14/05/2012 : Une semaine après, retour sur la modération du blog sur le droit des sondages électoraux. Le Monde.fr a-t-il eu raison ?

Spread the love

Le dimanche 06/05/2012, vers 18h, le présent blog, droitdessondages.blog.lemonde.fr a été « modéré » par le Lemonde.fr, c’est à dire que l’hébergeur a d’office modifié le statut d’un des articles publiés au cours de la journée et mettant en garde contre les fuites ayant lieu sur certains sites belges.

D’où cette question qui mérite d’être posée : Lemonde.fr a-t-il eu raison, c’est à dire le présent blog a-t-il violé la loi ? La réponse à cette question est incontestablement négative.

Les faits, d’abord.

Dans la journée, trois articles sont publiés :

Le premier fait état de la fuite sur certains médias belges des résultats des DOM-COM, sans préciser la source ni les résultats attachés. Ce post est accompagné d’une mention indiquant que les résultats ne seront pas indiqués pour ne pas tomber dans le champ d’application de la loi.

Le second fait état de la publication par certains journaux belges de résultats issus de soi-disant sondages de sortie des urnes, et a pour objet d’alerter l’opinion publique par un rappel à la loi, ainsi que par le rappel de règles de prudence : la Commission des sondages a obtenu des instituts des engagements de ne pas réaliser de sondages de sortie des urnes de sorte que la provenance des résultats n’est pas garantie, ces sondages en général ne sont pas fiables et l’heure de leur prétendue réalisation est anormalement précoce.

Le troisième fait état des démentis des instituts des sondages, indiquant qu’ils n’ont pas réalisés ces types de sondage, ainsi que du maintien des affirmations de certains journaux belges. C’est ce dernier article qui sera modéré.

Par prudence et pour accéder à la demande du Monde.fr, dans la foulée, nous supprimions les trois articles publiés le 06/05. Nous les publierons de nouveau après 20h sous le titre : 06/05/2012 : Dimanche d’élection : une journée de fuites

Le temps étant un peu passé, la question mérite d’être donc posée, surtout dans un blog juridique qui concerne précisément cette question. Avons-nous manqué de prudence et, malgré notre bonne connaissance du droit des sondages, flirté avec la violation de la loi ?

La réponse à cette question est clairement : non.

En premier lieu, il est certain que le présent blog n’a aucunement violé l’article L. 52-2 du Code électoral, selon lequel « En cas d’élections générales, aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain. (…) ».

En effet, aucun résultat n’a été donné non plus qu’aucun lien n’était créé vers des sites susceptibles de fournir ce type d’informations.  Par ailleurs, toutes les informations données avaient précisément pour objet de dire qu’il ne saurait être question de communiquer des chiffres, ces chiffres n’étant pas exacts. Aucun élément constitutif de cet article n’a donc été commis ici. Il n’y a pas eu de résultats.

En deuxième lieu, le présent blog n’a pas non plus violé l’article 11 de la loi n° 77-808 du 17 juillet 1977 selon lequel « La veille de chaque tour de scrutin ainsi que le jour de celui-ci, sont interdits, par quelque moyen que ce soit, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage tel que défini à l’article 1er. Cette interdiction est également applicable aux sondages ayant fait l’objet d’une publication, d’une diffusion ou d’un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin. Elle ne fait pas obstacle à la poursuite de la diffusion des publications parues ou des données mises en ligne avant cette date ».

Tout d’abord, ainsi qu’il a été dit plus haut, aucune publication ou diffusion de sondages ou d’estimation n’a été réalisée sur ce site. Notamment, aucun chiffre n’a été cité et aucun lien n’ été créé.

Ensuite, en aucun cas les éléments auquel il était fait référence ne constituent des sondages. En effet, le sondage est défini par la méthode scientifique de son élaboration. Or, les informations ici publiées avaient précisément pour objet d’alerter sur le fait qu’en raison des engagements des instituts, de tels sondages n’existaient pas. Il n’ a donc ici été fait référence à aucun sondage au sens de l’article 1er de la loi de 1977, mais seulement à des rumeurs clairement annoncées comme inexactes. Ainsi que l’a déjà jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 octobre 1984 (n° 83.94.919), ne constitue pas un sondage une information dès lors que celle-ci n’est pas « une extrapolation tirée de la recherche et de l’exploitation d’un échantillon d’électeur ». 

Il manque donc ici un élément constitutif de l’infraction. Que cette définition purement scientifique du sondage puisse poser problème du point de vue de la sanction de la loi est un autre problème exploré dans notre ouvrage (Romain Rambaud, Le droit des sondages électoraux, L’Harmattan, « Logiques juridiques », 2012, pp. 64-65) qui empêche en tout état de cause de considérer ici que l’élément moral de l’infraction est constitué.

Enfin, il n’est pas non plus possible de considérer que les informations publiées ici ont constitué des commentaires de sondages : aucun commentaire n’a été fait sur des résultats de prétendus sondages, tandis que les informations diffusées ont constitué uniquement à mettre en garde contre de fausses informations circulant sur internet et à rappeler le cadre législatif.

De ce point de vue, il faut rappeler que le droit pénal est d’interprétation stricte : dès lors, ne constitue pas un commentaire de sondage ou d’estimation le fait de mettre en garde contre la diffusion de fausses informations et notamment de faux sondages : toute autre interprétation constituerait une interprétation extensive à la fois du terme de commentaire et du terme de sondage, et donc ne serait pas valable devant le juge pénal.

Enfin, une infraction pénale n’est constituée que si sont réunis deux éléments – un élément matériel, qui ici manque en fait comme il a été dit – ainsi qu’un élément moral, c’est à dire la volonté de commettre l’infraction pénale considérée. L’article 121-3 alinéa 1 pose le principe suivant lequel : « Il n’y a point de crime ou délit sans intention de le commettre».

En l’espèce, cet élément moral manque indéniablement : le premier post comportait d’ailleurs une mention mettant en garde sur le fait que les informations publiées sur ce site ne constituent pas une publication ou une diffusion au sens de la loi de 1977 car n’avaient pas pour volonté de faire diffuser des résultats.

Les principes d’interprétation stricte et d’éléments constitutifs de l’infraction empêchent donc de considérer que la moindre infraction pénale a été commise : LeMonde.fr a donc sans doute fait preuve d’un peu d’excès de zèle.

D’ailleurs, si d’aucune autorité considérait le contraire, elle se confronterait immanquablement au principe de la légalité des délits et des peines : le texte de l’article 11 de la loi de 1977 ne saurait être considéré comme suffisamment clair et précis, grief que nul n’omettrait de soulever par la voie nouvelle de la question prioritaire de constitutionnalité.

Toutefois, en toute hypothèse, cela montre bien la détermination des journaux à faire appliquer la loi, même si cela va un peu au delà du strict nécessaire du point de vue juridique. L’interdiction peut prospérer. Nous ne serions d’ailleurs nous en plaindre : nous l’avions nous-même souhaité.

Pour le reste, on peut souhaiter que le débat se poursuive.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *