08/05/2015 : Législatives au Royaume-Uni : gros plantage des sondeurs [R.Rambaud]

téléchargementC’est donc, contre toute attente, une victoire écrasante de David Cameron. Les anglais n’ont-ils donc pas encore découvert le concept de l’alternance systématique, que le monde pourtant nous envie ?

Ainsi que le montre une utile infographie du monde disponible ici, les conservateurs ont obtenu 331 sièges, les travaillistes 232, le parti national-écossais 56, les libéraux-démocrates 8, les verts et l’UKIP chacun 1 (une grosse claque pour ce parti d’extrême droite, qui rappelons-le, était le premier parti du Royaume-Uni lors des dernières élections européennes), et 17 autres. Les conservateurs disposent de la majorité absolue et David Cameron restera au 10 Downing Street, gouvernant avec sa majorité, c’est à dire seul. Il s’agit sans doute d’un soulagement pour les professeurs de droit constitutionnel : le régime anglais restera anglais. Inutile, ou presque, de réécrire toute cette partie là de son cours. Les moutons sont bien gardés.

On ne fera pas ici de longs commentaires sur cette victoire écrasante. Plusieurs éléments sont très intéressants mais d’autres les commenteront mieux et plus longuement que nous : stratégie électorale finalement payante de Cameron, absorption de tendance sarkozyste des électeurs du UKIP, mise à mal relative du bi-partisme anglais par l’émergence des partis régionaux du fait de l’approfondissement du processus de dévolution (les scores du parti indépendantiste en Ecosse sont impressionnants), etc. On ne parlera pas non plus longuement de l’onde de choc que risque de créer cette élection, notamment dans la perspective d’un référendum sur le « Brexit », la sortie du Royaume Uni de l’Europe. On y avait déjà fait référence il y a fort longtemps sur ce blog, notamment pour montrer les hésitations des sondages en la matière… à l’époque. On ne sera pas davantage rajeuni en 2017, date prévue de l’organisation de cette consultation qui fait déjà trembler la City. Qu’elle se rassure : les français ne travailleront pas plus parce que les anglais ne seront plus en Europe… sauf peut-être les français vivant à Londres, s’ils reviennent (petit message personnel à quelqu’un qui se reconnaîtra).

Silver

Ce dont nous allons parler ici, brièvement, c’est du plantage total des sondeurs dans cette élection. Ainsi que le relève le site arrêt sur images, renvoyant au site internet de Nate Silver (si vous ne vous rappelez pas ce statisticien qui sait prédire les résultats des élections, on se permettra de vous renvoyer à deux articles de ce blog consacrés à ce personnage, ici puis ici), ce n’est pas la première fois que les sondeurs se plantent totalement au Royaume-Uni. Aux élections législatives de 1974, les conservateurs avaient obtenu 5,9 points de mieux que ce que prédisaient les enquêtes d’opinion. Même chose en 1997 (5,7 points de mieux) et en 2001 (5,9 points). C’est surtout en 1992 que l’écart entre les prévisions des sondeurs et les résultats a été le plus grand : les conservateurs avaient obtenu 9,4 points de mieux. Des erreurs répétitives, donc.

Cette fois, ils se seront bien trompés également. Ainsi que le relève l’Obs, « dans les cinq semaines de campagne, aucun sondage – et il y en avait parfois jusqu’à quatre par jours – n’avait prévu ça. Ils donnaient tous les travaillistes et les conservateurs au coude à coude, et sans majorité absolue, contraints de former des alliances avec des petits partis pour gouverner ». Au moment des résultats, Jim Messina, le spin doctor de David Cameron, a ainsi twetté « Après les experts, sondages, politiciens, journaleux et tout le reste, l’élection est finalement entre les mains des gens les plus intelligents de tous : les électeurs ».

Certes, même si une majorité des sondages publiés ces derniers jours ont donné le camp conservateur en tête, à des degrés divers, personne n’a su prévoir le niveau du vote et la projection en termes de sièges. Notamment, aucun sondeur n’avait prédit l’effondrement des libéraux-démocrates, qui faisaient partie de la coalition sortante.

