24/11/2015 : Mode de scrutin régional, évolutions et perspectives [JP. Grandemange]

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téléchargement (5)Les 6 et 13 décembre, nous allons élire, pour la sixième fois, nos conseillers régionaux, au suffrage universel direct. Le mode de scrutin, proportionnel avec prime majoritaire, est explicité à l’article L. 338 du code électoral : « Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal au quart du nombre des sièges à pourvoir, arrondi à l’entier supérieur. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne (…). Si aucune liste n’a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un second tour. Il est attribué à la liste qui a obtenu le plus de voix un nombre de sièges égal au quart du nombre des sièges à pourvoir, arrondi à l’entier supérieur (…). Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis, entre toutes les listes, à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne (…) ». Après avoir présenté la genèse de ce mode de scrutin, nous dirons quelques mots ses perspectives d’avenir.

Genèse du mode de scrutin régional

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Résultats des élections régionales de 1986

Lorsque la décision fut prise d’élire les conseillers régionaux au suffrage universel direct, le choix du mode de scrutin se porta sur la représentation proportionnelle (loi n° 85-692 du 10 juillet 1985). La circonscription électorale retenue fut le département, et une clause de barrage exclut du partage des sièges les listes qui n’obtiendraient pas, au minimum, 5 % des suffrages exprimés.

Appliqué aux élections de 1986, 1992 et 1998, ce mode de scrutin généra, fréquemment,  un défaut de majorités (absolues) au sein des conseils régionaux. Ce fut tout particulièrement le cas en 1998, où ce type de situation se rencontra dans vingt régions métropolitaines sur vingt-deux et dans trois d’outre-mer sur quatre.

Pour favoriser la constitution de telles majorités, plusieurs articles du code électoral furent modifiés, dès l’année suivante (loi n° 99-36 du 19 janvier 1999), notamment les articles L. 338 et L. 346.

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Résultats des élections régionales de 1998

La réforme consista à abandonner le département, au profit de la région, en tant que circonscription électorale, et à établir une prime, de 25% des sièges au profit de la liste qui « remporte » les élections. Il s’agit de celle qui recueille la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour ou de celle qui obtient le plus de voix au second tour, second tour auquel ne peuvent participer que les listes qui ont obtenu au moins 5% des suffrages exprimés au premier tour.

Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes, qui ont obtenu  au moins 3 % des suffrages exprimés, à la représentation proportionnelle, suivant la règle de la plus forte moyenne.

Jugeant que ce mode de scrutin favoriserait un émiettement de la représentation des forces politiques dans les conseils régionaux et distendrait le lien entre les élus et les citoyens, la nouvelle majorité lui apporta deux correctifs, en 2003 (loi n° 2003-327 du 11 avril 2003).

Tout d’abord, elle releva le seuil de suffrages exprimés nécessaire pour se maintenir au second tour de 5% à 10% des suffrages exprimés, (article L. 346 du code électoral) et celui exigé pour pouvoir participer au partage des sièges à la proportionnelle de 3% à 5% des suffrages exprimés (article L. 338 du code électoral).

Ensuite, elle institua, au sein des listes de candidats, des sections départementales (article L. 338-1 du code électoral). Désormais, une fois que le nombre de sièges revenant à une liste a été calculé, ces sièges sont répartis entre ses sections départementales au prorata des voix obtenues par la liste en question dans chacun des départements correspondant aux sections.

On se permettra de relever, pour mémoire, que le passage du seuil de suffrages nécessaire pour qu’une liste puisse se maintenir au second tour, de 5% à 10% des suffrages exprimés a nécessité une seconde délibération de la loi, suite à une censure partielle par le Conseil constitutionnel (décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003). En effet, ce dernier avait censuré le passage du seuil de 5% des suffrages exprimés à celui de 10% du nombre des électeurs inscrits, non pas au motif que cela aurait pu porter atteinte au pluralisme des courants d’idées et d’opinions, mais pour non respect d’une règle de procédure. En effet, le texte soumis à l’examen du Conseil d’Etat prévoyait un passage de ce seuil de 5% à 10% des suffrages exprimés, et c’est seulement par la suite que le Gouvernement a modifié ce seuil pour lui substituer celui de 10% des suffrages inscrits (voir les considérants 5 à 8 de la décision précitée).

