe, il est impossible d’opérer la construction de l’Union européenne contre les peuples. Dans l’histoire, la tentative a existé de construire l’Europe de force, par la guerre, et cela a toujours échoué. La guerre, fut-elle juridique et économique, et encore plus si c’est celle des élites contre les peuples, échouera toujours à construire l’Europe. Si cette dernière est un succès aujourd’hui, c’est parce qu’elle repose sur la démocratie. L’oublier est condamner l’Europe à la disparition, c’est repousser un peu le problème pour s’y soumettre après, c’est accélérer la vitesse de la voiture pour d’autant mieux se fracasser sur le mur en bout de course. Le principe n’est pas négociable : l’Europe doit être fondée sur la démocratie et ne peut pas se faire contre les peuples.

De ce point de vue, ce qui s’est produit en France avec l’adoption du traité de Lisbonne, après le rejet de la Constitution européenne, était assez contestable… Combien de temps encore avant que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ne s’empressent de nous rappeler que, déjà, l’Europe a marché sur les peuples ? Et après ? Ne l’oublions pas : le populisme, de droit comme de gauche, monte. Ne l’oublions pas : nous savons très bien où il mène.

Alors, faut-il avoir peur du peuple ? Faut-il avoir peur des résultats de ce sondage qui nous montre que l’idéal européen souffre au profit d’un nationalisme revigoré ? Oui, mais il faut aussi, et c’est dommage que cela ne soit pas fait, le relativiser.

Tout d’abord, car il existe un principe consubstantiel aux sondages : l’opinion publique n’est pas l’électeur. Ce que disent les sondés, aujourd’hui, est certes un mouvement de fond mais c’est aussi une humeur, une colère, qu’il serait contreproductif de ne pas entendre mais qu’il ne faut pas confondre avec l’expression d’un vote. Ces résultats sont terrifiants, mais ils ne sont pas de la même nature que l’expression de l’électeur dans la solitude de l’isoloir. On peut, et on doit, prendre ces résultats avec recul.

Ensuite, on peut rappeler qu’en l’état du droit positif, ce sondage, ne portant pas sur une élection, n’a pas été contrôlé. Il faut le savoir. Ainsi, on peut s’interroger sur la pertinence de questions comme celles de savoir si aujourd’hui, les français revoteraient Maastricht – cette question a-t-elle vraiment un sens ? – ou celle de savoir si les français seraient favorables à l’exclusion de la Grèce de la zone euro « dans le cas où (elle) ne parviendrait pas à réduire sa dette et son déficit » – cette question n’est-elle pas orientée ?  Autre élément technique, le sondage dont il s’agit est un sondage auto-administré en ligne, c’est-à-dire qu’il est réalisé exclusivement par internet. Ce procédé implique-t-il l’existence de biais ?

Enfin, et c’est un argument de poids, jusqu’à présent au moins, les peuples qui ont voté lors des élections récentes se sont tous prononcés en faveur de représentants favorables à la Construction européenne : en Grèce, en France puisque François Hollande a toujours dit qu’il ratifierait le traité même s’il était certes sensé le renégocier sans doute plus qu’il ne l’a fait, et plus récemment encore aux Pays-Bas où les pro-européens l’ont emporté largement, contrairement à ce que l’on craignait. Les électeurs semblent donc plus pro-européens que l’opinion publique, ce qui n’est pas vraiment un paradoxe. Lorsque l’on prend une décision lourde qu’on exprime par le vote, on ne fait pas la même chose qu’exprimer une humeur (mauvaise) à un sondeur – ou pire, à un questionnaire auto-administré en ligne.

Cette confiance dans la démocratie doit-elle aller jusqu’à un référendum sur les nouveaux mécanismes européens ? La question se pose, tant ces traités composent une Constitution économique et donc posent des questions de Souveraineté. Toutefois, il n’en a pas été jugé ainsi par le Conseil constitutionnel, et, au minimum, un référendum serait dangereux. La différence, sans doute, entre un monde qu’on souhaiterait idéal et une réalité critique.

Alors, que faire ? S’il est peut-être politiquement délicat de faire un référendum aujourd’hui, force est toutefois de constater que la capture de l’Europe par les élites au détriment des peuples ne peut pas durer. Il faut faire autrement.

Alors, si les sondages ne sont pas le vote mais que le vote est trop dangereux, comment respecter la démocratie ?

Ici, on peut proposer une solution : développer cette démocratie participative, délibérative, qui constitue cet entre-deux entre la démocratie représentative et la démocratie directe : où sont les associations, les forums de débat, les publicités, en somme, où est l’Europe aujourd’hui, alors qu’elle devrait être présente, plus que jamais ? Pourquoi ne parler que de la crise, alors qu’au quotidien, l’Europe fait tant ? La démocratie, c’est aussi cela : le contact direct avec les citoyens, le dialogue permanent qui permettra de faire aimer l’Europe. La démocratie est polysémique, utilisons tous les moyens !

Mais de grâce, il n’est plus possible de passer outre les peuples. Faisant cela, on conduirait l’Europe contre elle-même et donc nécessairement, on conduirait l’Europe à sa perte.

Romain Rambaud