22/04/2013 : Communication au colloque de la Commission des sondages : des avantages et inconvénients comparatifs du système français de régulation des sondages

Le premier grand colloque de la Commission des sondages fut un succès, avec une salle pleine, de bons exposés et une table-ronde, réunissant l’ensemble des directeurs d’instituts, qui a permis d’acter les désaccords, notamment sur le thème de la transparence. Sur ce dernier point, comme nous l’avions déjà dit ici, c’est de loin Bruno Jeanbart, d’ Opinionway, qui a été le plus progressiste.

La publication des actes de cette journée d’étude sera donc un pas important pour le droit des sondages électoraux, qui reste encore en construction. Et on peut compter sur la Commission des sondages pour mettre en place la bonne communication !

Pour notre part, dans le temps qui nous était imparti, il nous a été possible, au titre du droit international et comparé des sondages électoraux, de parler des avantages et inconvénients comparatifs du droit français. Une analyse insuffisante, sans doute, qui nous a conduit à prendre la décision de publier, le plus vite possible, un article de fond procédant à une analyse complète de droit comparé des sondages.

Dans l’attente, vous trouverez ci-dessous le texte de notre contribution au colloque de la Commission des sondages. Bonne lecture !

Romain Rambaud

 

Contribution au colloque de la Commission des sondages :

Droit international et comparé des sondages électoraux : avantages et inconvénients comparatifs du modèle français de régulation des sondages.

 

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de remercier la Commission des sondages pour son invitation et pour l’organisation de ce colloque qui permettra, et je m’en réjouis, de renforcer la réflexion et la recherche en matière de droit des sondages électoraux.

 

Champ de la comparaison :

Vous m’avez  chargé de parler du droit international et comparé des sondages électoraux. La tâche n’est pas facile car il y presque un modèle par pays, et nous avons choisi d’étudier les modèles suivants :

1)      Le premier système étudié est le modèle international, qui est un modèle d’autorégulation forte prise en charge par deux autorités :

 L’ESOMAR (European society for Opinion and Marketing Research, à sa création transformée en World Association for Social, Opinion and Market Research), créée en 1948, qui a pour objet de défendre les intérêts de la profession, regroupant 4900 membres dans 130 pays. C’est donc une organisation très importante et toutes les entreprises adhérant à l’ESOMAR doivent adhérer à ses codes, et notamment le code international ICC/ESOMAR de 1977 et mis à jour en décembre 2007.

– La WAPOR (World association of public opinion research), créée en 1947, qui est une organisation davantage tournée vers la recherche mais qui participe à l’édiction des principes communs : il existe un guide ESOMAR/WAPOR, dédié spécifiquement aux sondages d’opinion et aux sondages électoraux mis à jour en 2009.

2)      Le second système est le droit européen, qui est faible en la matière puisque seul l’article 1§8 de la recommandation du 7 novembre 2007 du Conseil de l’Europe sur les campagnes électorales concerne les sondages. Toutefois, il n’est pas exclu que la CEDH se prononce dans l’avenir puisque deux affaires sont actuellement pendantes devant elle.

3)      Le troisième est le modèle anglo-saxon, fondé sur l’autorégulation de la transparence :

– Aux États-Unis, on peut citer deux institutions :

  • Le NCPP (National Council on published polls) : créé en 1969, qui est un conseil d’autorégulation composé de 27 instituts de sondages.
  • Subsidiairement, l’AAPOR (American association of public opinion research), créée en 1947, qui est une association de recherche produisant des standards.

– Le BPC au Royaume-Uni, association composée de 15 instituts de sondages et dirigée par un Professeur de Sciences politiques.

4)      Le quatrième système est le modèle allemand, qui est un modèle d’autorégulation légère. En Allemagne, la loi ne réglemente pas les sondages à l’exception de l’interdiction de publier des sondages de sortie des urnes le jour du scrutin. Pour le reste, le système est un système d’autorégulation mal adapté aux sondages politiques, réalisé par Der Rat der Deutschen Markt- und Sozialforschung, créé en 2001.

5)      Le cinquième modèle est le modèle italien, qui est un modèle de régulation publique non spécialisée prise en charge par l’AGCOM en vertu de l’article 8 de la loi du 22 février 2000 relative au pluralisme politique et aux campagnes électorales. L’AGCOM est l’équivalent italien du CSA.

6)      Le sixième modèle est le modèle français, modèle de régulation publique spécialisée prise en charge par la Commission des sondages en vertu de la loi du 19 juillet 1977.

 

Méthode de la comparaison :

Eu égard au temps imparti, il est impossible de réaliser une étude complète de droit comparé.  Il a fallu faire un choix, et j’ai fait le choix de procéder à une étude des avantages comparatifs et des inconvénients comparatifs du modèle français par rapport aux systèmes étrangers.

