23/05/2012 : Pas de mise au point pour le sondage Le Pen – Mélenchon à Hénin-Beaumont – cette solution est-elle juridiquement pertinente ?

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Il était dit que l’écho médiatique de la campagne législative tournerait très largement autour du duel entre les deux fronts : front national contre front de gauche, Marine Le Pen contre Jean-Luc Mélenchon.

Deux bêtes de scène et deux bêtes de sondages ! On peut se souvenir, ici, à quel point M. Mélenchon restera célèbre pour le droit des sondages : 28/04/2012 : Sondages : le Conseil d’Etat entrouvre la boîte de Pandore.

Il est donc logique que ce duel ait donné lieu à des sondages électoraux et donc, à une polémique sur les sondages : en effet, la publication d’une enquête de l’IFOP dans le Journal du dimanche du 20 mai sur la 11e circonscription du Pas-de-Calais, autour d’Hénin-Beaumont, a été extrêmement critiquée par le Front National, son chef de file étant donné perdant au 2nd tour.

Le Front National s’est fait fort de rappeler, non sans raison d’ailleurs, que concernant l’élection présidentielle, les sondages s’étaient assez largement trompés ! Il justifiait en tous les cas un contrôle de la Commission des sondages et un commentaire sur ce blog.

 

1. Le sondage publié

 

Pour le contenu de ce sondage, on peut ici utilement renvoyer au blog du monde sur les sondages : http://sondages.blog.lemonde.fr/ :

« D’après ce sondage, réalisé auprès de 602 personnes du 15 au 17 mai, Mme Le Pen (34%) arrive en tête des intentions de vote au premier tour, devant M. Mélenchon (29%). Arrivent ensuite Philippe Kemel (18%), le candidat du Parti socialiste (PS), et Jean Urbaniak (16%), le candidat du MoDem soutenu par l’UMP.

 Mais, au second tour, M. Mélenchon est crédité de 55% des intentions de vote en cas de duel face à Mme Le Pen, qui obtient alors 45% des suffrages. En cas de triangulaire, avec en plus M. Urbaniak (un candidat doit obtenir 12,5% des inscrits pour pouvoir se maintenir), M. Mélenchon demeure en tête, selon cette étude, avec 44%, devant Mme Le Pen (36%) et M. Urbaniak (20%) ».

 

2. Analye juridique du sondage publié et de la publication du sondage

 

La Commission des sondages s’est réunie le mardi 22 mai afin d’analyser la légalité de ce sondage mais a décidé de ne pas prononcer de mise au point. S’il est impossible de savoir exactement ce qui s’y est dit, plusieurs problèmes juridiques peuvent néanmoins être soulevés et la non-action de la Commission des sondages permet de dégager des règles qui, pour certaines, peuvent être interrogées.

On avancera ici le problème de la taille de l’échantillon (A) et de la publication des résultats (B). Enfin, mais on dispose de peu d’éléments sur cette question en raison du manque de transparence déjà souligné à de nombreues reprises sur ce blog, la question se pose de savoir comment ces résultats ont été obtenus et s’ils sont fiables, suite aux polémiques liés aux différences de résultats Le Pen/Mélenchon lors de la présidentielle : le bon-vieux problème du redressement (C).

 

A. Le problème de la taille de l’échantillon.

 

Tout d’abord, s’est posé le problème de la taille de l’échantillon, récurrent en droit des sondages. En l’espèce, cet échantillon était de 602 personnes, alors que théoriquement, c’est à dire statistiquement, il faut 1000 personnes pour qu’un échantillon puisse présenter les qualités de représentativité nécessaire.

 

Toutefois, la Commission des sondages n’a pas considéré ici que la taille de l’échantillon était trop restreinte. De ce point de vue, elle ne fait qu’appliquer une jurisprudence constante : en effet, le contrôle de la Commission se fait au cas par cas et celle-ci n’exige pas un chiffre minimal. Dans la jurisprudence jusqu’ici, c’est le chiffre de 400 qui ressort : en deça, la mise au point est probable, autour de ce chiffre, elle est variable, au delà, la Commission des sondages fait preuve de compréhension. En l’espèce, pour une élection législative, le chiffre de 602 personnes a donc été considéré comme correct.