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Résultats des élections régionales de 2004

Ces dispositions ont permis l’émergence de majorités (absolues), dans tous les conseils régionaux, lors des élections de 2004 et 2010. Cela n’aurait pas été possible avec l’ancien mode de scrutin. En effet, à l’issue du second tour, seules treize régions sur vingt-cinq virent une liste obtenir la majorité des suffrages exprimés en 2004, dont cinq dans le cadre de duels (la Corse n’est pas prise en compte dans ce calcul en raison du fait que la prime ne concerne pas 25% des sièges mais seulement neuf sur cinquante-et-un et que le seuil d’accès au second tour est fixé à 7% des suffrages exprimés. Voir les articles L. 364 et suivants du code électoral). La proportion fut un peu plus forte en 2010, avec, cette fois-ci, dix-sept listes sur vingt-cinq qui obtinrent la majorité des suffrages exprimés, dont sept dans le cadre de duels.

C’est dans ce cadre que va s’opérer l’élection des conseillers régionaux les 6 et 13 décembre.  En ira t’il de même en 2021, ou ce mode de scrutin sera-t-il à nouveau modifié ?

Quelles perspectives pour le mode de scrutin régional ?

téléchargementSachant que le mieux est souvent l’ennemi du bien, on aurait tendance à penser qu’il serait urgent d’attendre avant de toucher, encore une fois, à ce mode de scrutin qui réussit à allier une assez bonne représentativité des différents courants d’idées et d’opinions et la constitution de majorités (absolues) au sein des conseils régionaux. Telle n’est pas l’opinion de certains responsables politiques qui redoutent de se retrouver confrontés à un dilemne le 6 décembre au soir : Devoir choisir entre ne pas prendre part volontairement au second tour, et voir son courant d’idées et d’opinions disparaître du conseil régional pour six ans, ou, prendre le risque qu’un « drame » se produise ; que le Front National « remporte » une ou plusieurs régions (grâce à la prime qui a été instaurée pour neutraliser son influence en 1999).

Pour éviter à ces personnes, dont la fonction consiste, pourtant, à effectuer des choix, d’avoir à prendre ce type de décision, le député centriste, Monsieur Yves JEGO, a proposé, le 28 octobre dernier, de systématiser la règle en vigueur pour l’élection présidentielle, et qui consisterait à ne qualifier au second tour, pour toutes les élections, que les deux candidats ou listes arrivés en tête, à l’issue du premier tour.

téléchargement (1)On ne peut pas nier que Monsieur Yves JEGO ait de la suite dans les idées, car il s’agit d’une reprise d’une proposition de loi qu’il déposa à l’Assemblée nationale, le 13 mai 2004, mais qui ne concernait, à l’époque, que l’élection des députés et celle des conseillers généraux. Si la proposition de 2004 est, à nos yeux, parfaitement défendable, il n’en va pas de même en ce qui concerne celle du mois dernier.

En 2004, la proposition de Monsieur Yves JEGO ne concernait que les élections qui se déroulent au scrutin majoritaire uninominal, et qui ne visent donc qu’à permettre l’élection d’un candidat, tous les autres étant, tôt ou tard, renvoyés à leurs foyers. Dans ce cas de figure, réserver l’accès au second tour aux deux candidats arrivés en tête au premier tour permettrait de mettre l’électeur face à un choix clair et précis et garantirait au candidat élu la certitude de l’être avec la majorité absolue des voix, sans que cela ait réellement d’incidence sur la représentation des différents courants d’idées et d’opinions au sein des assemblées concernées (un tel raisonnement pourrait être repris pour ce qui concerne, désormais, les élections départementales, un seul binôme étant élu par circonscription. Voir les articles L. 191 et suivants du code électoral).