Pour les experts, la seule explication rationnelle serait une mobilisation au dernier moment du côté conservateur. Cependant, la question de la validité des méthodes des instituts britanniques est bien posée, et c’est aussi une question de droit des sondages électoraux, et sur ce point nous renverrons à nos travaux publiés sur le droit comparé des sondages électoraux : par exemple notre article dans le numéro 2 de la revue statistique et société, disponible en ligne.

téléchargement (1)Le système britannique est un système d’autorégulation des sondages. L’autorégulation est effectuée par le BPC (British Polling Council), créé en 2004. Il n’existe donc pas d’institution publique indépendante du contrôle des sondages, pas de commission des sondages autrement dit (une hérésie), mais une auto-régulation organisée par la profession. Par ailleurs, et à la différence du système français par exemple, les règles déontologiques concernent essentiellement non pas la fabrication des sondages mais la publication des sondages, c’est à dire leur interprétation par les journalistes. C’est une caractéristique spécifique des systèmes anglo-saxons de régulation des sondages, qui laissent une grande liberté aux sondeurs dans leurs techniques de réalisation, mais édictent des règles précises de présentation et de transparence dans l’élaboration de ces sondages. Autrement dit, le système est typiquement libéral. Parfois pour le pire, donc. Les sanctions sont faibles, car il s’agit seulement de l’exclusion du BPC ou de la publication en ligne de mises au point. Des analyses poussées pourront donc être menées par les experts sur les défauts méthodologiques des sondages anglais.

Dans tous les cas, on peut souligner que les méthodes anglaises se sont faites violemment rembarrées quand certaines entreprises de sondages anglais ont cherché à les utiliser en France. La tentative d’importation des méthodes anglaises en France n’a pas survécu à la vigilance méthodologie de la Commission des sondages. Les anglais ont peut-être le droit de faire n’importe quoi chez eux, mais en France, une législation qui fêtera bientôt ses 40 ans veille à l’orthodoxie méthodologique.

Nous avions écrit un article sur affaire. Le 13 juin 2013 avait été diffusé sur I>Télé et le Huffington Post français un sondage réalisé par l’institut YouGov portant sur élections européennes, dont les résultats, spectaculaires avaient été largement repris. YouGov est une société internationale d’étude de marché basée sur Internet et fondée au Royaume-Uni en mai 2000 par Stephan Shakespeare, et Nadhim Zahawi, ancien directeur général. Son siège social est à Londres. Or ce sondage avait fait l’objet d’une mise au point très sévère de la Commission des sondages adoptée le 21 juin 2013 sur le fondement de l’article 9 de la loi du 19 juillet 1977, dont les termes sont les suivants :

« La commission des sondages appelle l’attention du public sur l’absence de caractère significatif des résultats du sondage relatif aux élections européennes de 2014, réalisé par l’Institut YouGov et publié le 13 juin par I>Télé et le site français du Huffington Post.La méthode d’établissement des intentions de vote comporte en effet plusieurs défauts de nature à altérer la qualité et la fiabilité du sondage.  En premier lieu, la constitution de l’échantillon des personnes interrogées n’a pas comporté la vérification préalable de leur inscription sur les listes électorales.  En deuxième lieu, la question d’intention de vote a été précédée, lors de l’administration de l’enquête, de questions d’opinion de nature à biaiser la réponse des personnes interrogées. Enfin, il résulte des déclarations faites à la commission par les représentants de l’institut YouGov que les données recueillies auprès des personnes interrogées ont fait l’objet d’une correction à partir d’éléments extérieurs à l’enquête de sorte que les résultats publiés ne sont pas cohérents avec les données qui en sont issues. »

On ne reviendra pas sur le détail des reproches qui étaient formulés contre l’institut YouGov, en renvoyant à notre article sur le sujet, mais la lecture de la mise au point montre bien que les règles les plus fondamentales de la construction de sondages en France n’avaient pas été respectées, règles dont on considère en France qu’elles sont les meilleures garantes de résultats fiables.

Les méthodes des sondeurs anglais sont-elles douteuses ? La recherche devra le dire, mais il ne serait pas étonnant d’entendre dans les jours prochains une petite musique de nos instituts nationaux sur la qualité de nos sondages à nous. Après tout, grâce à la Commission des sondages notamment, le secteur des sondages d’opinion reste encore protégé de la concurrence internationale…. et de la concurrence anglaise, c’est bien l’essentiel.

Romain Rambaud