 

Elle s’est donc rangée du côté des sondeurs. Cités par le blog du monde sur les sondages précité, voilà quels ont été les propos de certains intéressés :

« Un échantillon de 600 personnes, ce n’est pas rare pour des sondages sur les élections législatives ou municipales », estime Mattias Guyomar, secrétaire général de la commission des sondages. Un avis partagé par Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, qui juge que « c’est une bonne taille d’échantillon. C’est tout à fait normal et solide ».

Le politologue Roland Cayrol, ancien sondeur, abonde dans le même sens: « Idéalement, il serait bien d’avoir des échantillons aussi important que pour la présidentielle [souvent autour de 1000 personnes], mais 600, c’est bien. Dans le passé, sur les législatives, certains étaient descendus jusqu’à 300 ou 400, ce qui était une folie. Là, l’effort est méritoire. »

 

A noter, que la question de la taille de l’échantillon est avant tout une question d’ordre financier. Ce problème avait d’ailleurs été soulevé par les sénateurs Sueur et Portelli dans leur proposition de loi : toutefois, hormis la transparence déjà exigée sur le nombre de personnes interrogées dans la publication, aucun dispositif n’était prévu pour exiger une taille minimum d’échantillon.

 

En somme, en la matière, c’est un principe de réalité qui continue de primer.

 

B. La publication du sondage et le problème de la présentation des résultats

 

Surtout, outre la question de la taille de l’échantillon et la solution apportée, c’est la question de la publication du sondage qui pose le plus de problème. Or, il faut bien insister sur ce point : la façon dont le sondage est publié compte autant que le sondage en lui-même, puisqu’en vertu de l’article 9 de la loi de 1977, les médias ne doivent pas publier un sondage en « altérant la portée des résultats obtenus », ce qui a conduit la Commission des sondages, dans un rapport de 2002, à poser un « impératif de précaution dans la présentation des résultats ». Ce principe a-t-il été respecté en l’espèce ?

 

Le problème

 

En effet, si l’on restitue l’article publié, cela donne cela :

 

Le sondage est d’abord, indirectement, en couverture : toutefois, la couverture est très générale, ne cite pas la réalisation du sondage, ne donne pas directement les résultats et ne donne pas les chiffres, ce qui a des conséquences en termes de bonne publication du sondage, comme on le démontrera ci-dessous. Pour la couverture, voir : http://lejournal.lejdd.fr/epaper/viewer.aspx

 

Quant au contenu de l’article, il est de bonne qualité mais peut poser certains questions en termes de présentation des résultats : voir http://www.lejdd.fr/Politique/Elections-legislatives-2012/Actualite/Henin-Beaumont-Melenchon-battrait-Le-Pen-sondage-512519/?from=headlines.

 

« Hénin-Beaumont : Mélenchon battrait Le Pen

 EXCLUSIF – Selon notre enquête Ifop/Fiducial/JDD, le candidat du Front de gauche réussirait son pari. Il devancerait le PS au premier tour et le FN au second tour dans tous les cas de figure.

Atterrissage réussi. Jean-Luc Mélenchon, qui totalisait 14,85% des voix à la présidentielle dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais, passe à 29 % pour le premier tour des législatives, selon notre sondage Ifop-Fiducial-JDD (la marge d’erreur est de 2,4 points). Le candidat socialiste, Philippe Kemel, compte, lui, 18% des voix, contre 28,75% pour François Hollande lors de la présidentielle.

(…)

Avec 34%, Marine Le Pen reste largement en tête et grappille un peu plus de deux points par rapport au 22 avril. Jean Urbaniak, candidat du MoDem, soutenu par l’UMP, est à 16%. Avec ce score, il n’est pas certain de pouvoir se maintenir au second tour.

Après désistement du socialiste, on pourrait donc assister à un duel Mélenchon-Le Pen. Dans cette hypothèse, le candidat du Front de gauche ferait 55% des voix, contre 45% pour Marine Le Pen. Presque dix points de plus. Un écart confortable validant un pari audacieux. « C’est une circonscription socialo-communiste depuis toujours. Un acte de courage, cela aurait été de se présenter à Neuilly », juge Marine Le Pen, sans avoir les résultats du sondage.