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Résultats des élections régionales de 2010

La problématique est tout autre pour ce qui concerne les élections municipales et régionales, pour lesquelles Monsieur Yves JEGO souhaiterait, également, réduire le choix des électeurs au second tour aux deux listes arrivées en tête au premier tour. Dans chaque circonscription, les électeurs ne sont pas invités à élire un représentant, ou un binôme de représentants, mais l’intégralité des membres d’une assemblée délibérante. Il ne s’agit plus d’éliminer un candidat, dont le courant d’idée ou d’opinion peut être représenté dans la circonscription voisine, mais une liste de candidats dans son ensemble. C’est alors un courant d’idée ou d’opinion qui se trouverait totalement exclu de l’assemblée concernée, et ceci, parfois, en dépit de scores non négligeables qui pourraient dépasser 20% des suffrages exprimés.

Que Monsieur Yves JEGO veuille simplifier le choix des électeurs on peut le comprendre, mais que, pour ce faire, il soit prêt à transmettre aux conseils municipaux et régionaux la tare qui afflige notre Parlement et nos conseils départementaux, à savoir, leur très insuffisante représentation des différents courants d’idées et d’opinions, on ne peut que le réprouver. D’ailleurs, Monsieur Yves JEGO lui-même avait parfaitement identifié cet « inconvénient » en 2004 et limité sa proposition aux élections uninominales, mais, en se référant à une interprétation erronée de la décision du juge constitutionnel du 3 avril 2003 (voir l’exposé des motifs de la proposition de loi précitée).

images (2)Pourquoi, dès lors, l’élargir cette règle aux scrutins de liste ? Parce que Monsieur Yves JEGO a fini par découvrir que ce n’est pas en raison du risque d’atteinte au principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions, mais pour un motif technique, que le Conseil Constitutionnel a censuré le passage à 10% du nombre des électeurs inscrits le nombre de suffrages qu’une liste doit atteindre pour pouvoir se maintenir au second tour des élections régionales ? Parce qu’il a constaté que le juge constitutionnel n’a pas non plus censuré le remplacement des conseillers régionaux, élus pour les trois quarts d’entre eux à la proportionnelle, par des conseillers départementaux, élus au scrutin majoritaire, en dépit des conséquences négatives que cette réforme allait entrainer sur la représentation pluraliste des courants d’idées et d’opinions dans ces organes délibérants  (Décision n°  2010-618 DC du 9 décembre 2010) ? Nul ne le sait, mais l’on se permettra de rappeler à Monsieur Yves JEGO que le pluralisme constitue le fondement de la démocratie et que ce n’est pas en cassant les thermomètres que l’on fait baisser la fièvre.

Plutôt que de défendre cette réforme politicienne on pourrait, à l’inverse, s’interroger sur la pertinence d’une autre réforme de ce mode de scrutin et qui concerne, elle, le bon fonctionnement des conseils régionaux. La prime accordée au parti « vainqueur » des élections a été fixée, on le sait, à un quart des sièges du conseil régional, ce qui garantit, mécaniquement, l’octroi d’au moins la moitié des sièges à une liste, même en cas de triangulaire (25% des sièges + 1/3, au moins, des 75% de sièges restants). D’ailleurs, comme je l’indiquais précédemment, tant en 2004 que 2010, chaque conseil régional s’est vu doté d’une majorité (absolue) à l’issue des élections, même lorsqu’aucune liste n’a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés. Pourtant, le risque qu’une majorité (absolue) ne se dégage pas à l’issue d’une élection n’est pas totalement écarté. Il est même tout à fait envisageable, dans le cadre d’une quadrangulaire, si la liste arrivée en tête, et bénéficiaire de la prime majoritaire, n’obtient qu’environ 30% des suffrages (et, par exemple, 28%, 22% et 20% pour les trois autres listes). Dans ce cas de figure, cette liste se verrait attribuer 47,5% des sièges (25% au titre de la prime et 30% des 75% des sièges restants, soit, 22,5%, au titre de la répartition à la proportionnelle).