Par prudence, il faut nous mettre en garde contre les limites de la comparaison : le droit des sondages de chaque pays s’est construit en réponse aux problèmes qui sont propres à chaque système et en fonction du contexte institutionnel et politique. Par ailleurs, la comparaison ne peut pas négliger les aspects culturels. Il n’y a donc pas un modèle idéal de droit des sondages. Toutefois, ces limites n’empêchent pas de pouvoir s’inspirer des autres modèles pour améliorer le nôtre.

 

I.  Les avantages comparatifs du modèle français

 On en compte au moins trois.

 

1)      Une structure spécialisée, souple et indépendante

 Le modèle français de régulation des sondages est avec le modèle international le plus ancien, et il est particulier parce que c’est le seul système pris en charge par une autorité administrative indépendante spécialisée. Cela lui donne alors de nombreux avantages :

– D’une part, la régulation est meilleure que l’autorégulation en termes d’indépendance. On peut certes noter qu’en Allemagne il existe certaines garanties. L’autorégulation dispose de deux comités de surveillance composés de personnes indépendantes. Néanmoins en vérité le système est très limité car la saisine de l’autorité d’autorégulation n’est pas ouverte aux simples citoyens, et la transparence est faible.

– D’autre part, la régulation spécialisée est meilleure que la régulation non spécialisée du point de vue du contrôle. On le voit notamment en Italie avec l’AGCOM, où la non spécialisation conduit à un contrôle du respect de la transparence mais à un faible contrôle au fond, ou en Allemagne, où la régulation est celle des études de marché en général et n’est pas très approfondie pour les sondages électoraux.

 

2)      Un véritable contrôle au fond :

 C’est sans doute la France qui présente le meilleur système du point de vue du contrôle au fond, car il y a à la fois un contrôle de la rigueur des méthodologies et, sur les points les plus sensibles comme les critères de redressement, un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation et à la cohérence méthodologique. Ce système permet un juste équilibre entre le nécessaire contrôle et la liberté d’appréciation donnée aux instituts.

 De ce point de vue, cela rapproche le modèle français du droit international qui est le seul système équivalent : le code ESOMAR/WAPOR pose de nombreux principes de fond, tout en reconnaissant la liberté des instituts.

Cela évite à la France de connaître les défauts des systèmes dans lesquels il n’existe guère de contrôle au fond, comme les modèles anglo-saxons et dans une moindre mesure italien :

Notamment, aux États-Unis et au Royaume-Uni, les instances d’autorégulation refusent de procéder à un contrôle des mérites respectifs des méthodes au fond des instituts pour se contenter d’un contrôle des modalités de publicationOr, ce faible contrôle au fond pose incontestablement problème car la manipulation politique n’est pas impossible notamment aux États-Unis, même si les américains ont sans doute plus de recul sur ces questions.

Les dernières élections présidentielles nous en ont fourni des exemples :

  • Ainsi, certains sites internet américains pro-républicains n’ont pas hésité à publier leurs sondages donnant Mitt Romney vainqueur contre toute évidence.
  • La complexité du système américain a conduit un statisticien, Nate Silver, à élaborer un modèle statistique synthétisant tous les sondages, modèle qui comprend un mécanisme de redressement politique des instituts de sondages eux-mêmes, réputés à gauche ou à droite.

Le modèle anglo-saxon se caractérise donc par un très grand libéralisme. Il est évident qu’un tel système serait sans doute culturellement inenvisageable en France.

 

3)      Une durée d’interdiction de publication pertinente

 Le droit comparé démontre l’utilité de mettre en place une interdiction courte des sondages avant l’élection et de ne jamais diffuser les estimations de résultats avant la fermeture des bureaux de vote. Le droit français est donc pertinent.

Tous les systèmes interdisent au moins la publication de sondages de sortie des urnes le jour du vote : ESOMAR/WAPOR, la recommandation du Conseil de l’Europe, l’Allemagne, et même aux États-Unis où a été mise en place cette année une chambre de quarantaine.

A contrario, la comparaison démontre le peu de pertinence des systèmes d’interdiction trop longue, comme cela existe en Italie, avec un délai de 15 jours qui a été largement violé notamment sur internet. On a le même problème en Grèce : deux requêtes sont d’ailleurs actuellement pendantes devant la CEDH sur ce problème.

 

II.   Les inconvénients comparatifs du modèle français

On en compte également trois :

 

1)      Un système peu transparent :

En France, la transparence est assez faible et cela est contesté. Certes, les instituts ont fait des efforts importants mais ne publient toujours pas de notice comportant les bruts et/ou les redressements. Par ailleurs, la Commission des sondages maintient le système de double notice, c’est-à-dire que les notices données aux individus sur demande ne sont pas satisfaisantes, bien que cette pratique ait été jugée conforme à la loi par le Conseil d’État dans l’arrêt Mélenchon du 8 février 2012. Il faudrait donc changer la loi.

Le système français est sans doute avec l’Allemagne le système le moins transparent. Il faut donc renforcer la transparence, même si la comparaison montre aussi que la prise en compte du secret des affaires des instituts est légitime.