En cas de triangulaire, Mélenchon serait à 44%, Le Pen à 36 et Urbaniak à 20. Jean-Luc Mélenchon est donc en passe de gagner deux paris : être localement le recours à gauche et passer devant Marine Le Pen. Son obsession depuis la dernière campagne présidentielle. Pour cela, il aura besoin de deux tours et des voix socialistes »

 

La présentation du sondage est assez complète, pédagogique et l’article explique bien les différentes hypothèses. La couverture est générale et n’induit pas le lecteur en erreur. Le titre, qui n’entre pas le détail et utilise le conditionnel, ne pose pas de problème, car il ne trompe pas le lecteur, et est accompagné d’un article de qualité qui présente bien les résultats du sondage.

 

Toutefois, l’article ne présente l’hypothèse en cas de triangulaire qu’en toute fin d’article, ce qui peut préter à polémique car, selon le sondage lui-même, avec 16%, la triangulaire est l’hypothèse la plus probable, même si le journaliste justifie sa décision de ne commenter principalement que l’hypothèse du duel Le Pen/Mélenchon par le fait que le troisième candidat n’est pas sûr de se maintenir – ce qui au regard des chiffres est contestable. Sur ce point, l’UMP n’a pas manqué de faire connaître sa position, ce qui a nourri la polémique.

 

La solution juridique

 

Cette présentation pose-t-elle un problème ? Cette question relève en effet de la question plus générale de la légalité de la présentation des résultats du 2nd tour dans les sondages, problème qui est également récurrent en droit des sondages électoraux.

 

Ainsi, dans leur proposition de loi et pour lutter contre ce problème, les sénateurs Sueur et Portelli voulaient poser le principe selon lequel les sondages de second tour « doivent tenir compte des données qui résultent du premier tour », principe établi pour limiter la présence au second tour des deux candidats arrivés en tête au premier tour, mais retiré par l’Assemblée qui l’a considéré comme exagérement restrictif. A raison, puisqu’il peut être utile de tester la présence d’un troisième homme au second tour (pensons à Bayrou en 2007) car c’est une donnée dont l’opinion publique peut utilement disposer. D’ailleurs, la Commission des sondages a estimé qu’il est possible et même préférable de tester plusieurs hypothèses de second tour lorsque les résultats du premier tour sont serrés, à condition de prendre pour point de référence les résultats du 1er tour.

 

Au regard de ces principes, force est de constater qu’il aurait été préférable que le sondage fasse d’abord référence à l’hypothèse de la triangulaire et seulement après, à l’hypothèse de l’absence de triangulaire, car cela aurait mieux reflété la réalité. L’effet médiatique, toutefois aurait été moindre, et c’est sans aucun doute pour cette raison que le journaliste a privilégié la première présentation.

 

En outre, le problème est posé concernant le désistement du candidat socialiste. Le PS a indiqué qu’il se désisterait, donc le choix de le présenter ainsi dans l’article se justifie. Toutefois, on aurait pu également les tester, en tout cas la question pouvait être posée.

 

Sur ces questions, la Commission des sondages a fait preuve de souplesse, car finalement, cette inversion dans la description de l’article ne changeait pas l’ordre d’arrivée au final et ne semblait pas pouvoir, au regard de la structure politique en question, changer les résultats de l’élection. Sur ce point, il faut souligner que la couverture ne donnait pas les chiffres de sorte que les éléments publiés n’étaient pas mensongers, ce qui aurait sans doute été différent si le JDD avait publié les scores résultant de l’hypothèse hors triangulaire : http://lejournal.lejdd.fr/epaper/viewer.aspx

 

A l’inverse, il faut prévoir le cas où les hypothèses testées, hors triangulaire ou avec triangulaire, soit auraient donné lieu ou auraient pu donner lieu à des résultats de second tour différents concernant l’ordre d’arrivée, soit auraient donné lieu à des chiffres différents dans l’hypothèse où ces derniers auraient été publiés. Ainsi, si les chiffres publiés en couverture du JDD avaient été ceux de l’hypothèse hors triangulaire, cela aurait posé question et donné lieu, il faut le souhaiter, à l’édiction d’une mise au point.

 

Sur ce sujet, on pourrait souhaiter que la Commission des sondages précise sa doctrine concernant l’articulation entre le premier tour et le second tour s’agissant des élections législatives, tant la doctrine actuelle est en réalité structurée autour de la question de l’élection présidentielle, suite aux polémiques liées à la présence de Bayrou en 2007 dans les sondages de second tour alors qu’il n’était « qu’à » 18 %.