images (3)Dans cette hypothèse (une quadrangulaire serrée), seule une prime d’un tiers des sièges garantirait, en tout état de cause, la constitution d’une majorité (absolue) au sein du conseil régional. Certes, cette réforme réduirait quelque peu la représentation des « minorités », mais celle-ci, demeurerait, selon nous, dans des limites raisonnables, surtout si l’on la compare avec la situation que l’on peut observer au sein de notre Parlement et des conseils départementaux, en raison du recours au scrutin majoritaire.

En outre, pour compenser la critique qui pourrait être faite, à cet accroissement de cette prime majoritaire, cette réforme pourrait être couplée avec la réduction d’une autre prime majoritaire, celle qui s’applique aux élections municipales dans les communes de plus de 1000 habitants, et qui concerne la moitié des sièges (article L. 262 du code électoral).

Etabli par la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982, ce mode de scrutin, qui instaurait cette prime, remplaçait un mode de scrutin majoritaire plurinominal. L’introduction de cette prime majoritaire, concernant la moitié des sièges, constituait donc, à l’époque, un progrès en termes de représentation des différents courants d’idées et d’opinions. Trente trois ans plus tard, il est peut être temps d’améliorer cette représentation des « minorités » en répartissant, non plus, seulement, la moitié, mais, les deux tiers des sièges de ces conseils municipaux, à la représentation proportionnelle.

Jean-Pierre Grandemange

2 réflexions sur « 24/11/2015 : Mode de scrutin régional, évolutions et perspectives [JP. Grandemange] »

  1. Cher collègue,
    je partage votre analyse mais je m’étonne d’un silence : vous ne semblez pas remettre en cause l’existence de listes départementales pour les élections régionales alors que cela n’a aucun sens et rend ce mode de scrutin parfaitement incompréhensible pour l’électeur.
    En 1985, la région n’était pas constitutionnellement une collectivité territoriale et il fallait donc que les conseillers régionaux soient élus dans le cadre de départements pour pouvoir participer à l’élection des sénateurs. En 2015, n’est-il pas temps d’envisager l’élection des conseillers régionaux sur des listes régionales et d’ailleurs l’élection des sénateurs dans le cadre des régions ?

  2. Cher collègue,

    A mon sens, l’existence des sections départementales est à la fois secondaire et essentielle :
    Secondaire, en ce qui concerne l’intérêt que les électeurs peuvent lui porter. Ces derniers votent pour un parti, ou un candidat à la présidence de la région, peu les importe la façon dont le bulletin de vote est constitué. Certes, la répartition des sièges d’une liste entre ses différentes sections départementales est assez complexe, mais je ne pense pas que ce soit cela qui intéresse le plus les électeurs ; ce qu’ils souhaitent savoir, c’est qui va diriger la région et comment les sièges de conseillers régionaux seront répartis entre les différents partis politiques.
    Pour autant, j’estime que ces sections sont indispensables, si l’on souhaite éviter que certains territoires (les moins peuplés et les plus excentrés) ne soient pas représentés au sein des conseils régionaux, surtout dans les nouvelles méga régions. C’est d’ailleurs pour ce motif que ces sections départementales ont été établies par la loi de 2003 (et non par celle de 1985), après que la réforme de 1999 ait remplacé les circonscriptions départementales par des circonscriptions régionales.

    Enfin, s’agissant de la proposition d’élire les sénateurs au niveau des régions, je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet, mais je vous invite à consulter un article, que j’ai écrit en 2013, sur la question de la représentation des collectivités territoriales au Sénat (« Amélioration de la représentation des collectivités territoriales au Sénat et contraintes constitutionnelles », JCP A, 2013, n° 2062).

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