Cela est possible. Les autres systèmes sont en effet plus transparents tout en prenant en compte le secret des affaires des instituts :

–        C’est le cas du code ESOMAR/WAPOR : il prévoit que l’institut devrait mettre ses résultats bruts à disposition quand les résultats rendus publics diffèrent substantiellement des données issues du terrain, notamment lorsque sont appliqués des redressements non standards. Néanmoins, le code prévoit également que les instituts sont légitimes à conserver le secret de leur méthode de redressement pour des raisons concurrentielles. C’est donc une transparence limitée.

–        Le modèle anglo-saxon est aussi transparent et il est même entièrement articulé autour de la logique de la transparence :

  •  Aux États-Unis, le système est censé donner aux tiers la possibilité de comprendre eux-mêmes la manière dont les sondages sont réalisés et les instituts doivent donner aux citoyens qui le demandent des informations complètes. Mais le problème de la transparence est moindre aux États-Unis en raison des méthodologies adoptées.
  • Au Royaume-Uni, le système est très transparent notamment du point de vue des notices. Ainsi les principes du BPC prévoient que l’institut de sondage doit publier sur son site internet l’ordre des questions posées, des tables avec les bases redressées et non redressées, une description des procédures de redressement, etc. Et effectivement, les notices sont très complètes, on trouve les bases et les critères de redressement, notamment les souvenirs de vote, ou le redressement par rapport aux journaux lus… Mais on n’a pas les pourcentages associés aux chiffres bruts. 

–        En Italie, le système est très transparent et d’une manière tout à fait originale :

 En effet, la loi prévoit que les notices des sondages sont publiées sur un site internet de la présidence du Conseil sur lequel on trouve l’ensemble des sondages publiés sur une période récente (603). On trouve aussi de très nombreuses informations bien au-delà de celles que l’on trouve habituellement : des méthodes détaillées, mais aussi le commanditaire, la marge d’erreur, la pondération, le taux de non-répondants, de déchets et de remplacements, etc. C’est donc un système très transparent même si l’on peut être sceptique sur le fait que le site en question est un site de la présidence du Conseil… et donc un site de l’exécutif ! 

En revanche, cette transparence n’est pas totale puisqu’elle trouve sa limite dans le secret des affaires des instituts, comme l’a reconnu l’AGCOM. C’est ainsi que, lorsqu’un sondage est réalisé avec redressement politique en Italie, le détail, et par exemple les bruts et les méthodes de redressement, ne sont pas donnés.

 

2)      Un manque d’accompagnement médiatique :

En France, il n’existe pas de dispositifs pour accompagner la publication du sondage. La comparaison démontre que le droit français est en retrait par rapport aux autres systèmes et qu’il existe des solutions à mettre en place :

–        Le code ESOMAR/WAPOR s’inscrit clairement dans une logique d’accompagnement médiatique :

  •  Le code propose la contractualisation en amont des modalités de publication. Il va jusqu’à dire que l’institut doit approuver en avance la forme et le contenu exact de l’article qui reprend le sondage, et que cela doit être prévu par le contrat.
  • Également, l’institut peut intervenir a posteriori pour apporter des précisions quand une publication trop courte altère l’analyse des résultats, quand la publication n’est pas suffisante ou quand la publication méconnaît les stipulations contractuelles.

–        Le modèle anglo-saxon est également focalisé sur l’accompagnement de la publication :

  •  Le NCPP a ainsi récemment créé un Polling Review Board (PRB), afin de pouvoir répondre aux questions des journalistes sur les sondages. Ils ont par ailleurs publié un guide à l’intention des journalistes, calqué en fait sur celui de l’ESOMAR.
  • La logique du BPC est la même : il est là pour répondre aux journalistes et il a également édicté un guide à leur destination.

 

3)      Un système de sanction inadapté :

En effet, la comparaison démontre sur ce point que la France a peut-être le plus mauvais des systèmes, car c’est le seul qui fait intervenir le juge pénal, alors qu’une telle intervention pose de véritables problèmes en matière de liberté d’expression et qu’elle est largement ineffective.

Deux systèmes de sanction sont performants dans chacun des modèles étudiés : la publication (en France, il s’agit de la mise au point) et d’autres sanctions administratives, c’est-à-dire des amendes quand la régulation est publique comme en Italie, et des avertissements pouvant aller jusqu’à l’exclusion dans les systèmes autorégulés, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne. C’est en ce sens qu’il faut aller.

 

Conclusion :

 La comparaison démontre donc que le droit français doit être renforcé dans trois directions :

1)      Un renforcement de la transparence, qui doit passer par la négociation d’un régime spécial d’accès aux documents administratifs comme il en existe d’autres en droit électoral.

2)      La mise en place de dispositifs, contractuels et non contractuels, d’accompagnement de la publication de sondages.

3)  La suppression des sanctions pénales, ou leur restriction aux cas les plus graves, et la mise en place d’un régime de sanction administrative.