 

C. L’obtention des résultats finaux et le mystère des critères de redressement

 

Enfin, se pose le problème de l’obtention des résultats finaux. En effet, suite à la parution de ce sondage, le FN n’a pas manqué de mettre en doute ses résultats.

 

Le problème

Ainsi que le restitue le blog sur les sondages du monde.fr, voilà les réactions des principaux intéressés :

« Le FN a riposté dès dimanche, en publiant un communiqué de Steeve Briois, secrétaire général du FN et suppléant de Mme Le Pen à Hénin-Beaumont, contre ce sondage de l’institut « Iflop ».  » Durant l’élection présidentielle le même institut plaçait, quelques semaines avant le premier tour, Mélenchon à égalité avec Marine Le Pen », ironise le FN. Et d’appuyer: « Aujourd’hui, pour être à la une du « JDD » et faire le buzz, l’institut Iflop fait encore plus fort et fait passer, dans la circonscription d’Hénin-Beaumont, Jean-Luc Mélenchon de 14 % à la présidentielle à …29 % à la législative ! Mélenchon aurait augmenté de 100 % en quelques jours, du jamais vu… » Pour M. Briois, « ce sondage est totalement bidon et démontre que, comme à présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est le candidat des journalistes et des sondeurs ».

Mme Le Pen elle-même, sur France 3, a poursuivi la charge. « Les sondeurs feraient bien de faire preuve d’un peu de modestie et l’institut de sondage de Mme Parisot, patronne du Medef, peut-être tout particulièrement », a déclaré la candidate. »

Et effectivement, on se rappelle bien de la sous-évaluation de Mme Le Pen et de la surévaluation de M. Mélenchon dans les derniers sondages de la présidentielle.

Certes, on entend bien ici les arguments des sondeurs et on peut leur donner raison : ils avaient bien noté dans les derniers moments la baisse de Mélenchon et la montée de Mme Le Pen, et avec les marges d’erreur, la différence finale n’est pas si étonnante. Soit, l’on est d’accord.

 

Toutefois, il reste un problème qui n’a pas encore été résolu par les sondeurs, parce qu’il est très difficile, c’est celui du vote caché Le Pen chez ceux qui déclarent voter Mélenchon.

On avait pensé, un moment, que le vote caché Le Pen, qui caractérisait le père, ne caractérisait plus la fille. Sur ce point, d’ailleurs, mais qui s’en souvient, on avait un temps vu Mme Le Pen au second tour, avant qu’elle n’en disparaisse brutalement et définitivement : changement de l’opinion, ou changement dans les méthodes de redressement entre le père et la fille par la disparition de la prise en comtpe par les sondeurs du vote caché ? Avouons que cette dernière hypothèse n’est pas si farfelue….

Mais force est de constater que le vote caché Le Pen existe toujours, et que cette fois, il se terre sans doute chez M. Mélenchon. Selon quelles proportions ? Nul ne peut le dire, et les sondeurs ici tatonnent encore. Toutefois, il faut bien souligner que cela pourrait remettre en cause les résultats du sondage publié par le JDD : prudence donc, toujours prudence.

 

L’impossible analyse critique : le problème du manque de transparence

 

Sur ce point, l’article ne fait pas référence à ces difficultés. C’est un regret.

 

En toute hypothèse, cela pose encore et toujours le même problème : on aimerait pouvoir vérifier la façon dont les échantillons ont été redressés du point de vue politique : par rapport aux législatives, par rapport aux présidentielles ? La colonne de référence est-elle pertinente ? Un candidat a-t-il été sorti de cette fourchette de référence et cela a-t-il été justifié ?

Mais il est impossible de répondre à ces questions, eu égard à l’absence de transparence sur les sondages électoraux qui prévaut encore aujourd’hui et qui a malheureusement été renforcée par l’arrêt Mélenchon du Conseil d’Etat auquel il a été fait référence ci-dessus.

 

Sur cette question de la transparence, nous renvoyons à la tribune publiée sur ce blog sur l’arrêt Mélenchon, mais surtout au commentaire de l’arrêt Mélenchon publié à la RFDA ainsi qu’à notre ouvrage général sur le droit des sondages électoraux où cette problématique est largement explorée.

 

Le problème de la transparence est et restera le problème principal du droit des sondages électoraux : espérons que cette question progresse sous la nouvelle législature !!!

 

Romain Rambaud

 

 

 

 

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